Anarchisme en Belgique (2) : Un problème de mémoire

Par Julien Clamence (AL Bruxelles)

Le mouvement libertaire belge souffre d’un déficit de transmission de la tradition militante. Après le premier volet le mois dernier, la suite du long article d’ un membre du collectif Alternative libertaire Bruxelles.

12898402_468007393403301_6601007045371153855_oEn plus de souffrir d’un environnement politique hostile, les anarchistes belges sont confrontés à un vide mémoriel. Chaque génération doit plus ou moins recommencer à zéro, sans bénéficier des conseils et du legs des la génération précédente. Même si cette situation peut avoir des avantages, comme celui de renouveler la doctrine et de ­l’adapter aux temps présents, elle donne surtout l’impression aux militants et militantes que l’anarchisme jaillit tout à coup avant de disparaître, qu’il possède chez nous un caractère volatile et impropre à être une posture révolutionnaire stable.

On peut remonter loin pour comprendre cet état de fait. Les anarchistes belges étaient très présents dans le mouvement ouvrier à la fin du XIXe siècle et au tout début du XXe siècle. Comme en France, ils s’organisaient en particulier autour de journaux puis au sein du mouvement syndical – lors de l’exécution de Francisco Ferrer en 1909, par exemple, les maisons du peuple du bassin hennuyer se sont couvertes de drapeaux noirs. Certaines expériences de communautés alternatives ont même été tentées près de Bruxelles, mêlant autogestion, solidarité économique, végétarisme voir même nudisme. Mais déjà à l’époque, la Belgique était très dépendante de son grand voisin du sud et même du reste de l’Europe. Terre d’exil, elle accueillait de nombreux anarchistes étrangers, venus se réfugier, surtout à Bruxelles, suite à l’adoption des lois scélérates ou des diverses actions révolutionnaires menées en Espagne ou en Italie.

Continue reading « Anarchisme en Belgique (2) : Un problème de mémoire »

1976 : Entre espoir et désillusion, la renaissance de la CNT espagnole

Propos recueillis par Jérémie (AL Gard), traduction de Jérémie et José

MITING CNT MONTJUÏCDans l’Espagne débarrassée de l’ombre de Franco, un vent de liberté traverse la Péninsule. Après 40 ans de régime dictatorial, la centrale syndicale libertaire, la CNT, sort de la clandestinité. Témoin et acteur de cette renaissance, Angel Bosqued, secrétaire international de la CGT espagnole, revient sur ces années d’espoir d’un renouveau libertaire au pays de Cervantes, sur ses temps forts, ses contradictions et ses échecs.

Alternative libertaire : Quel est le contexte social et politique de l’État espagnol au cours des dernières années du régime franquiste ?

Angel Bosqued : Des changements fondamentaux se sont produits au cours des années qui ont précédé la mort de Franco, le 20 novembre 1975. Mais, jusqu’à la fin de l’année 2000, on trouve des traces du franquisme chez des personnalités significatives de la société espagnole.

Pour nous en tenir aux années 1970, après une phase de développement commencée en 1957, l’économie espagnole connaît une crise importante, avec une inflation qui atteint les 17 % et des taux de chômage entre 9 et 16 %.

Dans le contexte géopolitique de guerre froide, les traités d’« amitié et de coopération » avec les États-Unis sont renouvelés (installation de bases militaires contre la fourniture de lait en poudre). Sur le plan politique, l’ETA assassine le chef du gouvernement Carrero Blanco à Madrid le 20 décembre 1973. Toute une série de nouveaux assassinats de policiers et de militaires suit.

En 1975, on note malgré tout un certain fléchissement du régime. Pour la première fois, l’Église, qui exerce à cette époque un pouvoir de fait essentiel, se prononce publiquement en faveur des droits d’association et d’expression. Cette même année, le catalan, le basque et le galicien sont reconnues comme langues co-officielles aux côtés du castillan. Le 18 novembre, les Cortes, une sorte de parlement désigné par le parti unique, décrètent la fin de la présence espagnole au Sahara occidental.

Continue reading « 1976 : Entre espoir et désillusion, la renaissance de la CNT espagnole »

Anarchisme en Belgique (1) : Le mouvement libertaire belge doit se refonder

Par Julien Clamence (AL Bruxelles)

Erratum : Contrairement à ce qu’il est annoncé dans le Mensuel d’AL France, il ne s’agit pas d’un article collectif mais d’une analyse écrite à titre individuelle. Par ailleurs, nous portons à l’attention des lecteurs-trices, qu’il s’agit d’un court article qui s’adresse avant tout à des camarades français-e-s non initié-e-s à la complexité de la culture politique en Belgique, l’article se veut donc synthétique et passe sans doute sous silence une partie de la diversité et la complexité des pratiques au sein du mouvement anarchiste belge francophone. 

d3805c785da758e0769be7fded5fa152-1475151987La Belgique est un laboratoire de l’atomisation sociale et de « l’individu forteresse », complétés par une culture politique du consensus, sans véritable équivalent en France. Notre tâche est donc unique et c’est pour partager son expérience particulière et les défis spécifiques auxquels il est confronté que l’auteur lance cette série d’article destinés à ses camarades français.

L’anarchisme, en Belgique, est à l’image des milieux radicaux et révolutionnaires du pays : éclaté, géographiquement et politiquement, en mal d’une histoire à laquelle se raccrocher et meurtri par l’absence de mouvement populaire de masse.

Nos camarades français ont sans doute du mal à s’imaginer l’état de délabrement intellectuel de la Belgique ; coupée en deux par la frontière linguistique, au-dessus de laquelle Wallons et Flamands s’ignorent superbement, subdivisée en une multitude de niveaux de pouvoirs institutionnels qui la rendent incompréhensible aux yeux étrangers et qui nourrissent une cohorte de politiciens professionnels, elle n’a ni l’unité culturelle de la France, ni sa (très relative) variété médiatico­-éditoriale.

Continue reading « Anarchisme en Belgique (1) : Le mouvement libertaire belge doit se refonder »

Alessandro Stella : “Ce que fut L’Autonomie ouvrière en Italie »

Interview d’Alessandro Stella qui fut un militant de l’Autonomie ouvrière italienne, issue du groupe Potere Operaio (Pouvoir ouvrier).

En quoi consistait – à grands traits – l’Autonomie ouvrière ? A quelles sources s’était-elle alimentée ?

foto1Pendant le bienniorosso, les 2 années rouges (1919 et 1920) il y a eu un phénomène très répandu d’occupations d’usines, de champs, de grandes propriétés foncières. Les conseils ouvriers étaient la forme de représentation de la base ouvrière, sans implication des syndicats. Ce fut certainement une référence pour nous.

L’Autonomie ouvrière a été un mouvement qui a émergé dans les années 70 en Italie, issu du 68 et du 69 italiens, du mouvement ouvrier et des assemblées ouvrières qui sont nées dans certaines usines comme Alfa Romeo à Milan. Ce sont les ouvriers qui les premiers misé sur les conseils d’usine qui étaient déjà une innovation. Mais ensuite, principalement sous l’impulsion des jeunes dans les grandes usines, on a dit: « Nous devons aller plus loin, parce que les conseils ouvriers sont aussi des représentations des gens. Et nous voulons que chacun soit responsable. La forme de l’assemblée, c’est ce qui doit être mis en avant. Et il faut que ce soit l’assemblée qui prenne les décisions « .

L’Autonomie ouvrière est une forme de d’auto-organisation de base, qui se fonde sur une longue tradition, qui est une tradition anarchiste (ou si vous voulez, anarcho-communiste). Elle définit l’action directe de chacun comme forme de lutte. Il n’est pas question de déléguer à d’autres pour qu’ils s’occupent de tes problèmes. Tu prends toi-même tes responsabilités et tu le fais.

Continue reading « Alessandro Stella : “Ce que fut L’Autonomie ouvrière en Italie » »

17 Octobre 1961 : L’État français noie la protestation populaire dans le sang

Franz B., pour la commission antiracisme d’AL

loadimg-php

Le 17 octobre 1961, près de 20.000 Algériennes et Algériens travaillant en région parisienne manifestent pacifiquement contre le couvre-feu que la préfecture de police veut leur imposer. La violence policière se déchaîne contre des hommes, des femmes et des enfants désarmés. Aujourd’hui encore, la clôture des archives empêche que toute la vérité soit connue sur ce massacre légal.

« Le plus grand massacre d’ouvriers depuis la semaine sanglante de la Commune de Paris de mai 1871. » Voilà comment l’historien Gilles Manceron décrit la vague meurtrière déclenchée en octobre 1961 par la police française sur ordre de son préfet, l’ancien fonctionnaire vichyste Maurice Papon.

Continue reading « 17 Octobre 1961 : L’État français noie la protestation populaire dans le sang »

1936-1937 : les collectivisations dans la Révolution espagnole

Par AL Rouen

Espagne1936La guerre d’Espagne, ce fut aussi, durant les premiers mois, une immense vague de collectivisations d’usines et de terre, sous l’égide de la CNT-FAI.

En juillet 1936, les anarchistes ripostent au coup d’État du général Franco. La Généralité de Catalogne (gouvernement régional) refusant d’armer les ouvriers, la CNT diffuse le 17 juillet, par voie de tracts, des instructions de regroupement aux travailleurs. Le 18 juillet on apprend que le coup d’état est prévu pour le lendemain matin. La CNT prévient qu’elle va procéder à la réquisition des véhicules et des armes, tandis que les militaires se préparent au coup de force.

Le 19 juillet 1936, les ouvriers écrasent l’insurrection fasciste à Barcelone.

Cette victoire devant être mise à l’actif du mouvement libertaire, celui-ci se renforce encore et constitue la première force politique dans l’Espagne de 1936. Dès lors, c’est à une véritable révolution que l’on assiste, qui bouleverse profondément la vie de millions d’Espagnols. La collectivisation de très larges secteurs de l’industrie, des services et de l’agriculture constitua l’un des traits les plus marquants de cette révolution. C’est cette conception de la révolution que les libertaires devront défendre aussi bien face aux fascistes que face au gouvernement républicain où les Staliniens deviennent dominants.

Continue reading « 1936-1937 : les collectivisations dans la Révolution espagnole »

Proudly powered by WordPress | Theme: Baskerville 2 by Anders Noren.

Up ↑