Pour en finir avec l’illusion électoraliste

Par Mario Lafaye (CAL BXL)

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Dans deux mois un grand événement politique va survenir en Belgique. Il s’agit bien sûr des élections de Mai 2014 qui se dérouleront à presque tous les échelons de pouvoir de notre pays (fédérales et régionales) ainsi qu’au niveau Européen. Celles-ci auront lieu dans un contexte de crise économique, d’austérité, de destruction de notre sécurité sociale (synonyme d’attaques contre le prolétariat) et de conflits sociaux de plus en plus tendus. Beaucoup de travailleurs avaient voté pour le parti « socialiste » (PS) aux élections précédentes dans l’espoir que celui-ci, une fois au gouvernement, les protégerait des effets néfastes d’une crise qu’ils n’ont pas causés. Ces électeurs ont vus leurs espoirs déçus lorsque le PS s’est fait l’allié des partis de droite dans la destruction de l’état social. Suite à leur déception beaucoup de ces travailleurs se sont détournés du PS pour chercher un groupe plus à gauche qui défendrait mieux leurs intérêts. Pour répondre à leurs attentes, tous les partis de gauche (du PTB aux multiples partis Trotkistes) ont décidé (certes avec des buts et des tactiques différentes) de rentrer dans le paradigme électoral à l’exception des groupes politiques libertaires[1] qui ont toujours refusé catégoriquement de jouer le jeu électoral. La position des libertaires à ce sujet est souvent mal comprise et fait l’objet de multiples préjugés. Les libertaires seraient au mieux des utopistes incapables de faire un compromis entre leurs idées révolutionnaires et une « tactique efficace » pour les défendre. Au pire ils seraient « d’éternels mécontents » incapables de proposer des solutions positives et concrètes aux problèmes sociaux. Il est donc plus que temps aujourd’hui de tordre le coup à ces préjugés et d’expliquer clairement la position libertaire sur la participation au cirque électoral qui a lieux dans le système capitaliste.

 Pour commencer une remarque importante pour les néophytes s’impose, les libertaires ne s’opposent pas au principe des élections en tant que tel. En effet ils promeuvent une société démocratique, débarrassée de toutes formes d’oppression et basée sur le respect de chacun. Cette société (que je nomme communisme libertaire) serait organisée selon le principe de la démocratie directe. C’est à dire la démocratie par la base, structurée dans des conseils d’entreprise ou de quartier qui déléguerait certaines tâches de coordination via un mandat impératif[2]. Les élections y auraient donc bien entendu leur place. Si les communistes libertaires refusent de participer aux élections ce n’est donc pas parce qu’ils en rejettent le principes mais parce que, contrairement à ce qu’on essaye de nous faire croire à l’école et dans les médias, nous ne vivons pas dans une réelle démocratie.

La question qui se pose alors est « pourquoi ne serions nous pas en démocratie ?  ». Pour répondre à celle-ci il est nécessaire de faire appel aux éléments d’analyse de la société apportés par le Marxisme[3]. Pour rappel, sous le système capitaliste-bourgeois, deux classes s’opposent :la bourgeoise dominante qui est propriétaire des moyens de production et le prolétariat c’est-à-dire ceux qui doivent vendre leur force de travail pour survivre. Pour maintenir sa domination, la bourgeoisie utilise comme outil répressif l’état qui a le monopole de la violence légitime[4]. Il serait contraire à ses intérêts de créer une réelle démocratie puisque le prolétariat (constituant la majorité de la population) se servirait de ce pouvoir pour défendre ses propres intérêts et donc renverser le système capitaliste. Le système capitaliste n’est donc pas menacé par le jeu électoral. En effet les bourgeois peuvent diriger indirectement l’état « par la corruption des fonctionnaires et par l’alliance du gouvernement et de la bourse »[5]. L’alliance des gouvernements et de la bourse signifie que les gouvernements se réfugient derrière de soi-disant nécessités économiques pour justifier les attaques contre les intérêts économiques des travailleurs et pour s’approprier toujours plus de richesses. Cette formule s’illustre par ailleurs très bien dans le contexte de la crise de 2008 puisque c’est l’argent des travailleurs qui a servit à sauver les banques alors que la répartition des richesses a rarement été aussi inégale[6]. La « démocratie » en système capitaliste est donc en réalité une illusion très utile à la bourgeoisie qui lui évite que des mouvements révolutionnaires se créent.

Plusieurs partis, tout en comprenant la nécessité de changer de système économique par une révolution qui la seule voie possible[7], décident tout de même de se présenter aux élections. Il s’agit des partis ex-stalinien (en Belgique : le PTB) et des différents partis trotkistes (LCR, PSL, etc).

Ils justifient leur participation à ce cirque en déclarant que celles-ci leur permettrait d’avoir une certaine visibilité auprès des travailleurs et de pouvoir, par se biais, diffuser leurs idées (CF la fonction tribunitienne des élections). Ce choix tactique est malheureusement un leurre et si les faibles scores électoraux engendrés par ces partis au cours des différentes élections ainsi que la faible visibilité des idées révolutionnaire de nos société ne suffit pas à le démontrer voici plusieurs arguments pour vous convaincre :

Tout d’abord les organisations de la vraie gauche comptent souvent peu de militants et elles doivent donc investir beaucoup d’énergie pour remplir les critères de participation aux élections (récolter des signatures, trouver des candidats, etc). Si ces partis arrivent tout de même à remplir ces critère ils doivent mener une campagne électorale avec des moyens bien plus réduits que ceux des partis bourgeois (rappelons que en Belgique les partis présents au parlement touchent des subventions étatiques en fonction de leur nombre de siège). Cette campagne ne leur apporte souvent que peu de visibilité auprès de la population en particulier en Belgique où non seulement les médias daignent rarement inviter les partis de la gauche révolutionnaire mais où ils donnent bien souvent une vision volontairement négative des groupes de gauche. Ainsi les partis révolutionnaires qui veulent participer aux élections dépensent beaucoup d’énergie dans une élection qui ne leur rapportera que peu de résultats.

Investir cette énergie militante dans les mouvements sociaux est un choix plus efficace. En effet des actions directes (grève, manifestations, blocages, etc) bien menées rapportent aux groupes révolutionnaires une visibilité médiatique équivalente (voire supérieure) qu’en menant une campagne électorale tout leur permettant de continuer à lutter sur le terrain contre le capital. De plus les gens obtiennent une conscience politique beaucoup plus rapidement par la pratique qu’en écoutant de beaux discours. Il est donc éminemment plus efficace pour rallier des gens à notre cause que les militants révolutionnaires incitent les travailleurs à aller lutter pour leurs droits plutôt qu’à aller aux urnes.

N’oublions pas que la fonction tribunitienne des élections est peu claire et est souvent mal comprise au premier abord. En effet comment expliquer aux gens que les idées qu’on leur propose sont inapplicables sans une révolution et un changement de système économique tout en participant en même temps au système électoral bourgeois ? Cette communication peu claire n’incite pas les gens à sortir du paradigme réformiste. En effet, les gens risquent de refuser de voter et de soutenir les groupes révolutionnaires participant aux élections puisqu’ils concluront (à juste titre) que leurs idées sont inapplicables (en système capitaliste) et ne réfléchiront pas au delà du cadre capitaliste. Le manque de clarté de la fonction tribunitienne des élections peut aussi alimenter l’illusion de la démocratie sous le capitalisme. En effet les travailleurs pourraient croire à tord que les idées défendues par les groupes révolutionnaires peuvent être appliquée simplement un posant un bulletin dans une urne. Cette seconde erreur s’illustre parfaitement avec la montée du PTB (si tant est qu’il soit encore révolutionnaire) lors des derniers sondages.[8] Ceux qui auront fait cette erreur se retrouveront encore une fois déçu après les élections et risquent de se désintéresser totalement de la politique.

En conclusion, la décision des libertaires de refuser de participer aux élections bourgeoise est loin d’être une position dogmatique ou une erreur tactique. Il s’agit bien au contraire d’une position, non seulement cohérente avec les idées révolutionnaires que nous défendons, mais aussi d’un choix tactique bien plus efficace en matière de lutte et de diffusion de nos idées.


[1]J’emploie libertaire dans cet article pour parler des communistes-libertaires
[2]« le pouvoir délégué à une organisation ou un individu élu en vue de mener une action définie dans la durée et dans la tâche, selon des modalités précises auxquelles il ne peut déroger.  »  cf http://fr.wikipedia.org/wiki/Mandat_imp%C3%A9ratif
[3] Il est impossible de résumer l’ensemble du Marxisme en quelques lignes je vais donc me contenter d’expliquer les conclusions de Marx sur la république bourgeoise et les élections bourgeoise.
[4]Comme le prouve l’action à travers l’histoire de la police et parfois de l’armée pour réprimer les grèves et autres mouvements sociaux.
[5]Friedrich Engels ; L’origine de la famille de la propriété privée et de l’état, ed Alfred Costes P228
[6]http://www.rtbf.be/info/economie/detail_60-du-patrimoine-national-detenus-par-les-20-des-belges-les-plus-riches?id=8096933
[7]CF le paragraphe précédent ainsi que les concepts Marxistes d’infrastructure et de superstructure.

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