Zablière et déploiement policier, paranoïa à Arlon

Une drôle d’ambiance régnait à la Zablière de Schoppach et à Arlon ces jeudi 28 et vendredi 29 novembre : on parlait d’une probable expulsion par les forces de l’ordre dans la Zablière et dans la ville d’Arlon de bombe et de « Black Bloc » assoiffés de destruction. Comment en est-on arrivé à un tel degré de paranoïa dans cette petite ville habituellement calme ?

Un peu de contexte : Zablière, expulsion ?

Depuis maintenant un mois, une ZAD (Zone À Défendre) s’est implantée dans la trentaine d’hectares boisés et humides de l’ancienne sablière de Schoppach : les ZADistes dénoncent la bétonisation rapide des sols et les projets de développement agressifs autour de la ville d’Arlon. En effet sur cette forêt rachetée en 2017 par Idelux (une intercommunale opérant pour « stimuler le développement économique et optimiser la gestion de l’environnement »[1]), un projet de « Zone Artisanale » doit voir le jour. Sous ces discours aux relents de startup et de greenwashing on peut constater l’impact environnemental du projet de cette fameuse « Zone Artisanale » : la bétonisation de 21 hectares de forêt sur les 31 que comptent le site, et la transformation du reste en un « parc agréable » selon les dires[2] de Vincent Magnus, le bourgmestre CDH de la ville d’Arlon. La sablière de Schoppach considérée jusqu’à peu comme une zone de grand intérêt biologique sert de refuge pour des espèces menacées[3] telles que l’hirondelle de rivage ou le triton crêté ; la flore, en outre, y est également intéressante selon le site de la biodiversité wallonne. Malgré des pétitions et mobilisations de la part de riverain.e.s condamnant la perte d’un poumon vert dans leur voisinage, le projet est toujours sur les rails.

C’est dans un esprit de résistance face à la destruction globale des derniers espaces abritant la biodiversité belge qu’une occupation temporaire a débuté le 26 octobre. Militant.e.s écologistes, communistes ou anarchistes avaient décidé d’aller sur le site pour deux jours : ces quelques journées se sont muées en un mois entier d’occupation ce samedi 30 novembre. Lors d’une Assemblée Générale à la Zablière, la possibilité d’organiser une « Marche des Territoires » le vendredi 29 novembre avait été avancée. Son but était de fédérer en une manifestation commune les différentes oppositions à des projets de développement destructeurs en Wallonie.

Le soir du 20 novembre, au conseil communal, Vincent Magnus s’emporte à plusieurs reprises contre cette marche, prétextant que des casseurs/casseuses y prendront part. Dès lors tout s’accélère. Les pages Facebook de la Zablière et de Génération Climat annoncent à plusieurs reprises que la « Marche des Territoires » est annulée[4] afin de prouver leur bonne foi et rassurer la population face aux mensonges du bourgmestre (la manifestation se voulait être pacifique). Mais sur le côté, l’information commence à circuler auprès des sympathisant.e.s ZADistes que l’expulsion de la Zablière est prévue le vendredi 29 (soit le jour même de la manifestation annulée). Pour les instances décisionnelles d’Arlon, les communiqués rassurants de la Zablière ne sont pas pris en compte et des mesures de sécurité restrictives sont prises pour le 29. Arlon sera en état de siège.

Une paranoïa ambiante : les faits[5]

Le jeudi 28, un appel est lancé à tou.te.s les militant.e.s écologistes proches de la Zablière : l’expulsion manu militari est prévue pour le lendemain.

En début d’après-midi, une militante se rendant sur la zone pour apporter son soutien est arrêtée devant l’entrée de la forêt par des policiers lourdement armés : elle sera placée en garde à vue et sortira du poste au bout de 5 heures. Elle correspondait soi-disant au profil d’une personne recherchée et armée. Les policiers devront constater leur grossière erreur et la relâcher.

Des patrouilles ont lieu dans Arlon et des contrôles d’identité sont effectués sur les jeunes se rendant à la ZAD : les forces de l’ordre justifient ces contrôles comme étant relatifs à des risques de cambriolage dans le secteur.

Vers 17h à la Zablière, on se prépare à l’expulsion du lendemain. Les militant.e.s présent.e.s sont stressé.e.s, venu.e.s presque sans affaires, prêt.e.s à passer une partie de leur journée du lendemain à se faire gazer, matraquer et placer en garde à vue. L’ambiance est anxiogène et les tensions palpables.

Au soir, le journal belge Médor organise une conférence réunissant le bourgmestre, des représentant.e.s d’Idelux ainsi que des ZADistes. Lors de celle-ci, Vincent Magnus et le patron d’Idelux assurent qu’aucune expulsion n’est prévue, mais que des mesures ont été prises pour empêcher la manifestation… à plusieurs reprises annoncée comme annulée. À la Zablière, on souffle.

Le vendredi 29 au matin l’information circule sur la ZAD qu’un convoi important de forces de l’ordre se dirige vers Arlon : les militant.e.s sautent hors de leurs tentes et convergent vers les points d’entrée de la zone pour se défendre le mieux possible. L’attente commence alors, mais à part quelques voitures de police patrouillant aux abords, aucune expulsion n’arrive.

Vers midi, un hélicoptère de la police fédérale commence à survoler la Zablière : il effectue des rondes pendant plus de 3 heures. Une riveraine informe qu’en ville circule une rumeur d’alerte à la bombe et de manifestant.e.s violent.e.s devant déferler sur Arlon.

Un habitant des environs, habitué de la ZAD, explique qu’il est allé voir le commissaire pour lui demander si une expulsion aura lieu dans l’après-midi : son identité sera contrôlée et ses empruntes digitales prises par les policiers en poste.

À 14h, une file de fourgons de la police fédérale se positionne devant les bâtiments d’Idelux qui jouxtent la sablière : un barrage routier est installé et les policiers contrôlent les voitures roulant sur la rue de Lorraine. De nombreuses voitures de police, banalisées ou non patrouillent en ville. Certains commerces sont fermés par peur des casseurs. Arlon tourne au ralenti.

À 16h, les policiers contrôlent les personnes ayant de la boue sur leurs chaussures ou un sac à dos de randonnée : fouille au corps et contrôle d’identité. Aucune bombe n’est trouvée…

À qui profite cette situation ?

L’ampleur et le coût de ces moyens mis en place laissent songeur. On peut sans exagérer parler de dilapidation de l’argent public au vu de l’importance du dispositif mis en place (plusieurs dizaines de véhicules de police, 2 auto-pompes, un hélicoptère volant durant plusieurs heures) et de l’absence de but sérieux (s’assurer qu’une manifestation annulée n’ait pas lieu). On doit surtout noter le climat de paranoïa instauré à Arlon et Schoppach qui marquera durablement militant.e.s et riverain.e.s. Tout ceci porte à croire que le but du bourgmestre était de cliver les citoyen.ne.s habitant la région et les activistes par la peur : peur de se faire casser la vitre de son magasin, peur de se faire expulser violemment de la ZAD.

Il est effrayant de constater le décalage de plus en plus béant entre le pouvoir politique et les citoyen.ne.s. Gouffre entre les riverain.e.s mécontent.e.s de voir une forêt dans laquelle ils aiment se balader être menacée de destruction, et le projet d’Idelux qui voudrait bétonner sans distinction 21 hectares naturels. Décalage entre les ZADistes inquiet.e.s de subir toute la répression de l’Etat au nom de leurs idéaux, et le délire du bourgmestre de voir Arlon à feu et à sang au travers d’une manifestation pacifique. Incompréhension entre les habitant.e.s d’Arlon entendant des rumeurs de bombe en ville, et les contrôles de la police fédérale qui n’ont trouvé que les chaussettes sales des ZADistes dans leurs sacs d’éco-terroristes.

Le monde brûle et agonise. Les politicien.ne.s et la police fouillent des jeunes venus défendre une forêt. Jusqu’à quand laisserons-nous ces « responsables » obnubilés par la croissance et enfermés dans une mentalité sécuritaire décider de ce qui est bon pour nous ? Les ZADistes ont fait un choix : elles et ils rejettent ces projets et sont prêts à se dresser contre eux. En privilégiant l’action directe comme méthode, ces militant.e.s nous donnent un bel exemple de ce que le rapport de force peut fournir comme résultat dans la lutte pour la sauvegarde de la biodiversité : l’efficacité politique immédiate découlant de leurs actes. Il y a confrontation entre la machine capitaliste qui grignote de plus en plus nos terres et les quelques individu.e.s courageuses et courageux se dressant contre ce système afin de sauver ce qui peut encore l’être. Ces jeunes et moins jeunes ont choisi leur camp. Et vous ?

A. (Front Ecologie Sociale UCL BXL)


[1] https://www.idelux.be/fr/accueil.html?IDC=2497

[2] https://www.lavenir.net/cnt/dmf20191029_01400524/v-magnus-il-n-y-a-plus-de-place-a-arlon-pour-accueillir-la-moindre-entreprise

[3] http://biodiversite.wallonie.be/fr/756-sabliere-de-schoppach.html?IDD=251659671&IDC=1881

[4] https://www.facebook.com/events/779573265800289/

[5] Tels que vécus par l’auteur de cet article. Si vous étiez présents lors de ces deux jours et que vous aimeriez ajouter un témoignage, n’hésitez pas à nous contacter.

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