Par Jérémie Berthuin (AL Gard)
Il y a 41 ans, était assassiné par le régime du Caudillo Francisco Franco, l’anarchiste Salvador Puig i Antich. Une juge argentine tente de rouvrir le dossier et prouver l’innocence de ce dernier. Mission difficile : le procès du Franquisme n’est pas à l’ordre du jour en Espagne.
Utrera Molina, ministre de Franco en 1974, est l’homme qui a signé l’acte de mort de l’anarchiste Salvador Puig i Antich. Il est aujourd’hui poursuivi par la justice argentine suite à une plainte déposée par la sœur de ce dernier. Une plainte portée par une juge de Buenos Aires, Maria Servini de Cubria mais pour l’heure non effective. En dépit d’un ordre de détention, Interprol Espagne se refuse à appliquer la décision de justice de l’avocate argentine. Il y a un an, la juge Servini de Cubria avait été sollicitée par la sœur de Puig i Antich qui avait, depuis Barcelone, fait le voyage jusqu’à Buenos Aires. Sur le bureau de la juge, en plus du cas Puig i Antich, pas moins de 20 dossiers de recours en justice déposés pour d’autres faits similaires liés au Franquisme (victimes de tortures, d’exils forcés, de vols d’enfants de « rouges » remis dans des centres de « rééducation » et victimes de mauvais traitements).
Retour sur l’histoire du « 1000 »
Salvador Puig i Antich nait le 30 mai 1948 à Barcelone. Issu d’une famille nombreuse, il devient employé de bureau en 1968 à Barcelone. Il fréquente les « Commissions ouvrières », un syndicat indépendant, avant de devenir un peu plus tard la courroie de transmission du Parti communiste espagnol, qui mène alors une action clandestine et combative.
En parallèle, Salvador suit des cours du soir à l’Institut Maragall. En 1969, il fait partie de la « Commission des étudiants de bachillerato » de ce collège. Il y côtoie ceux et celles qui allaient constituer à ses côtés la future colonne vertébrale du MIL (Mouvement Ibérique de Libération). C’est après avoir effectué son service militaire qu’il commence à participer aux activités du MIL en novembre 1971.
Le MIL est créé au début des années 70 à Barcelone. Organisation se situant au carrefour des théories anarchistes, conseillistes et situationnistes, elle est née de la fusion de trois groupes : l’Équipe Théorique, l’Équipe Ouvrière et l’Équipe Extérieure. Au sein du mouvement libertaire ibérique de l’époque, le MIL est un cas à part. Ses membres sont en rupture avec les organisations anarchistes classiques alors très divisées et opposées à l’action violente.
En décembre 1970, le MIL participe activement à la grève de l’usine Harry-Walker qui dura 62 jours et qui fut l’une des plus dures de ces dernières années du régime franquiste. En mars 1971 , une brochure appelait au boycott des élections syndicales. Elle était signée « 1000 ». Derrière cette signature, la presse et la police trouveront la signification des trois lettres : MIL.
L’action du MIL est double. Elle consiste, d’une part, en la publication de textes théoriques difficiles à trouver en Espagne à cette époque. Sous le nom d’ éditions « Mayo 37 », sont ainsi publiés pour la première fois en castillan des écrits de l’anarchiste italien Camillo Berneri, assassiné par le Guépéou après les journées tragiques de Mai 1937 à Barcelone, Les Conseils ouvriers d’Anton Pannekoek, ou encore De la misère en milieu étudiant de l’Internationale situationniste.
Pour financer ses activités de publication mais aussi pour alimenter les caisses de grève, le MIL, d’autre part, multiplie les actions directes d’expropriation. Entre juillet 1972 et septembre 1973, une douzaine d’attaques de banques seront perpétrées par le MIL. Ces actions sont à chaque fois revendiquées par des tracts. Dans l’un d’entre eux, était saluée la mémoire du guérillero anarchiste Francisco Sabaté, assassiné par la Guardia civil le 5 janvier 1960 lors d’une incursion en Espagne , depuis la France, avec quelques-uns de ses hommes.
Puig i Antich était en général le chauffeur du groupe pratiquant ces actions d’’expropriation. Les sommes d’argent récupérées sont importantes : 1 million de pesetas à Bellver de Cerdanya, en 1972, 1 million et demi à la Banco Americano-Hispano en 1973. D’autres lieux que les banques sont aussi ciblés par ces expropriations : à Toulouse, ville dont est originaire Jean–Marc Rouillan, membre actif du MIL, du matériel d’imprimerie est également volé ainsi que des papiers officiels.
Faisant le constat que ces actions de type « expropriation » comportaient le risque de création d’une organisation paramilitaire, ce que les membres du MIL ne voulaient pas, celui-ci s’auto-dissout en août1973. C’est après sa disparition que certain-e-s de ses membres vont connaître une fin tragique.
Le temps des arrestations
Le 21 juin 1973, Salvador Puig i Antich oublie, dans un bar de Barcelone, une sacoche contenant des documents compromettants. Une erreur qui permet à la police de localiser les planques du MIL. L’étau se resserre. Le 15 septembre, un an après une première expropriation, trois membres du MIL braquent à nouveau la Caisse d’Épargne de Bellver de Cerdanya. Nouvelle erreur. La Police aux aguets arrive très rapidement sur les lieux . Oriol Sole Sugranyes, typographe de 25 ans et José Luis Pons Llobet, étudiant de 18 ans, sont arrêtés. Le troisième, Jorge Sole Sugranyes parvient à se réfugier en Belgique.
Le 25 septembre, Salvador a rendez-vous avec un ami dans un bar. Ce dernier avait été interpellé deux jours plus tôt et la police organise un guet-apens. Salvador tombe dans une souricière. Une fusillade éclate. Puig i Antich est grièvement blessé à la mâchoire et à l’épaule. Un inspecteur de Policia politico-social est tué, probablement par ses collègues car Puig i Antich n’était plus en état de tuer après les coups qu’il avait reçus. C’est sur ce point, d’ailleurs, que la juge argentine entend revenir. S’appuyant sur le fait qu’aucune analyse balistique n’ait été faite sur le corps du policier tué, la famille de ce dernier s’y opposant. La juge Servini de Cubria affirme pourtant, ce qui était l’argument déjà à l’époque des avocats de Puig i Antich, qu’il ne pouvait être l’auteur des tirs ayant provoqué la mort de l’inspecteur : étant entouré de policiers, immobilisé au sol et de surcroît déjà très gravement blessé. Au cours du procès, des témoins pouvant étayer cette thèse n’avaient pas été autorisés à plaider.
Un verdict connu d’avance
Le procès des militant-e-s du MIL a lieu les 7 et 8 janvier 1974. Avant même qu’il ne débute, le verdict est connu. Le contexte de ces derniers mois, d’un régime franquiste moribond, est lourd. De nombreuses grèves ouvrières ont été violemment réprimées. L’aile la plus radicale du régime met la pression sur les « modérés », qui de façon très opportuniste commencent à négocier le post-franquisme. Les pressions de l’extrême droite sont fortes. Elles le sont d’autant que leur champion n’est plus là. Au mois de décembre 1973, l’amiral Carrero Blanco, successeur désigné de Franco, avait salué les étoiles à bord de sa voiture piégée par une bombe de l’ETA. C’est dans ce climat d’hystérie vengeresse que se tient le procès. Il fallait faire un exemple et la police menaçait de manifester à Madrid si Salvador Puig i Antich n’était pas exécuté. Lors de leur emprisonnement, les inculpé-e-s sont torturé-e-s. Au moment du procès, ils et elles présentent encore des marques de brûlures sur le visage. Ils et elles sont insulté-e-s par les policiers présents dans la salle. A la sortie du tribunal, les avocats sont attendus et attaqués par les « Guérilleros du Christ-Roi ». Salvador est condamné à la peine de mort. José Luis Pons Llobet à 30 ans de prison. Son amie Maria-Augustias Mateos Fernandez, lycéenne de 17 ans, à 5 ans de prison.
Le 2 mars 1974, Puig i Antich est assassiné. Salvador sera remis sur pied pour passer au supplice du garrote vil le 2 mars 1974. Le guérillero mit dix-huit longues minutes à mourir. Il fut le dernier prisonnier politique garroté du franquisme.
Comme avant l’exécution du pédagogue libertaire espagnol Francisco Ferrer en 1909, ou celles de Nicola Sacco et Bartolomeo Vanzetti en aout 1927 [1], les réactions et actions de soutien furent nombreuses : attentats et affrontements à Barcelone, manifestations dans toute l’Europe.
En France, des manifestations, à l’initiative du mouvement libertaire (en premier lieu l’ORA [2]) et de l’extrême gauche, dégénèrent en affrontements violents avec la police. La gauche institutionnelle quant à elle s’en tiendra à des protestations de circonstance, totalement hostile aux actions armées, qu’elles soient commises en France ou sous la dictature franquiste. Les GARI (Groupes d’action révolutionnaire internationale) enlèvent un banquier espagnol à Paris…
En vain, la mano dura domine. Le régime reste inflexible. Et tant pis si le procès est tronqué. Le 20 décembre 1975, le Caudillo meurt. Mais c’en est pas fini des fantômes du franquisme.