Manifeste pour une Alternative Libertaire
Le Manifeste pour une Alternative libertaire est la base commune à toute l’organisation, adopté lors de l’assemblée générale fondatrice, les 18, 19 et 20 mai 1991 à Orléans. Les gens qui veulent rejoindre AL sont invités à le lire au préalable, pour vérifier qu’ils sont en accord dans les grandes lignes.
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Introduction : Comment se battre aujourd’hui contre le capitalisme ?
Comment concevoir un projet nouveau, en rupture avec les socialismes autoritaires, étatiques, centralisateurs, jacobins, qui ont conduit le mouvement ouvrier et social à l’impasse, qu’il s’agisse du léninisme, du stalinisme, ou de la social-démocratie ?
Comment ce combat, que nous nommons socialisme ou communisme libertaire, et dont la perspective est une rupture révolutionnaire, la construction d’une société communiste au sens authentique, autogestionnaire du terme, peut-il emprunter une voie adaptée aux données nouvelles, complexes, de la société contemporaine ?
Ce document exprime les grandes orientations, les propositions générales d’un courant militant qui cherche des réponses à ces questions.
Il ne prétend pas apporter ses réponses toutes prêtes, sous une forme achevée : il ne se veut pas une doctrine, sectaire, figée.
Il constitue seulement un point de départ théorique et pratique ; il exprime des convergences, des point d’accord ; il soulève des questions qui restent largement ouvertes. Il se veut donc un simple outil pour réfléchir et pour agir, que nous ne manquerons pas de faire évoluer au cours des années.
Ce texte veut participer à la constitution d’un courant révolutionnaire nouveau, international.
Nous essayons d’opérer une synthèse sur des bases libertaires d’apports multiples, issus des luttes, des expériences historiques, et de nombreux courants révolutionnaires, autogestionnaires, écologistes, féministes, syndicalistes. Nous nous reconnaissons ainsi dans une filiation large, multiple, qui trouve ses racines, dès les origines du mouvement ouvrier, dans les courants antiautoritaires, syndicalistes révolutionnaires, libertaires, anarchistes, conseillistes, mais qui tente d’élargir ses références bien au-delà ; et nous refusons toute inféodation dogmatique à quelque doctrine que ce soit, passée ou présente.
Nous voulons trouver une définition moderne de la lutte des classes et du prolétariat, qui tienne compte des profondes mutations de notre époque sans minorer pour autant les révoltes et les luttes des plus exploités. Nous affirmons que le capitalisme n’est pas le dernier stade, ultime et indépassable, de l’histoire humaine : un projet révolutionnaire nouveau est nécessaire, qui ne soit pas groupusculaire, mais qui s’appuie au contraire sur les luttes des travailleurs, des jeunes, de la base de la société, sur leur auto-organisation, leur capacité à imposer des contre-pouvoirs.
Nous tentons donc d’élaborer une orientation politique, sociale, culturelle, qui articule luttes de masse, revendicatives, syndicales, associatives ET expressions radicales, alternatives, révolutionnaires ; et qui refuse de se perdre dans les dédales institutionnels, dans la politique politicienne, en privilégiant les luttes sociales et le militantisme de terrain.
Nous voulons certes nous organiser pour être efficaces ; mais nous refusons la forme et le contenu, la fonction du parti. Enfin, parce que nous ne prétendons pas détenir la vérité et que l’unité des forces est nécessaire pour peser, nous recherchons les convergences dans l’action et le débat politique avec toutes les forces anticapitalistes. Et nous avançons le projet d’un grand mouvement anticapitaliste et autogestionnaire : une force pluraliste, large, dont notre courant serait une des composantes.
Autant de convictions qui fondent l’identité de notre combat, et que ce document contribue à clarifier.
Un combat anticapitaliste
Nous sommes résolument anticapitalistes. Nous ne nous opposons pas seulement aux abus du système qui domine aujourd’hui le monde entier. Nous sommes radicalement opposés à ses fondements : l’exploitation du travail humain au profit de minorités dirigeantes et privilégiées ; la destruction progressive des ressources naturelles ; le développement mondial inégal et l’impérialisme ; l’aliénation de l’individu ; la domination étatique sur la société.
Anticapitalistes, nous refusons la course aux profits, la logique d’entreprise, le modèle de développement productiviste, la hiérarchie et les inégalités sociales, qui sont les credos d’une société totalement dominée par le mode de production et les classes capitalistes.
Nous sommes anticapitalistes pour des raisons sociales, par notre engagement dans les luttes de classe des exploités. Nous le sommes pour des raisons éthiques, par notre attachement à des valeurs égalitaires, libertaires, de justice sociale et de respect des spécificités de chaque individu. Nous le sommes également pour des raisons vitales, puisque le capitalisme repose sur une surexploitation toujours plus poussée de la nature qui menace à terme la survie de l’humanité.
Nous sommes opposés au capitalisme quelle que soit la forme historique sous laquelle il se présente : capitalisme libéral ou capitalisme d’État. Nous sommes opposés au capitalisme libéral, fondé sur une régulation « autonome » du marché, et qui se prétend « démocratique » alors qu’il repose sur un mode de production par essence antidémocratique et qu’il est tout entier tourné vers la réalisation des profits des classes dirigeantes. Nous sommes opposés au capitalisme d’État, même quand il se prétend « socialiste » voire « communiste » alors qu’il repose sur un mode d’exploitation et de domination tyrannique des travailleurs, et sur la détermination autoritaire du marché, au profit d’une classe privilégiée et toute puissante, la bureaucratie et la technocratie d’État. Nous ne soutenons en conséquence ni une étatisation partielle ou totale du capitalisme libéral, ni une privatisation partielle ou totale du capitalisme d’État.
Notre anticapitalisme s’inscrit déjà dans les luttes quotidiennes, d’abord limitées par le cadre imposé par les classes dominantes, pour donner appui, par une critique radicale et un projet de société alternatif au capitalisme, celui d’un socialisme autogestionnaire et libertaire, à un vaste mouvement de lutte de classe et de subversion révolutionnaire.
Un combat de lutte de classes
Nous affirmons que la division de la société en classes sociales antagonistes demeure le fait majeur du capitalisme moderne. Le capitalisme a connu de profondes mutations, il n’a cessé et il ne cessera de se transformer, à travers un cycle de crises et d’expansion. Mais il n’en repose pas moins d’abord et toujours sur des rapports de domination, dirigeants/dirigés, avec leur corollaire : l’exploitation des travailleurs manuels et intellectuels par les classes dirigeantes.
Les classes sociales sont déterminées par leur place dans les rapports de pouvoir dans la production – qu’il s’agisse de la production des biens matériels, des marchandises, des équipements, ou de la production des services – et que cette production s’effectue dans le secteur privé ou dans le secteur public.
Mais par classes sociales nous entendons également l’ensemble de ceux qui, dans la population, sont liés à ces catégories constituées dans la production : les familles, la jeunesse, les inactifs, les retraités, les sans-emploi… Par luttes de classe, nous entendons donc, et les luttes menées dans les entreprises ou concernant le travail, le chômage, la précarité, et les luttes menées dans le reste de la société, lorsqu’elles mettent en jeu les antagonismes de classe.
Les classes sociales dans le capitalisme contemporain ont vu leurs contours profondément modifiés, et on ne peut s’en tenir à des images nées au siècle dernier.
Par classe capitaliste nous entendons l’ensemble des catégories qui se trouvent aux postes de commande dans la production et dans la société, et qui décident de la répartition de la plus-value. À la bourgeoisie classique caractérisée par la propriété privée se joignent les couches qui ont accompagné le développement des grands groupes et de l’État : bureaucratie et technocratie.
Le prolétariat moderne ne se limite pas aux seuls ouvriers, même si ceux-ci occupent toujours une place importante dans la société. Par prolétariat, nous entendons l’ensemble des groupes sociaux sans pouvoir réel de décision sur la production, et contraints à vendre leur force de travail sous la forme du salariat. Il est composé à sa base par les travailleurs manuels, ouvriers et employés. Avec à leurs côtés des travailleurs intellectuels dominés et exploités : techniciens, enseignants…
Une part considérable du prolétariat moderne est frappée par le chômage et la précarité, qui sont devenus des données structurelles et massives dans les rapports sociaux contemporains.
Entre classe capitaliste et prolétariat, de nouvelles couches moyennes salariées se sont développées (cadres, techniciens…), qui occupent des tâches de gestion et d’encadrement. Ces couches pèsent toujours plus, politiquement mais aussi culturellement. La conduite de la lutte de classe suppose que la distinction soit faite parmi celles-ci, entre celles dont le commandement n’est que d’ordre technique et professionnel, et celles qui participent à l’établissement de la finalité de la production.
Diversifiées à l’extrême, les nouvelles couches moyennes salariées tendent, pour les plus aisées d’entre elles, à se confondre avec les classes capitalistes dont elles ne différent que par un éloignement plus grand des centres de décision, tandis que la base de ces couches se mêle d’une façon souvent inextricable au prolétariat.
Le développement du secteur tertiaire, l’accroissement du nombre de techniciens, l’amenuisement des ouvriers de l’industrie dans les pays développés, le morcellement des statuts, la précarité, le chômage, ont pour conséquence l’effacement d’une figure sociale centrale naguère identifiée par les seuls ouvriers industriels.
La lutte des classes s’exerce sous des formes nouvelles. La vision d’une classe uniquement ouvrière, minoritaire, avant-garde sociologique et unique force d’entraînement est un anachronisme qu’il faut remplacer par le projet d’une unité nouvelle, beaucoup plus large, fédérant sans nier les spécificités toutes les composantes d’un prolétariat moderne, intellectuelles et manuelles, salariées et précaires, industrielles et tertiaires. Ce nouveau prolétariat multiforme mais unifiable sur la base de sa situation commune, dominée, exploitée, doit chercher des convergences revendicatives et anticapitalistes avec de larges pans des couches moyennes salariées et des autres catégories sociales dominées par le capitalisme. Ces convergences se construiront à travers les luttes sociales, les prises de conscience collectives, l’émergence de projets nouveaux de transformation de la société.
Sans être investi d’un quelconque « messianisme », mais du fait de sa place dans les rapports de domination et de production, le prolétariat est porteur d’une lutte de classe permanente, tantôt latente, tantôt explosive. Cette lutte de classe impose aux classes dirigeantes des transformations et des compromis permanents, déterminés par le rapport de force, sur le travail, le partage des richesses, le droit, les institutions. Mais elle porte également une remise en cause globale du capitalisme, qui s’est exprimée régulièrement tout au long de l’histoire. La lutte de classe est donc à la fois porteuse de transformations partielles, opposées à la logique et aux intérêts des capitalistes, et d’une rupture révolutionnaire posant les bases d’une société nouvelle émancipant l’ensemble de l’humanité.
Notre participation aux luttes du prolétariat ne nous ferme pas les yeux sur la complexité, la diversification de la société, qui présente une formation sociale hétérogène, dominée par le capitalisme et par ses lois (notamment celle du marché), mais où coexistent d’autres formes de production, (voire d’autres formes d’exploitation des travailleurs) : coopératives, associatives, précapitalistes (paysannerie, artisanat), individuelles. Divers groupes sociaux entrent ainsi dans le champ de la lutte des classes : paysannerie, couches moyennes traditionnelles, nouvelles couches moyennes salariées entre autres, ce qui ne manque pas de poser maint problèmes théoriques et pratiques qui ne pourront être éludés au cours du processus d’alternative au capitalisme.
Les travailleurs de la terre notamment – dont le plus grand nombre subit l’exploitation du système dominant – constituent toujours une catégorie sociale importante, tant du fait de la finalité de leur travail que de leur place dans l’environnement naturel.
Un combat anti-impérialiste
L’essor du capitalisme au XIXe et au XXe siècles n’a pu se faire sans le pillage systématique des ressources des pays du Sud. À l’exploitation du prolétariat répond celle des peuples d’Asie, d’Afrique, d’Amérique. Le capitalisme repose sur le développement inégal à l’échelle de la planète, sur un ordre mondial impérialiste où les métropoles s’imposent, que ce soit directement sous la forme du colonialisme, ou par le truchement de régimes corrompus, ou par l’arme des aides intéressées et de l’endettement.
Les conséquences humaines sont désastreuses : destructions des équilibres naturels, des cultures vivrières, des productions locales, au profit des secteurs d’exportation des richesses vers les métropoles. Les économies sont incomplètes, dépendantes, incapables de répondre aux besoins des populations. Corollaire : la montée des inégalités, la misère et la faim. Et la domination progressive d’une culture et d’un mode de vie « à l’occidentale » qui met en miettes les valeurs propres à chaque peuple.
Nous préconisons pour la France la décolonisation des DOM-TOM. Adversaires résolus de « notre » impérialisme, nous ne pouvons que soutenir de la manière la plus claire les luttes des peuples qui en sont les victimes, et plus particulièrement celles que mènent et que mèneront les peuples des DOM-TOM pour leur décolonisation. Nous nous opposons de même aux interventions militaires et aux guerres impérialistes perpétrées par « notre » État.
Nous soutenons toutes les luttes des peuples contre l’impérialisme et pour leur indépendance. Ce soutien de principe est en même temps lucide, critique. L’expérience historique a démontré que les luttes d’indépendance, toujours légitimes dans leur refus de la domination, et en ceci toujours à soutenir, ont accouché de régimes bureaucratiques militarisés, ou impliqués dans diverses formes de néocolonialisme. Toutes les luttes ne reposent pas sur les mêmes composantes sociales et notre soutien va d’abord aux paysans pauvres et aux prolétariats. Tous les mouvements de libération ne se donnent pas les mêmes objectifs, avec les mêmes armes, les mêmes formes. Nous soutenons en priorité les forces les plus démocratiques, les plus représentatives, et les plus susceptibles de mettre en cause le capitalisme et l’étatisme.
Face à l’oppression contre les aspirations nationalitaires et identitaires, notre soutien est acquis, mais un soutien critique, notamment vis-à-vis de conceptions qui tendraient à opposer les peuples ou à gommer les réalités de classe, telle la trilogie Nation/État/Patrie. À ces conceptions porteuses de nouvelles dominations, nous devons opposer le droit de chaque peuple à vivre sur sa « terre » au sens historique et culturel, sans que pour autant il interdise à d’autres peuples, d’autres cultures, le droit de coexister, de se mêler. Il s’agit de contribuer à la création d’une nouvelle citoyenneté transcendant les appartenances ethniques, culturelles, nationales ou religieuses.
Dans les pays européens existent, sous des formes différentes, un même processus de développement inégal et de centralisation, d’oppression des cultures et des peuples, qui a généré des revendications nationalitaires et dans certains cas des luttes pour l’indépendance ou pour l’autonomie (comme en Irlande, au Pays basque, en Corse…). Là aussi des luttes légitimes, et de notre part une participation ou un soutien critique, lorsque ces combats sont portés par des parties significatives des populations concernées et qu’ils peuvent ouvrir une perspective anticapitaliste et émancipatrice.
Un combat écologiste
Le combat écologiste fait historiquement partie de l’identité du combat libertaire, et il constitue à nos yeux un des fronts majeurs de la lutte révolutionnaire. Le niveau de pollution, de destruction de l’environnement, de déstabilisation des écosystèmes de la planète donne aujourd’hui au combat écologique une importance primordiale.
Le capitalisme a entraîné une rupture dans le rapport entre l’homme et la nature. La dynamique qui lui est propre repose sur la nécessité d’une croissance continue de la production, et celle-ci s’opère grâce à une saignée permanente des ressources naturelles. La logique productiviste a causé des destructions massives, une dégradation générale du cadre de vie, et d’importants déséquilibres écologiques. Destruction de la couche d’ozone, déséquilibres thermiques de l’atmosphère (« effet de serre »), dépérissement des forêts dans l’hémisphère nord (« pluies acides »), pollution des eaux douces par les rejets industriels et agricoles, multiplicité des catastrophes industrielles (chimiques et nucléaires), destruction des forêts équatoriales, extension des déserts… la civilisation productiviste nous prépare pour demain un avenir noir.
Les gouvernements, les partis au pouvoir, les organismes internationaux multiplient les déclarations, prennent des demi-mesures qui préservent les intérêts essentiels des multinationales pollueuses, mais sont largement inefficaces pour lutter contre les destructions de la nature.
Face aux problèmes écologiques, les aménagements du capitalisme ou des sociétés bureaucratiques se révèlent inapplicables, tant ces systèmes économiques sont construits autour d’une logique productiviste. Cette logique a détruit l’objectif « naturel » de la production, la satisfaction des besoins des producteurs. Cette logique conduit l’humanité dans une impasse.
L’activité humaine approche des limites supportables par l’écosystème « Terre ». De très lourdes menaces pèsent sur la planète. Il y a contradiction entre le maintien d’une économie capitaliste productiviste et la survie de l’humanité.
Aussi le combat écologiste ne peut pas seulement s’inscrire dans les luttes, bien sûr nécessaires, contre les pollutions et les dégradations les plus flagrantes. Un écologisme conséquent ne peut qu’être radicalement anticapitaliste. Il doit s’en prendre à la logique et à la nature même du système, et lui opposer un autre modèle de développement, une autre conception du travail et des technologies, une autre forme de consommation, et bien évidemment un autre rapport entre la société et la nature. La lutte écologiste peut inspirer un projet de société globalement alternatif au capitalisme, et un projet de vie fondé sur un lien profond, retrouvé et renouvelé, entre les hommes et la nature. Entendons-nous bien, il ne s’agit pas de tomber dans le mythe d’une nature « pure » détruite par l’homme. L’homme, ses activités créatrices et productives font partie de la nature. La planète terre, sa flore et sa faune n’ont jamais constitués un système figé, mais au contraire ont été le siège d’une évolution constante, d’un équilibre dynamique de ses composantes.
Mais l’évolution technologique du XXe siècle a créé une situation nouvelle. L’homme est aujourd’hui en capacité, s’il ne maîtrise pas son développement, de créer une rupture, un déséquilibre brutal de la planète. Le XXe siècle a vu la pollution « acceptable » (c’est-à-dire supportable par l’environnement) produite par l’activité humaine, se transformer en déséquilibre mettant en danger l’avenir de l’humanité. Les mesures sectorielles ne peuvent rien contre la montée générales des déséquilibres. C’est à la cause du mal qu’il faut s’attaquer.
Or ce n’est pas l’action prioritaire dans les institutions politiciennes, ni la seule intervention de spécialistes qui peuvent régler les problèmes urgents révélés par l’écologie. De grandes mobilisations de masse sont nécessaires. Et les thèmes de l’écologie doivent être repris en compte par le mouvement ouvrier. Et ceci d’autant plus que les travailleurs sont les premiers frappés par les désastres écologiques, dans la production et dans leur vie quotidienne.
L’humanité se doit de maîtriser sa croissance démographique, de contrôler sa production industrielle, sa consommation en énergie fossile, de réinventer une agriculture qui n’épuise pas les ressources en eaux et les sols. Le productivisme est fondamentalement incompatible avec une telle évolution. D’une part, parce qu’il nécessite une croissance explosive de la production, de la consommation et de la population. D’autre part, parce qu’il repose sur des sociétés profondément inégalitaires, incapables de gérer collectivement une répartition harmonieuse des richesses disponibles.
Le combat écologique, parce qu’il n’a pas de sens sans l’affirmation de la nécessité d’un autre type de développement, est inséparable du combat pour une démocratie directe et pour une égalité économique.
Les mobilisations écologiques sont appelées à prendre des développements importants. Les victoires partielles qu’elles peuvent obtenir sont importantes, mais elles ne prendront tout leur sens que si elles permettent d’affaiblir l’emprise idéologique du productivisme sur les populations, si elles s’accompagnent du développement de la démocratie et de la solidarité à la base de la société, si elles sont un pas en direction d’un autre modèle de développement.
Le combat écologiste, en partant d’un angle différent, peut et doit donc se lier aux luttes de classe, dans une contestation globale du capitalisme.
Un combat contre toutes les aliénations
Notre combat n’est pas seulement tourné contre une certaine forme de production matérielle et sa domination sur le travail, la société, le monde, et la nature. Nous sommes porteurs d’aspirations libertaires qui dépassent la seule lutte de classe. L’émancipation de chaque individu n’est pas pour nous une perspective secondaire mais l’objectif majeur de la lutte sociale. Loin de les opposer, nous affirmons que la lutte pour la libération, la liberté individuelle, ne peut avancer sans le concours des luttes collectives.
Depuis des millénaires, des oppressions et des aliénations étouffent l’épanouissement de chaque individu et de nombreux groupes sociaux : le racisme, la xénophobie, l’oppression des femmes, l’ordre moral qui s’exerce notamment contre l’homosexualité, les conformismes culturels…
Ces aliénations, le capitalisme ne les a pas générées, mais elles le servent comme autant de moyens pour cimenter sa domination, en opprimant les facultés créatrices et vitales de chacun, et en distillant les haines et les divisions dans la population.
Les religions comptent parmi les principaux vecteurs des aliénations : par la vision du monde qu’elles proposent par les formes hiérarchisées qu’elles se sont données, par leur prétention à enserrer la vie de chacun dans un réseau de dogmes, de tabous et de règles imposées. Nous sommes certes pour la liberté du culte, nous respectons les choix de chacun, et nous dénonçons les persécutions et les interdictions. Mais nous refusons toute emprise des religions sur la société et nous voulons les soumettre à une critique radicale.
Nous sommes donc partisans d’une lutte globale qui prenne à partie toutes les formes d’aliénation et d’oppression, et qui se donne pour finalité le respect absolu de l’identité de chacune et de chacun, que tous puissent vivre, aimer, travailler, créer, s’exprimer librement, sans barrière de race, de sexe, de nationalité, d’âge ou de mode de vie, que tous puisse trouver une place dans la société humaine, s’y épanouir et disposer de moyens d’existence satisfaisants.
Si le capitalisme soutient, tout en les renouvelant, des aliénations multimillénaires, il est lui-même porteur d’aliénations spécifiques. Au travail, où l’individu est parcellisé, dominé et réduit au statut de marchandise. Dans le rapport de l’homme à la nature. Dans la vie quotidienne, où le mode de consommation est déterminé par la logique des profits.
Nous sommes donc pour que s’épaulent les luttes de classe et les diverses luttes contre les aliénations, sans réduire celles-ci aux conditions des premières. La destruction de l’ordre capitaliste, la construction de nouveaux rapports sociaux égalitaires et libertaires, apporteront les bases nécessaires – même si elles ne sont pas à elles seules suffisantes – à une ère d’émancipation.
Un combat contre l’oppression des femmes
L’oppression des femmes trouve un appui décisif dans le capitalisme, qui impose dans les entreprises l’inégalité entre les hommes et les femmes, et dans de nombreux cas brimades et exploitation sexuelle.
La lutte pour l’émancipation et pour l’égalité des femmes est un des thèmes essentiels du combat libertaire, indissociable pour nous de l’anticapitalisme et de l’antiétatisme.
Cette lutte a déjà imposé des transformations réelles dans les consciences et dans la vie, grâce aux mobilisations massives des femmes dans les années 70 et 80. Aujourd’hui, ces acquis sont plus ou moins remis en cause notamment par des pressions constantes contre le droit à l’IVG. Nous devons défendre ces acquis, dans et hors des entreprises, et les élargir encore.
Partout où du terrain a été gagné s’exerce la pression contraire, qui vise à déposséder les femmes de la maîtrise de leur vie, de leur corps et de leur sexualité, et qui cherche à les reléguer à une place subalterne et soumise conforme à l’image traditionnelle de la femme.
Une pression qui trouve dans les systèmes en place, et notamment dans les Églises de diverses confessions, des soutiens actifs.
Aussi la lutte contre l’oppression des femmes est-elle un de nos combats majeurs, dans et hors des entreprises, en lien avec la lutte de classe.
C’est pourquoi nous rejetons la conception traditionnelle du militant ouvrier et révolutionnaire dont la disponibilité pour la cause est fondée sur le confinement domestique d’un des conjoints. Une forme nouvelle, alternative, de militantisme est à découvrir et à expérimenter par les hommes et les femmes qui ne reproduise pas à l’intérieur du mouvement d’émancipation, les rapports patriarcaux et les aliénations domestiques.
Un combat anti-étatiste
Nous refusons le mythe de l’État républicain, neutre, démocratique, au-dessus des intérêts particuliers. L’État, c’est au contraire l’organisation de la violence politique des classes dirigeantes qui s’impose à la base de la société. L’État républicain, comme tous les États, est une structure pyramidale et centralisatrice où le pouvoir s’exerce du haut vers le bas. L’État est par nature centralisateur, oppressif, uniformisateur. Arme des classes dirigeantes, il encadre, forme, quadrille, corrige et réprime la population.
L’État moderne est un État capitaliste. Il est même le corps central du capitalisme, conçu pour en gérer les grands mécanismes, tissant des liens inextricables avec le capitalisme privé, et lui-même entreprise capitaliste parmi les plus puissantes, générant une classe technobureaucratique.
L’État français repose sur l’équation « Nation-Patrie-État » construite au prix de l’écrasement des spécificités culturelles, régionales, locales, au profit d’une culture centrale, dominante, appauvrie.
Dans le cadre de l’intégration européenne, ce processus est partiellement remis en cause : la déconcentration-décentralisation transfère quelques pouvoirs aux notables régionaux et départementaux. Mais cela ne modifie pas notre analyse. L’Europe, qui se construit réduit (et réduira plus encore) les particularismes. Elle centralise (et centralisera toujours plus) les pouvoirs essentiels à la pérennité du système. Les niveaux géographiques de l’État se transforment pour mieux répondre à l’internationalisation du capitalisme. Nous affirmons que capitalisme et démocratie sont antinomiques, que celle-ci ne peut pas se construire comme système politique sur le socle d’une production par essence inégalitaire. La société capitaliste moderne est marquée par la contradiction entre sa prétention à prendre en charge les intérêts collectifs de toute la population, et sa finalité réelle, au service des privilégiés. La lutte pour une démocratie authentique est un des enjeux majeurs de la lutte de classe sur les bases d’une transformation du mode de production actuel.
Nous critiquons donc le caractère illusoire et mensonger de la « démocratie parlementaire » qui masque le pouvoir du mode de production capitaliste sur la société. La possibilité de choisir les dirigeants de l’État et les législateurs ne peut être dissociée de la structure hiérarchisée de l’État, ni de sa fonction de gestion du capitalisme. Le système parlementaire fait du citoyen un électeur passif, qui délègue son pouvoir à des dirigeants qui ne pourront pas agir contre les intérêts essentiels des classes capitalistes.
Nous ne renvoyons cependant pas dos à dos dictatures et démocraties parlementaires. Celles-ci sont les produits d’un compromis – avantageux pour le système, façonné par lui – entre les aspirations et les luttes démocratiques portées par la population et le prolétariat, et les intérêts des classes dominantes, qui ont besoin d’un consensus politique minimum. Aussi l’État moderne parlementaire est-il porteur de contradictions importantes. Ce sont les luttes menées depuis deux siècles qui lui ont imposé la liberté d’expression et d’organisation, le suffrage universel, le suffrage des femmes. Ce sont elles aussi qui lui ont imposé la prise en charge d’une dimension sociale et solidaire, et une conception égalitaire des services publics. L’État moderne est l’enjeu de luttes et de tensions de classe contradictoires, les unes visant à l’extension de ces droits, les autres à leur remise en cause. Ainsi nous nous opposons à la privatisation des services publics, qui remet en cause toute logique d’utilité sociale.
Aussi ne sommes nous pas des abstentionnistes de principe. Tout en affirmant qu’aucun changement radical profitable au prolétariat ne peut être apporté délibérément par des élus, nous n’excluons pas a priori la possibilité de voter ou d’appeler à voter, dans certaines conditions, pour tel ou tel candidat, tout en rappelant notre critique radicale de l’électoralisme et notre priorité absolue aux luttes sociales.
Notre combat est anti-étatiste. Il oppose à l’État capitaliste et parlementaire un projet alternatif, pour une démocratie autogestionnaire et fédéraliste reposant sur la collectivisation des grands moyens de production.
Cet anti-étatisme s’exprime dans les révoltes et les combats contre l’armée et la militarisation de la société, contre l’ordre policier, contre l’injustice, contre le régime carcéral et contre le système éducatif actuel.
Il participe aux luttes contre toutes les dictatures, et aux luttes pour étendre les libertés démocratiques dans les systèmes parlementaires, en affirmant que l’exigence démocratique est en rupture avec l’appareil d’État et avec le système social qu’il défend.
Une stratégie reposant sur les luttes sociales et leur autogestion
Seules les luttes directes menées à la base peuvent imposer de véritables transformations contraires aux intérêts capitalistes. Nous opposons une stratégie de luttes sociales motrices des changements à la stratégie social-démocrate de transformations opérées depuis les institutions étatiques par les partis politiques.
Les acteurs et les décideurs de ces transformations ne sont donc pas les dirigeants politiques ou les minorités militantes, mais les travailleurs, la jeunesse, la population, s’inscrivant dans des mouvements de masse qui associent sans élitisme le plus grand nombre possible de concernés.
L’autogestion des luttes, le pouvoir aux Assemblées générales, leur coordination démocratique, sont les conditions et les formes nécessaires pour que la base remplisse ce rôle de décideur collectif. De multiples expériences ont démontré la validité de la démocratie directe.
Les militants peuvent apporter une aide décisive au déclenchement et à la conduite des luttes de masse. Loin de nier leur importance et la nécessité de leur action, nous proposons aux minorités conscientes et actives une conception autogestionnaire du rôle des animateurs des luttes. Placés souvent en situation active, organisateurs, porte-parole, coordonateurs, délégués, l’intervention des militants autogestionnaires est nécessairement contradictoire, puisqu’elle tend en même temps à l’autodirection des mouvements par la base, à la prise de parole par tous, qu’elle fait appel à la prise de conscience et à la responsabilisation collective. Cette dialectique vivante est nécessaire. Elle peut permettre d’éviter deux écueils : celui du dirigisme, et celui d’un spontanéisme où les minorités refuseraient d’assumer leurs responsabilités.
L’autonomie ouvrière, et plus largement celle de tous les mouvements sociaux, est nécessaire à cette affirmation de la base sociale comme sujet maîtrisant ses luttes. Autonomie par rapport aux institutions étatiques et aux pouvoirs patronaux. Autonomie par rapport à toute forme de direction extérieure.
Les luttes sociales ne se limitent pas à celles que les travailleurs mènent dans les entreprises. La remise en question globale du système passe aussi par d’autres mobilisations de masse autogérées : celles de la jeunesse, des chômeurs et précaires, les luttes sur l’habitat, le cadre de vie, l’écosystème, les droits des femmes, les luttes contre le racisme…
Dans une telle conception des luttes sociales, nous donnons la priorité, non pas à la radicalité idéologique, mais à la possibilité de mobiliser, de faire agir, débattre collectivement des franges importantes des travailleurs, de la population.
Une révolution autogestionnaire ne pourra se construire sans l’affirmation d’une volonté massive de la société. L’impact de nos luttes d’aujourd’hui sur la conscience collective dépendra bien évidemment de nos capacités à développer des pratiques autogestionnaires et alternatives à un niveau de masse.
Dans cette optique, nous combattrons les tentations avant-gardistes, les minorités s’autoproclamant représentantes de la base. Il s’agit dans un premier temps de construire des mouvements réellement représentatifs, tout en y avançant des propositions visant à dépasser leurs limites propres (isolement, corporatisme,…) et en y soutenant des orientations autogestionnaires.
Cela ne signifie pas la condamnation de toute action minoritaire, mais cela signifie que toute action minoritaire doit s’inscrire dans une perspective d’élargissement à un niveau de masse.
Nous affirmons que les luttes revendicatives – dont les objectifs ne sont donc pas, par définition, révolutionnaires – peuvent entraîner la mobilisation massive des exploités et permettre des prises de conscience et des expérimentations concrètes d’auto-organisation porteuses de ruptures anticapitalistes.
De grands objectifs de transformation, des projets alternatifs, portés par des mouvements de masse, peuvent faire avancer l’aspiration à un changement global de société.
De même des réalisations alternatives, des coopératives et des activités associatives autogérées, peuvent être porteuses d’une remise en question globale de la société, si elles savent rester en lien avec les travailleurs, la population, les luttes de classe.
Nous ne sommes donc opposés en soi ni aux revendications ni aux réformes. La ligne de démarcation entre « réformisme » et « lutte de classe » se situe à nos yeux entre réformes arrachées par des luttes autonomes, ou réformes octroyées délibérément par les pouvoirs ou négociées à froid.
On ne saurait toutefois trop dénoncer la faculté de récupération du système capitaliste, et sa capacité à remettre en cause ultérieurement tout ce que les rapports de force peuvent lui imposer.
Un combat syndicaliste révolutionnaire
La lutte revendicative passe le plus souvent dans les entreprises par l’action syndicale. Nous préconisons la participation active au syndicalisme compris d’abord comme une certaine pratique de masse et de classe des travailleurs, mais sans anticiper sur les formes d’organisation que les travailleurs pourraient se donner dans le cadre d’un processus alternatif.
L’organisation syndicale étant, ou devant être, un outil au service de cette pratique de terrain.
Nous sommes conscients que le mouvement syndical est par nature – comme toutes les luttes menées contre le capitalisme dans une période non révolutionnaire – traversé par une contradiction entre intégration et rupture. Et que l’intégration génère une tendance lourde aux compromis sociaux et à la bureaucratie.
Nous défendons un syndicalisme révolutionnaire opposé aux pratiques, aux orientations, aux structures dominantes dans les organisations syndicales. Nous préconisons l’indépendance syndicale, la démocratie interne et le fédéralisme, le soutien à l’auto-organisation des luttes et le respect de l’unité ouvrière, une pratique interprofessionnelle et de solidarité internationale, et une finalité de transformation autogestionnaire de la société.
Le choix d’adhérer à tel ou tel syndicat appartient en toute liberté à chacun d’entre nous. Nous pouvons être conduits à inscrire notre syndicalisme révolutionnaire dans des cadres très différents : grandes confédérations d’orientation réformiste, structures syndicales plus petites ou plus sectorielles de lutte de classe, collectifs de travailleurs ayant une pratique de nature syndicale. L’essentiel est pour nous la possibilité réelle, offerte par telle ou telle structure, de faire un syndicalisme de masse dans l’entreprise, et l’existence de collectifs militants.
Notre syndicalisme se pense donc essentiellement en terme de pratique de terrain et s’inscrit d’abord dans les structures de base. C’est au service de cette activité des collectifs de base que des camarades peuvent être mandatés à tous postes et à tous niveaux par les adhérents et militants.
Syndicalistes révolutionnaires, nous refusons la division du travail social-démocrate entre parti qui s’occupe de la politique, c’est à dire aussi de toutes les questions de société, et syndicat cantonné aux revendications immédiates dans l’entreprise. Pour nous l’organisation syndicale doit être porteuse de sa propre stratégie politique de transformation de la société, élaborée en toute indépendance.
Enfin nous refusons le rôle de « courroie de transmission » que le léninisme veut imposer à l’organisation syndicale. S’il est naturel que le fait syndical comme tout les faits de société importants soit discuté partout y compris dans les courants politiques, nous réfutons la pratique de « fraction » qui conduit ses membres, quelle que soit leur opinion, à appliquer les positions majoritaires ou les directives de leur parti dans le syndicat.
Un combat internationaliste
Le capitalisme s’est construit à l’échelle mondiale. Une stratégie de lutte de classe serait donc impensable si elle se limitait à un seul pays. Les enjeux sont internationaux, et les mouvements sociaux ont là un retard important à combler. Un combat pour une orientation internationaliste est nécessaire, qui devra passer sur le corps de bien des résistances nationalistes et localistes.
Nous sommes résolument pour l’organisation de coordinations internationales sur toutes les branches d’activités et sur tous les fronts.
Un combat internationaliste passe à la fois par une solidarité et par des actions internationales. Solidarité internationale, avec les luttes du monde, avec les militants, entre les peuples. Actions concrètes coordonnées, unités internationales à construire pour s’affronter à des pouvoirs depuis longtemps multinationaux.
Un combat internationaliste vise donc à la multiplication des liaisons et des luttes, pour qu’émerge le projet d’une vaste solidarité des contre-pouvoirs ouvriers et populaires contre les classes dirigeantes de l’Est et de l’Ouest du Nord et du Sud.
La perspective est bien la refondation d’un nouveau mouvement international, anticapitaliste et anti-autoritaire, imposant une paix juste et le projet d’une planète entièrement démilitarisée où les frontières entre les hommes auraient été renversées.
Cet objectif est encore plus indispensable avec l’instauration d’un nouvel ordre mondial, sous dominance des États-Unis, et dans lequel les possibilités de chaque peuple sont de plus en plus limitées.
Un combat révolutionnaire
Nous sommes révolutionnaires c’est-à-dire partisans d’une transformation radicale de la société. La lutte de classe peut conduire à un renversement des priorités et des critères dans la société. Elle peut substituer des rapports de production autogestionnaires aux rapports capitalistes ; une démocratie autogouvernée et fédéraliste, à l’État ; un nouveau rapport mondial égalitaire, à l’ordre impérialiste.
Être révolutionnaire, cela ne signifie pas attendre passivement une rupture « inéluctable » : l’avenir n’est écrit nulle part, il sera ce que les hommes en feront, et à chaque situation historique le champ des possibles est largement ouvert. Il n’y a aucune raison pour que l’histoire ait atteint son stade ultime : le capitalisme ne sera pas la dernière forme de la société humaine. Mais un socialisme autogestionnaire ne lui succédera pas mécaniquement, au terme d’une « crise finale » à une seule issue possible.
Être révolutionnaire, cela ne signifie pas non plus se couper des conditions de vie et de lutte nécessairement limitées qu’impose le cadre capitaliste, tant qu’on ne l’a pas renversé. Nous refusons le « tout ou rien » et affirmons bien au contraire que la voie qui peut préparer une révolution future se trouvera au travers des contradictions de la société réelle, et de toutes les luttes partielles que l’on doit y mener.
La rupture révolutionnaire, le passage global d’une société capitaliste à une société autogérée nous paraît l’aboutissement d’un long processus historique de luttes de classe et de maturation des consciences, où les travailleurs et la population imposeront progressivement leur contre-pouvoir.
Révolutionnaires, nous ne sommes pas a priori partisans d’une solution violente. L’essentiel dans un processus de transformation est dans l’œuvre constructive, qui nécessite une autodéfense de la population pour préserver les acquis. Mais le degré de violence d’une révolution est d’abord choisi et imposé par les classes dirigeantes renversées. Elle peut donc être nécessaire. Il faut alors faire preuve de vigilance, pour se garder des excès et du danger de militarisation.
Excepté dans les situations de dictature ou d’occupation militaire ou coloniale, nous sommes opposés aux actions minoritaires violentes menées par des groupes armés coupés de la population et des travailleurs, et nous sommes notamment opposés aux attentats mettant en jeu la vie des personnes. L’action minoritaire armée, menée dans ces conditions, conduit au face à face avec l’État ; elle légitime le renforcement de celui-ci et conduit à un isolement paranoïaque.
Par ailleurs, dans le contexte de reflux des luttes, le système policier et judiciaire tend à criminaliser de nombreuses formes de luttes de masse. Aussi établissons-nous une ligne de démarcation claire entre les actions armées minoritaires isolées et les formes dures prises par les luttes des travailleurs et de la population pour la défense de leur acquis et de leurs combats.
De même, nous ne confondons pas l’action armée minoritaire avec l’illégalisme qu’impose aux organisations révolutionnaires et à la classe ouvrière un État fort niant le droit de grève ou de manifestation. Nous ne réduisons pas non plus l’action symbolique de minorités contre les images du pouvoir et de l’exploitation à un terrorisme aveugle.
Enfin, nous devons souligner que ce qui engendre l’action armée minoritaire c’est souvent le terrorisme d’État, notamment dans les pays colonisés ou du tiers monde.
Pour conclure, disons que la limite de l’action des révolutionnaires ne se fixe pas en terme de respect de la légalité imposée par l’État mais évolue en fonction de la conscience des masses en ce qui regarde la légitimité de l’action.
Le socialisme spontané des travailleurs
Notre conception du socialisme n’est pas le fruit d’une élaboration extérieure aux luttes du prolétariat. Nous affirmons au contraire que ce sont les travailleurs eux-mêmes qui ont spontanément découvert et redécouvert les bases d’une société alternative au capitalisme, à travers leurs luttes et notamment dans les périodes révolutionnaires.
Dès la révolution française nous en discernons les premiers signes. Au cours de la Commune de Paris en 1871, en Russie et en Ukraine de 1917 à 1921, en Espagne de 1936 à 1937 se sont développées les bases d’un autre socialisme possible, finalement écrasé par une nouvelle bureaucratie ou par la bourgeoisie. Chaque expérience révolutionnaire, chaque temps fort des luttes de classe est venu confirmer cette aspiration à une société et à une production réappropriées par la base, depuis les entreprises collectivisées et autogérées et les communes libres, avec une fédération organisant la société nouvelle.
Tout un courant anti-autoritaire du mouvement ouvrier s’est inspiré de ce socialisme spontané des travailleurs et c’est de lui que nous nous réclamons. Force est de constater que ce sont d’autres courants qui se sont imposés pendant des décennies : des socialismes d’État – social-démocratie, léninisme, stalinisme –, qui se sont opposés aux aspirations du socialisme spontané. Et qui ont conduit le mouvement ouvrier à l’impasse.
Le socialisme spontané des travailleurs a ouvert une perspective extraordinaire pour l’humanité, en esquissant à travers des réalisations concrètes une forme supérieure de démocratie.
Mais les expériences historiques ont également révélé des limites et des faiblesses dont il faut tenir compte. C’est pour cette raison qu’un projet cohérent porté par une organisation de militants est aujourd’hui nécessaire pour poser les problèmes auxquels se heurte et se heurtera le socialisme spontané des travailleurs. Si l’existence d’un tel projet n’est pas une garantie infaillible, elle peut néanmoins aider le mouvement autogéré des masses à surmonter ses faiblesses et limites évitables.
Une alternative aux socialismes d’Etat
Nous affirmons qu’il faut rompre avec le socialisme d’État, se ressourcer aux racines spontanées du socialisme des travailleurs, y chercher les termes d’un nouveau socialisme antiautoritaire sans lequel il ne saurait y avoir de renaissance pour la lutte révolutionnaire.
La social-démocratie
La social-démocratie repose sur l’illusion de la démocratie formelle sous la forme républicaine, la croyance en un État « neutre », au-dessus des classes, et donc retournable en faveur des intérêts des exploités.
Il y a un double leurre : la promesse de diriger l’État capitaliste contre les intérêts capitalistes ; et la perspective d’une transformation progressive de la société, pacifique et légale, réformiste, par lois et décrets, du capitalisme au socialisme.
Il s’en suit une stratégie politique inscrite dans les institutions du capitalisme, respectueuse de celles-ci. La social-démocratie est d’abord un socialisme étatiste, reposant sur la délégation de pouvoir, profitant aux politiciens et aux classes dirigeantes, bureaucratiques, et technocratiques.
Le bilan de la social-démocratie est désastreux pour le prolétariat. Instauration de « paix sociales » où les travailleurs perdent leurs capacités de résistance, soumission des organisations syndicales aux impératifs de l’électoralisme et à ceux des politiques gouvernementales lorsque la gauche est au pouvoir.
La social-démocratie s’est peu à peu révélée : une forme de gestion du capitalisme intégrant toujours plus le credo libéral.
Le léninisme et le stalinisme
Projet d’une transformation révolutionnaire de la société sous la direction d’un parti dirigeant et par la concentration de toute l’économie aux mains de l’État, le léninisme, a également fait faillite en méprisant et en combattant l’essentiel du socialisme spontané des travailleurs, autogestionnaire et fédéraliste. Le bilan est terrible, et des dictatures sanglantes ont entaché le mot même de « communisme » dont le sens réel est pourtant radicalement opposé.
L’histoire l’a maintenant démontré : l’étatisation des moyens de production n’implique pas une rupture avec le rapport capitaliste dirigeants/dirigés mais le passage d’un capitalisme éclaté, concurrent, à un capitalisme d’État, avec à sa tête la constitution d’une nouvelle classe dirigeante et exploiteuse. L’étatisme ne peut être présenté comme une forme de transition entre le capitalisme et le socialisme mais comme une nouvelle forme d’oppression des travailleurs.
Aucun parti ne peut s’autoproclamer « l’avant-garde du prolétariat », prétendre représenter la conscience de toute une classe, se substituer à celle-ci dans la direction du processus révolutionnaire et dans celle de la société, imposer sa dictature aux travailleurs au nom de leur émancipation.
La forme centraliste, fortement hiérarchisée, du parti léniniste, logique avec sa fonction de prise du pouvoir et de direction d’un État contrôlant toutes les activités sociales, conduit à la tyrannie à l’intérieur de l’organisation, à l’écrasement de toutes les autres formations à l’extérieur de celle-ci, à la coupure dirigeants/dirigés entre le parti et les travailleurs, entre le parti et la société.
La stratégie de prise du pouvoir par le parti conduit également à des pratiques détestables dans le cadre des luttes quotidiennes : schéma de la courroie de transmission soumettant les organisations de masse et les syndicats aux directives du parti, dirigisme et centralisme dans la conduite des luttes, soumission des interventions de masse des militants à l’impératif supérieur de l’intérêt du parti.
Certes nous ne tirons pas un trait d’égalité entre stalinisme et léninisme. Celui-ci est un courant révolutionnaire, alors que le stalinisme est d’abord un système de défense d’une bureaucratie en place. Mais force est de constater que c’est le léninisme qui a permis l’instauration de cette bureaucratie, et qu’il a ouvert la voie aux crimes contre la démocratie et contre les travailleurs.
Les courants social-démocrate et léniniste constituent un leurre dans la mesure où ils promettent, chacun à leur manière, de diriger l’État contre les intérêts capitalistes et en faveur des travailleurs (réforme de l’État ou construction d’un État « ouvrier » ). Les expériences gouvernementales de la social-démocratie et le bilan globalement négatif du lénino-stalinisme d’État, sont le cimetière où reposent les illusions prolétariennes de « lendemains qui chantent » .
Social-démocratie et léninisme ne peuvent cependant se réduire à des semeurs d’illusions dans le mouvement ouvrier. Ils ont en effet trop souvent servis d’arme contre le socialisme spontané des travailleurs dans la mesure où leur venue au pouvoir, pacifique ou violente, a servi à résoudre au profit du capital les antagonismes de classe : gestion des crises par les sociaux-démocrates et développement du capitalisme d’État par les léninistes.
Pis, ces courants n’ont jamais hésité à assumer un rôle ouvertement contre-révolutionnaire. Allemagne 1918, Russie et Ukraine 1921, Espagne 1937-1939, Algérie 1954-1962 : autant d’exemples de leur participation à la répression sanglante des mouvements ouvriers révolutionnaires et des révoltes des peuples colonisés.
La nécessité d’un projet révolutionnaire
Un nouveau projet révolutionnaire est nécessaire, alternatif aux socialismes d’État et au libéralisme.
Par projet révolutionnaire nous entendons le projet d’une société socialiste, et le projet politique, stratégique, qui propose une voie pour préparer les conditions d’une révolution autogestionnaire en partant des conditions actuelles.
L’utopie peut avoir une incidence décisive sur les mouvements sociaux. En stimulant l’imagination collective, elle alimente les luttes immédiates, tant dans leur forme que dans leurs objectifs, et elle peut donner force et crédit à l’anticapitalisme en explorant les possibilités d’une société alternative. L’imaginaire est nécessaire pour transformer les réalités.
S’il nous semble nécessaire que notre courant porte un tel projet, nous ne prétendons pas pour autant nous substituer à l’élaboration collective des mouvements sociaux. Nous distinguons donc notre projet spécifique, élaboré depuis nos réalités et l’intégralité de nos aspirations, et les projets que les mouvements de masse se donneront eux-mêmes dans certaines époques historiques.
Notre projet n’a pas la prétention de prédire l’avenir, ni de tout prévoir, ni d’être un ensemble de promesses, ni d’être le plan tout prêt d’un socialisme à construire tel quel. C’est bien évidemment à travers leurs expériences que les travailleurs trouveront leurs réponses à nombre de questions de société. Mais dans cette élaboration, nos propositions peuvent avoir valeur de contributions et d’incitation, infléchissant le débat d’idées et les pratiques dans le sens le plus libertaire, le plus autogestionnaire possible.
L’élaboration d’un projet révolutionnaire s’appuie sur les expériences historiques et sur les expériences contemporaines des luttes. Tenant compte des difficultés rencontrées dans les processus historiques réels, il tentera des réponses réalistes. De même il doit prendre appui sur le développement technologique et les conditions culturelles d’aujourd’hui.
Le projet révolutionnaire nécessite donc une réévaluation régulière, intégrant les expériences nouvelles des luttes sociales et les avancées de la société.
L’élaboration et la défense d’un projet libertaire contemporain implique la révision et l’abandon d’un certain nombre de mythes, d’erreurs, et d’idées dépassées, portées historiquement par le mouvement révolutionnaire et par les courants libertaires. Elle ne peut avancer sans que l’on tourne le dos aux dogmatismes et aux archaïsmes.
Les finalités d’un socialisme anti-autoritaire
Le socialisme pour lequel nous combattons, le socialisme anti-autoritaire, veut une transformation radicale de la société concrétisant le socialisme spontané des travailleurs, réalisant les aspirations égalitaires et libertaires maintes fois exprimées dans les luttes de classe des exploités et dans les luttes émancipatrices des femmes et des opprimés.
Le socialisme anti-autoritaire, c’est la recherche d’une démocratie authentique : le peuple souverain auto-instituant la société, auto-gouvernant sa politique, autogérant sa production.
Démocratie enfin réalisée, parce que les rapports de production, le rapport salarial sont brisés, que les grands moyens de productions sont socialisés, collectivisés à la base et non étatisés, que l’autogestion se substitue au rapport dirigeants/dirigés, et qu’ainsi la division de la société en classes antagonistes est remplacée par une communauté humaine en réunification, socialement et politiquement égale et libre.
Démocratie authentique, parce que l’appareil d’État – c’est-à-dire l’appareil de domination des classes exploiteuses – est brisé, remplacé par une organisation fédéraliste de la société et par l’autogestion généralisée exercée sur toutes les grandes décisions, la souveraineté collective en acte, la Démocratie « de bas en haut » ou « de la périphérie vers le centre », le pouvoir aux Assemblées de base et à leurs conseils librement associés.
Le socialisme anti-autoritaire c’est le combat pour une société où l’individu soit à la fois libre et responsable. Libre dans un monde réel, où pèsent les nécessités matérielles, et dans une société où on participe aux tâches communes et à la responsabilité collective. Libre totalement de parole, d’expression, de création ; libre de son mode de vie, de sa sexualité, de sa culture. Et responsable, maître de son travail, participant au côté de tous et à égalité avec tous à l’autogestion de la production et de la société. Égal à tous, et donc accédant à égalité avec tous à la répartition des produits du travail. La finalité du socialisme anti-autoritaire c’est la construction d’une société où la collectivité solidaire permette à l’individu de s’épanouir dans ses spécificités. Une société où s’équilibrent et s’épaulent mutuellement l’individu, le local, le particulier et le collectif, le social, le culturel : une société égalitaire et libertaire.
Le socialisme anti-autoritaire donc comme exigence la désaliénation de tous et de toutes, la fin de toutes les oppressions, des racismes, des xénophobies, des intolérances, et du patriarcat. Ce qui passe nécessairement par une transformation radicale du mode de production, à la fois dans ses structures, ses formes d’organisations et de pouvoirs, et dans ses buts. C’est la fin d’une production déterminée par le profit. C’est le début d’une production tournée vers la satisfaction égalitaire des besoins exprimés socialement, ce qui ne signifie ni nivellement ni uniformisation dans une société fondée sur l’émancipation des individus et des communautés de base, c’est-à-dire sur la multiplicité autant que sur l’harmonisation des modes de vie. C’est une production qui rompt avec le productivisme, la course folle et destructrice du cadre de vie, et qui ouvre donc la voie à un rapport nouveau réintégrant la communauté des humains dans l’équilibre de l’écosystème. C’est une production où le travailleur, chaque travailleur, et collectivement le prolétariat et les autres couches dominées par le capitalisme, échappe au travail aliéné et aliénant, dominé, dirigé, pour accéder à un travail maîtrisé et ouvert à la créativité individuelle et collective.
Le socialisme anti-autoritaire c’est la fin d’un certain ordre du monde. La fin du colonialisme et de l’impérialisme, au profit d’un rapport égalitaire et solidaire entre tous les peuples, fondé sur l’autonomie, la production autocentrée pour chaque région, et la péréquation des richesses entre pays riches et pays pauvres. La fin de l’ordre étatique, au profit d’une fédération libre des régions autogérées. La fin des frontières et de la menace de guerre, pour un monde sans barrières et totalement démilitarisé.
Le contre-pouvoir et la rupture révolutionnaire
La révolution libertaire n’est pas une simple révolution politique substituant une équipe dirigeante à une autre, ou transformant les termes de la Constitution. C’est une révolution globale, touchant toutes les formes politiques, culturelles, économiques de la société. C’est pourquoi nous parlons de révolution sociale.
Les conditions de la révolution – ce qui peut conduire un peuple et des peuples sur la voie d’un tel bouleversement – ne sont ni uniquement idéologiques, ni uniquement « objectives ». La révolution n’est pas l’aboutissement mécanique d’un développement des forces productives. Elle n’est pas non plus le pur produit d’un processus idéologique. Elle ne peut survenir qu’au terme d’une dynamique ayant à son cœur les pratiques sociales, les pratiques réelles des masses et des individus, leurs luttes, qui se déploient dans les conditions matérielles de chaque époque, et qui permettent une prise de conscience collective et l’émergence de projets de transformation de la société portés de plus en plus largement.
La révolution sociale est donc préparée par un processus historique où la prise de conscience des individus et des classes sociales est l’élément central, qui s’appuie sur une expérimentation concrète à travers les luttes de classe, les luttes émancipatrices, et leur auto-organisation. Nous nommons contre-pouvoir ce processus. C’est en faisant eux-mêmes l’apprentissage de l’autogestion que les travailleurs poseront les bases d’une société alternative. C’est parce que le capitalisme et l’État apparaîtront comme des cadres trop étroits, étouffant cette montée des aspirations et des pratiques autogestionnaires de la base de la société, que celle-ci s’armera du désir de révolution.
La liberté n’est pas pour nous une fin lointaine autorisant le recours à n’importe quel moyen, mais au contraire et le but et le moyen. C’est une dynamique d’action et de conscientisation que nous proposons, non sous la conduite de dirigeants aveuglément suivis, mais au contraire par l’autogestion de luttes où s’expriment et se réalisent la base et les individus.
Le contre-pouvoir est donc une stratégie politico-sociale de préparation des conditions de la révolution sociale qui s’inscrit dès maintenant dans les combats quotidiens. Elle s’appuie sur les luttes revendicatives en dépassant le cadre imposé par le pouvoir des classes dominantes pour développer des contre-pouvoirs à la base. C’est en se coordonnant et en se fédérant que ces contre-pouvoirs tendront à s’ériger en organisation alternative à l’État.
La rupture révolutionnaire est le produit de tout ce processus, qui peut s’étendre sur de longues années : c’est le renversement des pouvoirs institués, patronaux, étatiques, par le contre-pouvoir, qui devient le pouvoir nouveau. Elle s’appuie sur une dynamique de réappropriations à la base de la vie sociale et de la production, en leur offrant le cadre nécessaire à leur systématisation.
La rupture anticapitaliste est le produit de deux mouvements articulés, indispensables l’un à l’autre. Il n’y a pas rupture révolutionnaire s’il n’y a pas réappropriation des moyens de production par les travailleurs. Et donc la lutte dans les entreprises et plus largement autour des questions du travail et de la production est bien un front prioritaire pour la lutte révolutionnaire. Mais il n’y a pas non plus de rupture sans un second mouvement social qui se développe hors de la production, gagnant de larges pans de la population et touchant tous les rouages de la société. Et donc l’entreprise ne saurait être la seule priorité du combat révolutionnaire.
Le prolétariat – dans la définition large qui est la nôtre – est bien la classe motrice et inspiratrice de la révolution sociale. Mais elle ne sera pas nécessairement la seule classe à mener la révolution. Elle a objectivement intérêt à s’allier à d’autres catégories de la population afin de réaliser un large front anticapitaliste. Il s’en suit que le nouveau pouvoir ne sera pas exclusivement le pouvoir du prolétariat – même s’il y pèse de façon décisive – et encore moins sa dictature, mais le pouvoir d’un groupe social nouveau, produit des nouveaux rapports de production autogestionnaires, s’unifiant dans un statut de citoyen-travailleur participant à la direction socialisée de la production, des études, et de la société.
Ce nouveau pouvoir ne pourra s’étendre immédiatement à l’ensemble de la population où s’exprimeront aussi les adversaires de la nouvelle société. C’est d’ailleurs là une des contradictions majeures de la révolution autogestionnaire dans sa première phase : construire une démocratie incomparable, et devoir combattre une partie de la population regroupée autour des vestiges de l’ordre ancien. Mais la dynamique est celle d’une disparition progressive des différences de classe.
Il y a donc, après la rupture révolutionnaire, une succession de phases de construction, et la première phase est encore marquée par les divisions héritées du capitalisme. Mais dès les premiers jours ce sont des rapports de production collectivistes – communistes au sens authentique – qui tendent à se mettre en place déjà dans les grands moyens de production et c’est aussi sur le mode de l’autogestion que se réorganisent les services publics et les solidarités naguère ébauchés et contrôlés par l’État. Et celui-ci est immédiatement remplacé par une nouvelle forme de centralisation et de décentralisation dialectique : le fédéralisme. Il y a donc succession de transitions où s’approfondit la construction du communisme, mais absence d’une société de transition étatisée intercalée entre capitalisme et communisme et différente de l’un et de l’autre.
Dans tout ce processus révolutionnaire – qui commence par des pratiques quotidiennes de contre-pouvoir – le rôle d’un courant organisé anti-autoritaire nous paraît nécessaire. Nous refusons le rôle dirigeant que le léninisme attribue au parti révolutionnaire et qui conduit celui-ci à se substituer aux masses et finalement à imposer un système générateur de bureaucratie. Mais les révolutionnaires ont à jouer un rôle d’animateurs et de guides. Leur propagande entre dans la dynamique de prise de conscience de la population, en proposant une critique radicale du capitalisme et une systématisation du socialisme spontané des travailleurs. Leur action concertée, convergente, organisée, est nécessaire dans les luttes de classe pour aider au développement de l’auto-organisation et à l’émergence de projets alternatifs.
Cette intervention volontaire est une des conditions du développement d’un processus qui n’obéit à aucune loi « inéluctable », et où la spontanéité a déjà montré dans l’histoire son extraordinaire valeur mais aussi son incapacité à mener seule le renversement de la société et l’institution d’un socialisme libre.
La présence active d’un courant organisé anti-autoritaire peut être décisive pour éviter les déviations bureaucratiques : un courant ayant les moyens de se faire entendre massivement par les travailleurs et les jeunes, mais également fortement implanté, formé de nombreux militants actifs dans les mouvements sociaux, en situations d’animateurs écoutés et influents. Nécessité de l’organisation, qui ne doit pas faire oublier que celle-ci peut tomber à son tour dans le dirigisme quelque soit ses prétentions libertaires, et qu’une autovigilance de tous les instants est indispensable, ainsi qu’une autogestion de la structure militante permettant la direction collective de l’organisation par sa base immergée dans la société.
Pour un communisme libertaire
Le projet de société que nous proposons s’appuie sur les expériences concrètes des travailleurs et des peuples révolutionnaires : communes libres, conseils ouvriers, fédérations, syndicalisme révolutionnaire.
Nous nommons ce projet communisme libertaire, non par référence au courant « communiste » marxiste-léniniste, mais dans la continuité d’un courant plus ancien et plus large, antiautoritaire, syndicaliste, conseilliste.
« Communisme » : une société fondée sur la mise en commun des moyens de production, sans appropriation privée ou privative, centralisée, c’est-à-dire sans classe et sans État.
« Libertaire » : une société qui a pour objectif et pour condition l’émancipation de la société, des travailleurs et des individus, qui passe par l’égalité économique et la démocratie de bas en haut de la production et de toute la société.
Le communisme libertaire est le projet d’une société en évolution, animée par un processus révolutionnaire permanent, qui étend progressivement la société nouvelle sur toute la surface terrestre, et qui gagne et intègre peu à peu toute la population.
Nous indiquons ici quelques grands axes de ce projet, tel que nous pouvons le concevoir pour la première phase de construction, c’est-à-dire alors que toute la population n’a pas encore été gagnée, que la révolution a encore de nombreux ennemis à l’intérieur et à l’extérieur, et qu’il faut faire avec l’héritage technologique tout en commençant immédiatement à le transformer.
Des rapports de production autogestionnaires
Par socialisation des moyens de production nous n’entendons pas concentration de ceux-ci aux mains de l’État mais possession collective par l’ensemble de la société, autogestion de la production dans sa globalité, et autogestion de chaque unité par ceux qui s’y emploient.
Par autogestion nous entendons pouvoir de décision collectif des assemblées de travailleurs, avec liberté totale d’expression et votes démocratiques. L’autogestion abolit les rapports de production capitalistes dirigeants/dirigés, avec l’organisation hiérarchisée et parcellisée du travail qu’ils impliquent. Dans l’autogestion les responsables, coordonnateurs, délégués, sont élus par les assemblées de base ; ils peuvent être révoqués par elles à tout moment, et ils sont soumis à la direction collective de la base, tenus d’appliquer les grands choix, les mandats impératifs adoptés et régulièrement renouvelés par les assemblées de base et les conseils locaux.
Le renversement des rapports de production repose sur une transformation radicale de la nature du travail. Les fonctions manuelles et intellectuelles, séparées par le capitalisme, sont réunifiées : chaque travailleur participe à la conception et à la décision, il est décideur pour la production et pour la société. Son temps de travail incorpore ces tâches de décideurs (y compris sur les questions « politiques » concernant la région, la société), les tâches d’exécution, et un temps très étendu de formation continue. Le temps n’est plus soumis à la division héritée du capitalisme entre travail parcellisé et loisir. Dans le cours de sa vie, le travailleur alterne participation à la production collective et participation à la vie sociale comme autant de formes de son épanouissement.
Cette transformation du travail, sa désaliénation, est le noyau central d’un profond processus de transformation remodelant radicalement le tissu productif et les technologies. Celles-ci devront s’adapter à ce nouveau mode de production et aux nouveaux critères de la société, ouvrant une période d’innovations et de renouvellement.
La production échappe aux impératifs des profits. Ce sont les besoins humains qui deviennent déterminants. Ces besoins ne sont pas et ne seront jamais « objectifs » : ils répondent à des données culturelles, à des aspirations personnelles, mais aussi à ce que la production propose. Il y a donc une grande diversité de besoins qui appellent un système forcément complexe de détermination des impératifs de production. Deux mécanismes parallèles nous paraissent pouvoir être mis en place. L’un de planification et de coordination générale autogérée, qui centralise les besoins recensés dans les communes et les régions, les unités et les fédérations de production. Cette planification assure la mise en œuvre collective des grandes transformations. Et elle garantit à tous la satisfaction des besoins fondamentaux, de façon libre, gratuite, solidaire : logement, santé, formation, nourritures de base… L’autre mécanisme recouvrirait l’intervention spontanée des individus et des communautés de base s’exprimant dans un marché libéré des contraintes de l’économie marchande mais permettant l’accès libre de chacun aux produits et aux services de son choix.
Une Démocratie fédéraliste et autogestionnaire
La Démocratie fédéraliste autogestionnaire repose sur les Assemblées de base des travailleurs et sur les communes. Elle structure la société à partir des régions, afin de créer des espaces de pouvoir collectif directement contrôlables par la population. Ces espaces régionaux autogérés ne reproduiront pas nécessairement le découpage des actuelles régions administratives. Elle vise à la fédération internationale des régions, à vocation universelle. Elle se donne des règles communes autogestionnaires, intégrant les droits acquis par l’appropriation collective des moyens de production. Ces droits et ces règles s’imposent à toutes les régions, garantissant la protection de chaque individu et de chaque communauté. Au-delà, la plus grande autonomie s’exprime à la base, dans les communes, dans les régions fédérées.
Le fédéralisme est une forme d’organisation et de centralisation/décentralisation qui permet d’éviter l’écueil du centralisme bureaucratique et celui d’une atomisation de la société. C’est l’équilibre entre l’initiative et l’autonomie des unités fédérées, et la solidarité entre toutes : une interdépendance sans hiérarchie, où les choix collectifs sur les questions communes sont prises et appliquées par tous. Le fédéralisme implique une conception ouverte, dialectique, de la société comme lieu où on peut tendre à équilibrer le champ du général et celui du particulier, mais sans jamais pouvoir réduire l’un à l’autre.
Le fédéralisme conduit à une structuration stabilisée de la société. La coordination de la production est assurée par des fédérations par branches. Chaque région fédère les communes et les unités de travail. Les régions forment une fédération internationale avec une large part d’autonomie. Chaque fédération est coordonnée par un conseil très large de représentants de la base, formé d’élus directs étroitement contrôlés et en lien avec leur mandants. Chaque fédération nomme des responsables soumis à la direction de la base.
Les conseils des fédérations régionales, professionnelles, etc. ont donc à charge de centraliser le pouvoir de la base, non pas en l’exerçant en son nom mais en organisant le débat démocratique. En assurant des consultations régulières de toute la population concernée s’exprimant depuis la base et tranchant entre les diverses options dégagées. Le conseil de la fédération est ensuite tenu d’exécuter les décisions démocratiques. Ces consultations se réservent aux grandes questions, aux grands choix, tandis qu’une très large part d’initiative est assurée aux unités fédérées.
Le mandat de la base n’est pas livré au seul moment de l’élection des délégués ou des responsables, et au vu des promesses des candidats ou des programmes de leurs organisations éventuelles. Le mandat impératif est donné sur un contenu décidé par la base et renouvelé régulièrement. La démocratie du bas vers le haut représente une forme radicalement nouvelle de pouvoir collectif, en rupture avec la division dirigeants/dirigés, gouvernants/gouvernés, la coupure entre l’État et la société de tous les systèmes de classe. Chaque « citoyen-travailleur » étant associé à ce pouvoir, le gouvernement est descendu dans l’atelier et dans la commune : c’est l’autogouvernement de la société, qui répond naturellement à l’autogestion de la production.
Les différences entre État parlementaire et fédération autogestionnaire sont radicales. Renversement du pôle du pouvoir, les instances de coordination centrales étant placées sous la direction de la base. Élection démocratique des délégués et responsables, délégation de tâches pour la coordination et les décisions courantes, mais refus de la délégation du pouvoir sur les grandes décisions, et donc démocratie directe. Les partis perdent leur rôle de vecteurs du débat et de force de direction de la société : les formations politiques peuvent s’exprimer librement et nourrir le débat démocratique, mais les délégués sont mandatés par la base et non par les partis.
La démocratie autogestionnaire implique la liberté absolue d’expression et d’organisation, la liberté du culte, la liberté totale de la presse.
Enfin la nécessité de défendre la nouvelle société de ses ennemis intérieurs et extérieurs, tout comme une persistance de la délinquance – en tout cas dans cette première phase – ainsi que des comportements et actes racistes ou sexistes, entraînent la nécessité d’un droit, d’une justice organisée, et de formes d’autodéfense militaire. Mais il s’agit bien de détruire les organismes répressifs de l’ancienne société et de mettre sur pied des structures étroitement contrôlées par la population et les conseils. Les risques de militarisation ou d’ordre policier sont évidents dans une période révolutionnaire et exigent une vigilance aiguë, avec en finalité une société complètement démilitarisée et dépolicée.
Un courant nouveau
Nous nous inscrivons dans une filiation historique qui prend ses racines aux débuts du mouvement ouvrier. Mais en même temps nous nous définissons comme un courant nouveau, produit d’une volonté de synthèses et de dépassements multiples.
Nous sommes dans la continuité des grands courants antiautoritaires de l’histoire, qui ont cherché à traduire les aspirations du socialisme spontané des travailleurs. Les collectivistes antiautoritaires de la première Internationale, les syndicalistes révolutionnaires et anarcho-syndicalistes, les communistes libertaires ou anarchistes communistes ont assuré la permanence d’un courant libertaire de lutte de classe dont nous nous réclamons.
Cette référence n’implique ni soumission à une doctrine figée ni apologie du passé. La référence est critique, elle n’épargne pas les faiblesses, les carences, les erreurs. Les tendances auxquelles nous nous référons sont vivantes, contradictoires, liées aux époques où elles sont apparues. Nous voulons bénéficier des acquis d’un courant majeur du mouvement ouvrier, et en rejeter tout ce qui nous semble dépassé ou erroné.
Nous sommes à la fois syndicalistes révolutionnaires (ou anarcho-syndicalistes) et communistes libertaires. Nous proposons donc une synthèse de l’ensemble des composantes libertaires « lutte de classe » et dans ce sens déjà nous constituons un courant nouveau.
Nous ne prétendons à aucun monopole. Diverses organisations et regroupements se réclamant d’une filiation libertaire existent. Nous sommes pour le débat, pour que les forces soient mises en commun aussi souvent que possible, sans nier les spécificités de chacun. Un même souhait de confrontations et d’unité nous conduit à refuser les sectarismes entre toutes les forces qui combattent le capitalisme.
Mais notre effort de synthèse ne s’arrête pas aux seuls courants libertaires. Nous cherchons une fusion des acquis positifs de l’ensemble des courants révolutionnaires.
L’avenir du marxisme révolutionnaire dans ce qu’il a de non jacobin, de non dirigiste, nous paraît être impensable, après la faillite historique du léninisme sans un ressourcement et une fusion avec le courant libertaire ouvrier. Et celui-ci a tout à gagner en intégrant, tout en le dépassant, le meilleur de Marx, du marxisme révolutionnaire et du conseillisme.
Nous faisons nôtre la recherche et la pratique d’une conception de l’histoire et d’une méthode d’analyse qui intègre les dimensions matérialiste et dialectique, échappant à un déterminisme économique simpliste et mécaniste. Avec Marx et Bakounine, nous nous opposons à une conception idéaliste de l’histoire, trop souvent d’un étroit moralisme ou manichéisme, et nous privilégions, à partir des facteurs sociaux, matériels mais également, dialectiquement, des facteurs culturels, psychologiques, conscients, la conception selon laquelle ce sont les hommes qui font leur histoire. Il y a, dans les débats menés aux premiers temps du mouvement ouvrier, avec leurs diversités et leurs contradictions, un grand capital de réflexion philosophique qu’il nous paraît nécessaire d’intégrer dans l’élaboration d’une conception de l’histoire et d’une méthode d’analyse actuelle, échappant au déterminisme économique tout en rappelant l’importance décisive des facteurs sociaux et matériels.
La synthèse que nous recherchons ne se limite pas non plus à une confrontation positive des courants marxistes révolutionnaires et libertaires. Nous nous tournons également vers les acquis d’autres courants révolutionnaires et radicaux : autogestionnaires, écologistes, féministes, gauches syndicales…
Ce processus d’ensemble, de synthèses et de dépassements, mais aussi d’innovations et d’intégrations aux conditions renouvelées de la lutte de classe, est une des conditions de l’émergence d’un nouveau courant dans le mouvement ouvrier à l’affirmation duquel notre organisation s’efforce de travailler.
Une organisation autogérée
Notre organisation n’est pas un parti : elle n’a pas pour vocation de briguer les voix des électeurs et de s’intégrer au jeu des institutions étatiques.
L’activité essentielle de l’organisation est d’appuyer, par sa politique et sa propagande, par sa réflexion collective, par la formation, l’aide qu’elle apporte, par l’action de ses membres, le développement des luttes anticapitalistes et l’auto-organisation, vers un contre-pouvoir de la base de la société et une rupture avec l’ordre capitaliste.
L’organisation repose, et ce jusqu’à ce que les adhérents en décident autrement dans un esprit fédéraliste autogestionnaire et selon les modalités du contrat, sur le présent manifeste pour une alternative libertaire. Ni programme historique, ni déclaration de principe immuable, ce manifeste n’est en effet qu’un moment d’un processus théorique, pratique et organisationnel qui contient lui-même une dynamique potentielle de dépassement.
Un contrat statutaire fixe les règles du fonctionnement de l’organisation et lie tous les membres librement associés.
Les orientations stratégiques de l’organisation, ses prises de positions, ses décisions sont soumises aux débats, à la direction collective, aux votes de la base de l’organisation. Celle-ci constitue ainsi un terrain d’expérimentation pour la démocratie autogestionnaire et fédéraliste.
L’organisation est donc une fédération autogérée, placée sous la responsabilité collective de l’ensemble de ses militants. Renversant l’image traditionnelle du parti hiérarchisé, mais sans nier la nécessité et l’importance des activités de coordination et d’animation de l’organisation, nous cherchons à établir un cadre de débat et d’intervention horizontalisé et décentralisé.
L’organisation est un lieu pluriel où, sur un fond identitaire commun, une grande diversité d’opinions peuvent s’exprimer librement. S’il est naturel qu’elle se donne démocratiquement une orientation majoritaire, elle n’en garantit pas moins scrupuleusement les droits des minorités et des groupes de base à l’expression, dans le débat interne bien sûr, mais aussi dans la presse de l’organisation, selon des modalités établies par le contrat statutaire.
L’organisation cherche la convergence des actions de ses membres dans un soucis évident d’efficacité. De même elle défend une orientation majoritaire. Mais elle respecte la liberté de parole et d’action de chacun. Liés par les règles statutaires lorsqu’il s’agit de parler ou d’agir au nom de l’organisation, chacune et chacun n’obéit qu’à ses propres choix lorsqu’il intervient dans les mouvements sociaux.
Courant de lutte de classe, nous priorisons l’expression auprès du prolétariat et l’implantation dans ses lieux de vie et de travail. Mais nous ne négligeons ni l’implantation dans la jeunesse ni une présence sur l’ensemble des mouvements sociaux.
L’organisation se refuse à tout rapport de direction ou de substitution en direction des luttes des travailleurs et de la population. Elle peut participer à l’organisation d’initiatives et de mobilisations. Mais la direction des luttes sociales doit appartenir à la base, même si les militants de notre courant peuvent compter parmi les animateurs de ces luttes.
Notre combat est international et la construction de notre courant passe par la multiplication des initiatives, vers une structuration internationale.
Pour un grand mouvement anticapitaliste et autogestionnaire
Notre organisation ne prétend pas devenir à elle seule, en comptant sur ses seules forces, l’alternative au capitalisme. Rejetant tout sectarisme et tout isolationnisme, nous voulons être une force unificatrice dans le mouvement révolutionnaire et dans le mouvement ouvrier.
Nous voulons contribuer à une renaissance du combat révolutionnaire de masse, une refondation du socialisme à l’horizon du XXIe siècle. Pour atteindre ce but notre stratégie politique repose sur une dialectique entre deux niveaux d’expression et d’organisation distincts et complémentaires :
l’organisation et le développement d’un nouveau courant libertaire « lutte de classe » ;
l’émergence d’un vaste mouvement anticapitaliste et autogestionnaire, où le nouveau courant libertaire s’intégrerait sans disparaître.
Nous sommes donc porteurs d’un grand projet d’unité, qui se concrétise dans nos pratiques quotidiennes et qui fait partie intégrante de notre identité. Ce projet nous le proposons à l’ensemble des forces politiques, syndicales, écologistes, associatives, qui combattent le capitalisme et qui sont susceptibles de s’y associer. Le mouvement à venir verra s’unir des militants et des courants d’origines idéologiques différentes, aux priorités d’intervention diversifiées. Il sera nécessairement pluraliste, ouvert, tout en recherchant les convergences sur des bases essentielles.
Le mouvement anticapitaliste à venir sera une force de masse, qui pèsera à très grande échelle dans la société, aidant à la multiplication des contre-pouvoirs et préparant les conditions de la rupture révolutionnaire. Il inscrira donc prioritairement ses interventions sur le terrain social, à la base de la société, reliant les luttes diverses, les luttes ouvrières, les luttes de la jeunesse, en leur proposant une perspective autogestionnaire. Un mouvement politico-social donc, et non pas un nouveau parti.
En tenant compte des réalités différentes d’un pays à l’autre, nous inscrivons ce projet d’alternative dans une démarche internationale, fédérant progressivement toutes les forces alternatives au libéralisme, à la social-démocratie et au stalinisme, en Europe et dans le monde entier.
Ce mouvement large ne naîtra pas « à froid » d’une autoproclamation ou d’un cartel. Il sera le produit d’un processus historique de convergences, d’unités, d’élaborations, de pratiques de base.
Les luttes sociales massives et leur développement offensif seront donc déterminantes.
Élaborations collectives, parce qu’une addition hétéroclite ne permettra pas de répondre à la crise d’orientation et de perspectives, à la crise d’identité qui mine le mouvement ouvrier et social.
C’est un nouveau projet politique qui est nécessaire. Pour élaborer celui-ci des idées différentes se confronteront ; dans ce débat nous serons une force de proposition et de conviction, pour tendre vers une synthèse nouvelle, la plus libertaire possible, à l’image du syndicalisme révolutionnaire qui fut naguère le fruit d’une dialectique entre perspectives libertaires et organisations de masse.
Pratiques communes à la base, parce que pour nous une alternative de masse, implantée dans les cités, dans les entreprises, parmi la jeunesse, partira des problèmes concrets et quotidiens vécus par le population. Des actions nouvelles sont nécessaires pour permettre l’expression et l’organisation des révoltes de la base de la société. Ces pratiques communes permettront les réponses nécessaires, face aux menaces de l’extrême droite et aux mensonges de la social-démocratie.
Ce sont par elles que l’alternative gagnera des forces neuves.
L’émergence de ce grand mouvement est une des tâches prioritaires de notre courant. Il ne s’agit pas pour nous de disparaître corps et âmes dans un rassemblement futur. Nous voulons être une des forces initiatrices, une des forces unifiantes. Et devenir demain une composante majeure et écoutée, dans un mouvement révolutionnaire, un mouvement ouvrier refondé et renouvelé.