Par Naj et Nico (CAL Bruxelles)
Depuis plusieurs mois, Bruxelles est le siège d’une importante lutte de plus de 400 sans-papiers afghan-e-s. Il s’agit de la plus importante mobilisation de réfugié-e-s afghan-e-s qu’ait connue la Belgique mais également la preuve que l’auto-organisation des sans-papiers est possible en Belgique. Venu-e-s de toutes les régions de Belgique, principalement de Flandre, ils-elles se sont auto-organisé-e-s dans le Collectif des Afghans, qui compte en son sein des hommes, des femmes et des enfants. Aux côtés des Afghan-e-s, un Comité de Soutien s’est créé afin de lutter quotidiennement contre les politiques migratoires de l’Etat belge.
Un mouvement politique organisé
A la différence des nombreux autres mouvements de sans-papiers en Belgique, la lutte des Afghan-e-s n’a pas débuté suite à une occupation humanitaire. Ceux-celles-ci, bien décidé-e-s à faire cesser les politiques d’expulsion vers l’Afghanistan, ont entamé début septembre une série d’occupation de bâtiments tout en organisant des actions fréquemment. Le Collectif des Afghans est donc porteur de revendications politiques : un moratoire sur les expulsions vers l’Afghanistan (un pays vers lequel la Belgique continue d’expulser alors que le pays est toujours en guerre), la libération de toutes et tous les afghan-e-s détenu-e-s dans les centres fermés et un statut pour tous les réfugié-e-s afghan-e-s.
Leur lutte a commencé à l’église du Béguinage, située au centre de Bruxelles, celle-ci est connue pour avoir abritée en son sein d’autres luttes de sans-papiers. Venu-e-s à la base dénoncer les expulsions vers l’Afghanistan, leur combat n’a cessé de prendre de l’ampleur. Mais c’est en septembre que le mouvement va se faire connaitre du grand public. Les Afghan-e-s occupent alors un bâtiment vide à deux pas des institutions européennes et fédérales et dont le locataire n’est autre que le Samu Social. De là, ils-elles mèneront presque quotidiennement des manifestations afin d’être reçus et entendus par la Secrétaire d’Etat à l’Asile et à la Migration, Maggie De Block.
La politique de l’autruche et le début de la répression
Malgré les manifestations quotidiennes et toutes les tentatives visant à faire entendre leurs revendications les Afghan-e-s n’obtiendront pour seule réponse, qu’une cynique fin de non-recevoir. Pire encore, le mouvement dérange et le 25 septembre dernier, alors qu’ils-elles manifestent aux abords du Cabinet du Premier Ministre socialiste Elio Di Rupo, les Afghan-e-s se sont heurté-e-s à l’appareil répressif de l’Etat ; canons à eau, policiers antiémeutes, usage des chiens, des matraques et de gaz lacrymogènes. La police charge les manifestants (dont des enfants), faisant plusieurs blessé-e-s. Lors des arrestations, une septantaine d’Afghans seront arrêtés et envoyés en centres fermés. Parmi ceux-ci, c’est le service d’ordre interne du mouvement qui est principalement visé. Le jour suivant, les afghan-e-s seront expulsé-e-s de leur occupation avec un déploiement de force de l’ordre de grande envergure.
De quoi pensaient sans doute les autorités bruxelloises casser un mouvement exemplaire en terme de combativité et d’organisation, que du contraire… Choquées par les faits, de nombreuses personnes, militant-e-s ou non, organisé-e-s ou non, rejoignent le combat des Afghan-e-s. Au sein du mouvement, d’autres personnalités émergent, notamment les femmes. Dont l’une d’entre-elles, sera désignée par le comité de soutien- en signe de pieds de nez – femme de l’année.
Malgré ce double coup dur, les Afghan-e-s n’abandonnent donc pas le combat. Chaque nouvelle occupation est suivie, plus ou moins rapidement, par une nouvelle expulsion. A chaque fois il s’agit de recommencer, mais qu’importe, le mouvement subsiste.
A la mi-octobre, déterminé-e-s, les Afghan-e-s réinvestissent leur ancienne occupation près des institutions « démocratiques ». Mais le 22 octobre, alors que les Afghan-e-s manifestent une fois de plus, la police investit les lieux et ferme définitivement le bâtiment. Les Afghan-e-s informé-e-s de l’opération policière, improvisent un sit-in. Nouvelle intervention de la police, nouvelle répression. Plusieurs centaines de policiers antiémeutes, cagoulés et non-identifiables, encerclent les manifestants. La suite est un déferlement de violence, les manifestant-e-s entouré-e-s par la police sont gazé-e-s avant d’être matraqué-e-s par la police. L’un d’entre eux s’écroule alors, touché à la tête et victime d’une commotion cérébrale, il passera plusieurs jours à l’hôpital. La rafle, menée par un officier tristement célèbre des militant-e-s belges, fera plus de 170 arrestations ce jour-là, dont l’avocate du Collectif des Afghans.
Les semaines passent et la mobilisation se prolonge mais rien ne semble bouger. La répression vise autant les sans-papiers Afghans que leurs soutiens, dont plusieurs seront violenté-e-s lors d’une action devant l’Office des Etrangers, emmené-e-s en arrestation, ils-elles subiront insultes racistes et brimades. Et la mort d’un réfugié afghan de 22 ans nommé Aref, renvoyé à Kaboul et assassiné quelques jour après son retour par les Talibans qu’il avait fui en venant en Belgique, n’a semble-t-il pas émut le gouvernement du Premier Ministre socialiste trop occupé par la surenchère sécuritaire et les politiques d’austérités. Aujourd’hui, les Afghan-e-s continuent sans failles leur mobilisation depuis l’église du Béguinage, qu’ils-elles ont réoccupée après une énième expulsion d’un bâtiment. Le comité de soutien continue toujours de relayer le combat des afghan-e-s et dont certain-e-s ont entamé dans un espoir d’être enfin entendu une grève de la faim mais le gouvernement belge continue, quant à lui, toujours de faire la sourde oreille face à l’injustice qu’ils-elles subissent au quotidien.
Nouvelle occupation du Béguinage
Soutenus par le Père Alliet curé de la paroisse, le Béguinage est devenu le centre de toutes les mobilisations. Ces dernières semaines les Afghan-e-s ont multiplié les manifestations et les actions : Marche aux flambeaux, grève de la faim de 4 membres du comité de soutien – dont pour deux d’entre eux pendant plus de 20 jours – ou encore des mobilisations plus festive comme ce 18 décembre où à l’occasion de la Journée Internationale des Migrants fut organisé un concert d’artistes soutenant leur cause. Quelques jours plus tôt, le 11 décembre, des membres du comité de soutien s’étaient invités à la conférence de Paul Magnette et de Bruno Tobback, respectivement président du PS et du SP-a. Quand un membre du comité de soutien qui demandait si la « résistance », un terme que Paul Magnette appelait de ses vœux, consistait à laisser des familles entières dans la misère parce qu’elles venaient d’Afghanistan ou d’ailleurs, les orateurs ne trouvèrent rien d’autre à répondre que l’argument de droit – « nous sommes dans un État de droit » et donc les administrations, dont le CGRA, soi-disant « indépendantes » ne doivent pas être influencées. Le gouvernement et le PS, toujours prompts à se réfugier derrière le droit en oublient pourtant que la Belgique vient d’être condamnée pour la 9ème fois en 10 ans par la Cour Européenne des Droits de l’Homme pour traitement inhumain et dégradant envers les demandeurs-euses d’asiles. De même, qu’ils oublient que la Belgique, en tant que signataire notamment de la Convention relative au statut des réfugiés de 1951, se doit de respecter le droit international en matière d’asile. Des Arguments que les politiques se refusent semble-t-il à entendre à l’image d’un Paul Magnette fuyant par un couloir dérobé à la fin de la conférence.
Le comité de soutien s’invita également le 15 décembre à un hommage rendu à Nelson Mandela pour rappeler à Elio Di Rupo et Paul Magnette le vrai sens de la justice sociale. Un combat qui couta 27 années de sa vie à Mandela, mais dont le gouvernement ne semble pas en connaitre le sens. Malgré un entretien avec ces derniers, rien n’en est ressorti si ce n’est la promesse faite par Di Rupo de faire appel au médiateur fédéral.
Finalement, le 20 décembre le Collectif des Afghans entame une Marche depuis Bruxelles pour rejoindre Mons, siège communal du Premier Ministre, à l’image de la Marche pour l’Egalité en France dont on fête les 30 ans en ce mois de décembre. Di Rupo n’y était évidemment pas présent, mais les Afghan-e-s n’en démordent pas. Réchauffé-e-s par le soutien qu’ils-elles ont reçu pendant les deux jours de marche, ils-elles décident d’occuper la grande place de Mons dans l’attente d’un entretien avec Di Rupo. Finalement, la nouvelle tombe le 23 décembre, ils-elles sont reçu-e-s le mardi 24 décembre par le Premier Ministre Elio Di Rupo et la Secrétaire d’Etat Maggie De Block. Aucunes des revendications des Afghan-e-s n’ont été prise en considération si ce n’est de demander aux Afghan-e-s de réintroduire une demande d’asile au CGRA en espérant que celle-ci soit plus clémente dans l’analyse des dossiers. Réponses insuffisante du gouvernement à laquelle les Afghan-e-s ne peuvent que réagir en continuant leur combat exemplaire pour toutes et tous contre les politiques du gouvernement à leur égard.
La politique migratoire intransigeante de Maggie De Block est devenue un argument électorale fort au nord du pays pour contrer la NV-A de Bart de Wever. La preuve en est, celle-ci est devenue la femme politique la plus populaire de Flandre et semble également faire des émules en Wallonie. Sous prétexte de faire des économies de fonctionnement, Maggie de Block et le gouvernement s’attaquent aux personnes les plus vulnérables parmi lesquels les migrants et les demandeurs d’asiles. Une chose est certaine, au sein de l’espace politique de gauche, le PS est de plus en plus remis en question. On peut dès lors se poser la question de savoir combien de temps encore l’électorat acquis traditionnellement aux valeurs socialistes pourra encore légitimer les politiques migratoires racistes et l’austérité budgétaire du gouvernement à quelques mois d’échéances électorales fondamentales pour le PS…
Quoi qu’il en soit les mois passent et la détermination du Collectif des Afghans ne semble pas faiblir. Cependant, pour rendre la lutte pérenne et inverser le rapport de force, le Collectif et le Comité de soutien devront faire face à un double défi. D’une part, élargir la lutte – non plus aux seuls Afghan-e-s – mais à l’ensemble des sans-papiers en Belgique afin de globaliser le combat contre les politiques migratoires, et d’autre part, trouver un appui dans l’ensemble du mouvement social, à commencer par les syndicats des travailleurs dont le long silence porte préjudice à la lutte des sans-papiers. Mais les choses sont peut-être en train d’évoluer lentement, à l’image des prises de position de quelques personnalités syndicales et du soutien de la FGTB et de la CSC qui ont organisé conjointement un rassemblement de soutien durant le mois de décembre. Pourtant rien n’est encore fait, le bilan ne pourra qu’être établi dans les semaines qui viennent. Semaines durant lesquelles est d’ores et déjà prévue une grande manifestation de soutien aux sans-papiers, et ainsi constater dans quelle mesure ces deux défis auront été relevés…
En attendant, nous réaffirmons notre soutien aux revendications des Afghan-e-s :
- Une enquête parlementaire sur la mort d’Aref afin de déterminer la responsabilité de la Belgique dans ce drame.
- Une évaluation sérieuse de la situation en Afghanistan et desrisques d’aggravation après 201 4.
- Un moratoire contre les expulsions en Afghanistan.
- Un statut légal pour l’ensemble des réfugiés Afghan.e.s déjà sur le territoire belge.
Signez la pétition pour soutenir les revendications des réfugiés Afghanshttps://secure.avaaz.org/fr/petition/Gouvernement_belge_Soutien_aux_revendications_des_refugies_Afghans?mobile=1