Par Felipe Corrêa
Cet article a été initialement publié en 2010 par la revue brésilienne Espaço Livre. Il a ensuite été republié par l’Institut pour la théorie et l’histoire anarchiste.
Il a été traduit par Enrique Guerrero-López (membre de Black Rose/Rosa Negra). Il est à nouveau republié ici dans son intégralité en français.
Introduction
Ce texte vise à discuter, dans une perspective théorico-historique, certaines questions d’organisation liées à l’anarchisme. Il répond à l’affirmation, constamment répétée, selon laquelle l’idéologie ou la doctrine anarchiste est essentiellement spontanée et contraire à l’organisation. Revenant sur le débat entre anarchistes à propos de l’organisation, cet article soutient qu’il existe trois positions fondamentales en la matière : celleux qui sont contre l’organisation et/ou défendent les formations informelles en petits groupes (anti-organisationnisme) ; les partisan.e.s de l’organisation uniquement au niveau de la masse (syndicalisme et organisation communautaire), et celleux qui soulignent la nécessité d’une organisation à deux niveaux, le politique-idéologique et la masse (dualisme organisationnel).
Ce texte approfondit les positions du troisième courant, en apportant des éléments théoriques de Mikhaïl Bakounine et en présentant ensuite un cas historique dans lequel les anarchistes ont tenu, en théorie et en pratique, cette position : l’activité de la Fédération des anarcho-communistes de Bulgarie (FAKB) entre les années 1920 et 1940.
Anarchisme : Spontanéité et anti-organisationnisme ?
Kolpinsky, dans son épilogue à la compilation des textes de Karl Marx, Friedrich Engels et Vladimir I. Lénine sur l’anarchisme – un travail financé par Moscou dans le contexte soviétique pour promouvoir les idées du marxisme-léninisme – affirme que l’anarchisme est une doctrine « petite-bourgeoise », « étrangère au prolétariat », basée sur « l’aventurisme », sur des « concepts volontaristes » et des « rêves utopiques sur la liberté absolue de l’individu »1. En outre, il souligne
« Les rêves utopiques de création d’une société sans État et sans classes exploiteuses, par une rébellion spontanée des masses et l’abolition immédiate du pouvoir de l’État et de toutes ses institutions, plutôt que par la lutte politique de la classe ouvrière, la révolution socialiste et l’instauration de la dictature du prolétariat, sont typiques de tous les courants anarchistes. »2
Des affirmations de ce type ont été faites tout au long de l’histoire de l’anarchisme, par ses adversaires et ses ennemis, et elles sont encore faites, bien que diverses études théoriques et/ou historiques récentes aient montré que de telles affirmations ne sont pas étayées par les faits.
Le spontanéisme3 et la position anti-organisation ne sont pas des principes politico-idéologiques de l’anarchisme et, par conséquent, ne sont pas communs à tous ses courants. La question de l’organisation constitue l’un des débats les plus pertinents parmi les anarchistes et est à la base de la configuration des courants de l’anarchisme eux-mêmes.
Une large analyse de l’anarchisme en termes historiques et géographiques nous permet d’affirmer qu’il existe une tendance minoritaire opposé à l’organisation et une tendance majoritaire qui la préconise. Les anarchistes ont des conceptions différentes de l’organisation de masse, y compris l’organisation communautaire et syndicale, et des positions différentes sur l’organisation anarchiste spécifique4.
Trois positions anarchiste sur l’organisation
1. L’anti-organisationnisme, qui se situe, en général, contre l’organisation, au niveau social, ou de masse, et au niveau politico-idéologique spécifiquement anarchiste, et défend le spontanéisme ou, tout au plus, l’organisation en réseaux informels et/ou en petits groupes de militant.e.s.
2. Le syndicalisme et l’organisation communautaire, qui considèrent que l’organisation des anarchistes ne doit être créée qu’au niveau social, ou de masse, et que les organisations politiques anarchistes seraient redondantes, voire dangereuses dans certains cas, puisque les mouvements populaires, dotés du pouvoir révolutionnaire, peuvent réaliser toutes les propositions anarchistes.
3. Le dualisme organisationnel, qui soutient qu’il est nécessaire de s’organiser, en même temps, dans des mouvements de masse et dans des organisations politiques, en vue de promouvoir les positions anarchistes de manière plus cohérente et plus efficace au sein de larges mouvements.
L’anti-organisationnisme repose sur des propositions comme celles de Luigi Galleani, un militant anarchiste italien qui estimait qu’une organisation politique – ou, comme l’appelait son compatriote Errico Malatesta, un « parti anarchiste » – conduisait nécessairement à une hiérarchie de type gouvernemental qui violait la liberté individuelle :
« Le parti, n’importe quel parti, a son programme, qui est sa propre constitution ; il a son assemblée de sections ou de groupes de délégué.e.s, son parlement ; il a son propre gouvernement dans son organe directeur ou dans les cadres de ses sections. Il s’agit donc d’une superposition progressive d’organes au moyen desquels une hiérarchie réelle et véritable est imposée entre les différents niveaux et les groupes qui y sont liés : à la discipline, aux infractions, aux contradictions qui sont traitées avec les punitions correspondantes, qui peuvent être aussi bien la censure que l’expulsion. »5
Luigi Galleani (1861-1931)
Galleani soutient que les anarchistes devraient s’associer dans des réseaux peu organisés, presque informels, car il pense que l’organisation, en particulier programmatique, conduit à la domination, tant dans le cas des groupes anarchistes que dans les mouvements populaires en général. Pour Galleani, « le mouvement anarchiste et le mouvement ouvrier parcourent des chemins parallèles et le principe géométrique des lignes parallèles est tel qu’elles ne peuvent jamais se rencontrer ou coïncider ». L’anarchisme et le mouvement populaire constituent, pour lui, des domaines différents ; les organisations ouvrières sont victimes d’un « conservatisme aveugle et partiel » responsable de « l’établissement d’un obstacle, souvent d’un danger » pour les objectifs anarchistes. Les anarchistes, soutient-il, doivent agir par l’éducation, la propagande et l’action directe violente, sans s’impliquer dans des mouvements de masse organisés.6
Le syndicalisme et l’organisation communautaire sont liés à l’idée que le mouvement populaire porte en lui toutes les conditions pour inclure des positions libertaires et révolutionnaires, de sorte qu’il remplirait toutes les fonctions nécessaires à un processus de transformation ; en ce sens, les organisations politiques anarchistes sont inutiles ou secondaires. Si les défenseur.euses d’une organisation exclusivement communautaire sont rares (comme les propositions du nord-américain Murray Bookchin), il n’en est pas de même pour le syndicalisme révolutionnaire et l’anarcho-syndicalisme.7
Cette position est défendue par de nombreux.ses syndicalistes révolutionnaires, comme ce fut le cas du Français Pierre Monatte qui, lors du congrès anarchiste d’Amsterdam en 1907, affirma que le syndicalisme révolutionnaire « se suffit à lui-même ». Monatte estimait que le mouvement populaire initié par la Confédération générale du travail (CGT) en France en 1895 avait permis un rapprochement entre les anarchistes et les masses, et recommandait donc « que toustes les anarchistes rejoignent le syndicalisme »8. Au-delà de la pertinence de cette réflexion dans le contexte historique après la rupture entre l’anarchisme et les mouvements de masse qui s’était opérée en France après la Commune de Paris, cette position de Monatte était prédominante dans l’anarchisme du XXe siècle partout dans le monde, sinon en théorie, du moins en pratique.
Errico malatesta (1853-1932)
Dans ce même congrès, qui peut être considéré comme le premier moment historique de large débat sur les questions d’organisation au sein de l’anarchisme, d’autres anarchistes prirent position. Malatesta était d’accord avec la participation des anarchistes aux mouvements populaires, mais il ajoute : « Dans les syndicats, nous devons rester anarchistes, avec toute la force et l’ampleur qu’implique cette définition »9. Autrement dit, l’anarchisme ne pouvait pas se dissoudre dans le mouvement syndical, il ne pouvait pas être avalé par lui et cesser d’exister en tant qu’idéologie ou doctrine avec ses propres positions et sa propre organisation. Une position similaire, mais avec une base plus clairement de classe, était défendue par Amédée Dunois, qui défendait, en plus du travail syndical, la nécessité d’une organisation anarchiste :
« Les anarchistes syndicalistes […] sont livré.e.s à elleux-mêmes et, en dehors du syndicat, iels n’ont aucun contact réel entre elleux ou avec leurs autres collègues. Iels n’ont pas de soutien et ne reçoivent pas d’aide. Nous avons donc l’intention de créer ce contact, d’apporter ce soutien constant ; et je suis personnellement convaincu que l’union de nos activités ne peut qu’être bénéfique, à la fois en termes d’énergie et d’intelligence. Et plus nous serons fort.e.s – et nous ne le serons qu’en nous organisant – plus fort sera le courant d’idées que nous pourrons entretenir dans le mouvement ouvrier qui, peu à peu, s’imprégnera de l’esprit anarchiste. […] Il suffirait à l’organisation anarchiste de grouper, autour d’un programme d’action pratique et concret, toustes les camarades qui acceptent nos principes et qui veulent travailler avec nous, selon nos méthodes. »10
Les positions de Malatesta et de Dunois se réfèrent au dualisme organisationnel, qui repose sur l’idée que les anarchistes doivent s’organiser, en parallèle, à deux niveaux : l’un social, de masse, et l’autre politico-idéologique, anarchiste. Malatesta définit le « parti anarchiste » comme « l’ensemble de celleux qui veulent contribuer à faire de l’anarchie une réalité et qui doivent donc se fixer un objectif à atteindre et un chemin à suivre ». « Rester isolé.e, chacun.e agissant ou cherchant à agir seul.e, sans s’entendre avec d’autres, sans se préparer, sans rassembler la faible force des solitaires », c’est pour les anarchistes « se condamner à l’impuissance, dilapider ses propres énergies dans des actes insignifiants et inefficaces et, très vite, perdre la foi en son but et tomber dans l’inaction la plus totale ». Le moyen de surmonter l’isolement et le manque de coordination est de s’investir dans la formation d’une organisation politique anarchiste : « S’iel ne veut pas rester inactif et impuissant, [l’anarchiste militant.e] devra trouver d’autres individus partageant les mêmes idées et devenir l’initiateur.ice d’une nouvelle organisation »11.
Cependant, pour lui, l’organisation anarchiste spécifique ne suffit pas : « Favoriser les organisations populaires de toutes sortes est la conséquence logique de nos idées fondamentales et devrait faire partie intégrante de notre programme »12. En ce sens, il souligne la nécessité d’un intense travail de construction de la base au sein des organisations populaires de masse :
« Il est donc nécessaire, en temps normal, d’effectuer le long et patient travail de préparation et d’organisation populaire et de ne pas tomber dans l’illusion d’une révolution à court terme, réalisable par l’initiative de quelques-un.es, sans une participation suffisante des masses. Compte tenu du fait que cette préparation peut se faire dans un environnement défavorable, il y a, entre autres, la propagande, l’agitation et l’organisation des masses, qui ne doivent jamais être négligées.13«
Les anarchistes organisationnel.les (syndicalistes, communautaires et dualistes organisationnels) ont contribué, théoriquement et pratiquement, au débat sur les questions organisationnelles au sein de l’anarchisme. Le dualisme organisationnel a apporté des contributions théoriques et pratiques discutées ci-dessous, à travers les écrits de Mikhaïl Bakounine et l’expérience de la Fédération des anarcho-communistes de Bulgarie14.
Anarchisme et dualisme organisationnel : Les écrits de Mikhaïl Bakounine
Le dualisme organisationnel se trouve dans les racines mêmes de l’anarchisme et est formulé dans l’œuvre de Bakounine, qui se réfère fréquemment aux pratiques de l’Alliance au sein de l’Association internationale des travailleur.euses (AIT)15.
Mikhaïl Bakounine (1814-1876)
Pour Bakounine, l’Alliance avait un double objectif : d’une part, renforcer et stimuler la croissance de l’AIT et, d’autre part, unir celleux qui ont des affinités politico-idéologiques avec l’anarchisme autour de certains principes, d’un programme et d’une stratégie commune16. Bref, créer et renforcer une organisation politique et un mouvement de masse :
« Iels [les militant.es de l’Alliance] formeront l’âme inspiratrice et vivifiante de cet immense corps que nous appelons l’Association Internationale des Travailleur.euses […] ; iels traiteront alors des questions qu’il est impossible de discuter publiquement ; iels formeront le pont nécessaire entre la propagande des théories socialistes et la pratique révolutionnaire.17«
Bakounine affirme que l’Alliance n’a pas besoin d’un très grand nombre de militant.e.s : « le nombre de ces individus ne doit donc pas être énorme » ; elle constitue une organisation politique, publique et secrète, d’une minorité active, à responsabilité collective entre les membres, qui réunit « les membres les plus sûr.e.s, les plus dévoué.e.s, les plus intelligent.e.s et les plus énergiques, en un mot, les plus proches », rassemblé.e.s dans plusieurs pays, dans des conditions permettant d’influencer les masses de façon décisive18.
Cette organisation repose sur un règlement intérieur et un programme, qui établissent respectivement ses fonctions organiques, ses bases politiques, idéologiques, programmatiques et stratégiques, forgeant un axe commun pour l’action anarchiste. Selon Bakounine, ne peuvent devenir membres de l’organisation que « celleux qui ont franchement accepté tout le programme avec toutes ses conséquences théoriques et pratiques et qui, avec l’intelligence, l’énergie, l’honnêteté et la discrétion, ont encore la passion révolutionnaire ».
En interne, il n’y a pas de hiérarchie entre les membres, les décisions sont prises du bas vers le haut, généralement à la majorité (variant du consensus à la majorité simple, selon la pertinence de la question), et toustes les membres se conforment aux décisions prises collectivement. Il s’agit donc d’appliquer le fédéralisme – compris comme une forme d’organisation sociale qui doit décentraliser le pouvoir et créer « une organisation révolutionnaire de bas en haut et de la marge au centre » – aux organes internes de l’organisation anarchiste19.
Encourager la croissance et le renforcement de l’AIT dans différents pays et l’influencer dans son programme constitue également, comme nous l’avons noté, l’un des objectifs de l’Alliance. Ce vaste mouvement de masse international et internationaliste, selon Bakounine, « doit être le protagoniste de la révolution sociale, car aucune révolution ne peut réussir si elle n’est pas menée exclusivement par la force du peuple »20. Un tel processus révolutionnaire détruit les bases du système capitaliste et étatique et instaure un socialisme libertaire, il ne peut se limiter à des changements essentiellement politiques et doit atteindre les fondements sociaux les plus profonds, y compris l’économie21.
« L’Association Internationale des Travailleur.euses, fidèle à son principe, ne soutiendra jamais une agitation politique qui n’aurait pas pour objectif immédiat et direct l’émancipation économique complète du travailleur, c’est-à-dire l’abolition de la bourgeoisie en tant que classe économiquement séparée de la masse de la population, ni aucune révolution qui, dès le premier jour, dès la première heure, n’inclurait pas la liquidation sociale sur sa bannière. […] Elle donnera à l’agitation ouvrière de tous les pays un caractère essentiellement économique, en se donnant comme objectifs la réduction de la journée de travail et l’augmentation des salaires ; comme moyens, l’association des masses ouvrières et la formation de caisses de résistance. [Bref, elle s’étendra en s’organisant solidement, en franchissant les frontières de tous les pays, afin que, lorsque la révolution, conduite par la force des choses, aura surgi, il y ait une force réelle, sachant ce qu’elle doit faire et, pour cette raison même, capable de s’en emparer et de lui donner une direction vraiment constructive pour le peuple ; une organisation internationale sérieuse des associations ouvrières de tous les pays, capable de remplacer ce monde politique des Etats et de la bourgeoisie. »22
Le mouvement de masse mobilise les travailleur.euses à travers leurs besoins économiques et organise les luttes syndicales à court terme à travers leurs propres mécanismes d’organisation et les institutions créées par les travailleur.euses sur leur lieu de travail et de résidence ; l’accumulation permanente de la force sociale des travailleur.euses et la radicalisation des luttes permettent d’avancer vers la révolution sociale.
La création d’une association populaire basée sur les besoins économiques implique « d’éliminer d’abord du programme de cette association toutes les questions politiques et religieuses », car le plus pertinent est de « rechercher une base commune, une série de principes simples sur lesquels tous les travailleurs, quelles que soient leurs orientations politiques ou religieuses, […] sont et doivent être d’accord »23. Alors que la question économique unit les travailleurs, les questions politico-idéologiques et religieuses les séparent ; celles-ci, bien qu’elles ne constituent pas des principes de l’AIT, doivent être débattues tout au long du processus de lutte24.
Il s’agit d’encourager l’unité de classe parmi les travailleur.euses, par l’association autour d’intérêts communs d’un groupe de sujets opprimés – travailleur.euses de la campagne et de la ville, paysan.nes et marginaux en général – pour la lutte de classe directe contre les classes dominantes, puisque « l’antagonisme qui existe entre le monde de la classe ouvrière et le monde bourgeois » ne permet « aucune réconciliation ». Dans la lutte de classe, les travailleur.euses connaissent « leurs véritables ennemis, qui sont les classes privilégiées, y compris le clergé, la bourgeoisie, la noblesse et l’État », iels comprennent les raisons qui les unissent aux autres groupes opprimés, iels acquièrent une conscience de classe, perçoivent des intérêts communs et s’informent sur les questions politico-philosophiques ; tout cela constitue un véritable processus pédagogique25.
Le mouvement de masse doit construire les bases organisationnelles et institutionnelles de la société future et maintenir la cohérence avec ses objectifs révolutionnaires et socialistes. Bakounine souligne l’indispensable cohérence entre les moyens et les fins et insiste sur le fait « qu’une société libre et égalitaire n’émanera pas d’une organisation autoritaire ; c’est pourquoi l’Internationale, embryon de la future société humaine, doit être, dès maintenant, l’image fidèle de nos principes de liberté et de fédération, et rejeter en son sein tous les principes tendant à l’autorité, à la dictature ». L’AIT doit donc être organisée de manière libertaire et fédéraliste. Il faut « rapprocher cette organisation le plus possible de notre idéal », en encourageant la création d’un édifice organisationnel et institutionnel qui puisse remplacer le capitalisme et l’Etat : « La société future ne devrait pas être autre chose que l’universalisation de l’organisation que l’Internationale a créée. »26
L’Alliance n’exerce pas une relation de domination et/ou de hiérarchie sur l’AIT, mais la complète, et vice versa. Ensemble, ces deux organismes se complètent et renforcent le projet révolutionnaire des travailleur.euses, sans que l’un ou l’autre des partis ne se soumette27.
« L’Alliance est le complément nécessaire de l’Internationale… Mais l’Internationale et l’Alliance, qui tendent vers le même but, poursuivent en même temps des objectifs différents. L’une a pour mission de rassembler les masses laborieuses, les millions de travailleur.euses, de professions et de pays différents, par-delà les frontières de tous les Etats, en un seul corps immense et compact ; l’autre, l’Alliance, a pour mission de donner aux masses une direction véritablement révolutionnaire. Les programmes de l’une et de l’autre, sans être aucunement opposés, sont différents par le degré même de leur développement respectif. Celui de l’Internationale, s’il est pris au sérieux, contient en germe, mais seulement en germe, tout le programme de l’Alliance. Le programme de l’Alliance est l’expression ultime du [programme] de l’Internationale28« .
L’union de ces deux organisations – l’une politique, composée de minorités (cadres), et l’autre sociale, composée de majorités (masses) – et leur organisation horizontale et permanente renforcent la force des travailleur.euses et augmentent les possibilités du processus de transformation anarchiste. Au sein du mouvement de masse, l’organisation politique rend les anarchistes plus efficaces dans les conflits de positions et pour réorienter les forces qui seraient dirigées dans des directions opposée pouvant tendre à élever au rang de principe n’importe laquelle des différentes positions politico-idéologiques et/ou religieuses ; cela pourrait minimiser le caractère de classe du mouvement ; renforcer les positions réformistes (qui considèrent la réforme comme une fin) et encourager la perte de combativité ; établir des hiérarchies internes et/ou des relations de domination ; orienter les forces des travailleur.euses vers des élections et/ou vers des stratégies de changement qui impliquent la prise de contrôle de l’État ; soumettre le mouvement à des partis, des États ou d’autres organisations qui éliminent, dans ce processus, le rôle de protagoniste des classes opprimées et de leurs institutions29.
Anarchisme et dualisme organisationnel : L’expérience de la Fédération des Anarcho-Communistes en Bulgarie
Nous présentons ci-dessous les lignes générales du dualisme organisationnel anarchiste développé par l’expérience de la Fédération des anarcho-communistes de Bulgarie (FAKB) entre les années vingt et quarante du vingtième siècle.
En Europe de l’Est, les anarchistes ont joué un rôle décisif en 1903, lors de la révolte macédonienne, où iels ont participé à deux événements de nature libertaire : d’abord la révolte d’Ilinden et la proclamation de la Commune de Krouchevo, puis l’insurrection de Preobrojenié et la proclamation de la Commune de Strandzha. Cette commune a pris possession du territoire, a mené des expériences d’autogestion pendant un mois et a été la première tentative locale de construire une nouvelle société basée sur les principes du communisme libertaire. Après l’écrasement de la révolte et de la commune, iels fondent des journaux importants en Bulgarie tels que Free Society, Acracia, Probuda ou Rabotnicheska Misl ; divers groupes anarchistes apparaissent également et, en 1914, un groupe de Ruse jette les bases d’un mouvement anarcho-syndicaliste. Après des difficultés causées par la Première Guerre mondiale, l’anarchisme bulgare a refait surface avec la fondation de la Fédération des anarcho-communistes de Bulgarie (FAKB), en 1919, lors d’un congrès auquel 150 délégué.e.s ont participé.
« En cette chaude année 1919, au plus fort de la révolte mondiale des travailleurs contre le capitalisme, les anarcho-syndicalistes bulgares (dont les premiers groupes avaient été créés en 1910) et le noyau de l’ancienne Fédération anarchiste macédo-bulgare (dont une partie avait été fondée en 1909) ont appelé le mouvement à se réorganiser. La Fédération des anarcho-communistes de Bulgarie (FAKB) est fondée lors d’un congrès ouvert par le guérillero anarchiste Mikhaïl Gerdjikov (1877-1947), fondateur du Comité révolutionnaire clandestin macédonien (MTRK) en 1898 et commandant de son corps de combat principal lors de la révolte macédonienne de 1903 »30.
En Bulgarie, la FAKB a mené des expériences pertinentes impliquant le syndicalisme urbain et rural, les coopératives, la guérilla et l’organisation de la jeunesse : « Le FAKB était composé de sections syndicalistes, de guérillas, de sections professionnelles et de sections de jeunes qui se sont diversifiées dans toute la société bulgare ». Il a également contribué à la création et au renforcement d’organisations telles que la Fédération bulgare des étudiant.e.s anarchistes (BONSF), une fédération anarchiste d’artistes, d’écrivain.e.s, d’intellectuel.le.s, de médecins et d’ingénieur.e.s, et la Fédération de la jeunesse anarchiste (FAM), qui était présente dans les villes, les villages et toutes les grandes écoles31.
Le cinquième congrès du FAKB, en 1923, comptait 104 délégués et 350 observateurs de 89 organisations, ce qui démontre une large influence anarchiste, probablement majoritaire parmi les travailleur.euses de Yambol, Kyustendil, Rodomir, la ville de Nueva Zagora (Khaskjovo), Kilifaevo et Delebets, en plus de l’influence grandissante à Sofia, Plovdiv, Ruse et dans d’autres centres. Le développement du FAKB a attiré de graves persécutions de la part de la droite fasciste qui, entre 1923 et 1931, a tué plus de 30 000 travailleur.euses. Dans ce contexte, de nombreux.ses militant.e.s du FAKB ont été assassiné.e.s et d’autres ont dû s’exiler ; néanmoins, celleux qui sont resté.e.s « ont formé des détachements de combat connus sous le nom de « cheti » et se sont impliqués dans un effort important pour coordonner un soulèvement avec le Parti communiste bulgare (BKP) en 1923″, ils se sont également engagés dans des combats de guérilla, en 1925, avec le BKP et l’Union agraire bulgare (BZS)32.
Mikhail Gerdzhikov (1877-1947), guérillero anarchiste dont les actions ont contribué à la fondation de la Fédération des anarcho-communistes de Bulgarie (FAKB)
Entre 1926 et 1927, la FAKB adopte les propositions de la Plate-forme organisationnelle de l’Union générale des anarchistes, un texte publié en 1926 par le groupe d’exilé.e.s russes qui a publié Dielo Trudá (« La cause des travailleur.euses »)33, qui appelle à la nécessité d’une organisation anarchiste programmatique et homogène, fondée sur l’unité idéologique, l’unité tactique (méthode d’action collective), la responsabilité collective et le fédéralisme. Ce projet a eu un impact important sur le développement de la FAKB de 1945, la FAKB Plateform, dont il sera question plus loin.
En 1930, en Bulgarie, l’anarchisme influence la formation de la Confédération de Vlassovden, un syndicat rural qui s’est organisé autour de multiples revendications : « la réduction de la fiscalité directe et indirecte, le démantèlement des cartels agraires, la gratuité des soins médicaux pour les paysan.ne.s, l’assurance et les retraites pour les travailleur.euses agricoles, et l’autonomie des communautés ». Le « syndicalisme de Vlassovden » se répand rapidement – un an après sa création, la Confédération compte déjà 130 branches – et est à l’origine d’un « formidable essor de l’organisation et de la publication anarchistes, si bien que le mouvement anarchiste peut être considéré comme la troisième force de gauche, après le BZS puis le BKP »34
Pendant la révolution espagnole (1936-1939), trente anarchistes bulgares ont combattu comme volontaires dans les milices anarchistes.
Entre 1941 et 1944, une guérilla anarchiste combat le fascisme et s’allie au Front patriotique pour organiser l’insurrection de septembre 1944 contre l’occupation nazie. Entre-temps, l’Armée rouge ayant remplacé les Allemands comme force d’occupation, une alliance s’établit entre la droite et la gauche – appelée « alliance rouge-orange-brun » – qui réprime brutalement les anarchistes35. Les travailleur.euses sont contraint.e.s d’adhérer à un syndicat unique, lié à l’Etat, dans une politique clairement inspirée de Mussolini, et en 1945, lors d’un congrès de la FAKB à Sofia, la milice communiste arrête les quatre-vingt-dix délégué.e.s présent.e.s, ce qui n’empêche pas le journal de la FAKB, Rabotnicheska Misl, d’atteindre un tirage de soixante mille exemplaires par numéro cette année-là. À la fin des années 1940, « des centaines de personnes ont été exécutées et un millier de membres du FAKB ont été envoyés dans des camps de concentration où la torture, les mauvais traitements et la famine infligés à des antifascistes vétérans (mais non communistes) […] étaient presque routiniers ». Ainsi s’achève l’expérience du FAKB, commencée en 191936.
En faisant le bilan de cette expérience organisationnelle, nous pouvons conclure :
« Plusieurs types d’organisations de la classe ouvrière sont indispensables et s’entrecroisent sans subordination : organisations idéologiques anarchistes-communistes, syndicats de travailleur.euses, syndicats de travailleur.euses agricoles, coopératives, organisations culturelles et d’intérêt particulier, par exemple pour les jeunes et les femmes »37.
La pratique de la FAKB pendant ces plus de deux décennies, ainsi que les réflexions théoriques qui ont eu lieu pendant cette période, avec l’influence de la Plate-forme de Dielo Trudá, se sont reflétées, en 1945, dans un document programmatique : la Plate-forme de la Fédération des Anarcho-Communistes de Bulgarie. Selon ce document, la FAKB envisageait, sur la base d’un dualisme organisationnel, une organisation politique anarchiste et un mouvement de masse en ville et à la campagne, composé de syndicats et de coopératives.
« L’organisation politique anarchiste regroupe des anarchistes autour de principes politico-idéologiques anarcho-communistes, est organisée au niveau régional et a les tâches fondamentales suivantes : développer, réaliser et diffuser les idées anarcho-communistes ; étudier toutes les questions vitales actuelles touchant à la vie quotidienne des masses laborieuses et aux problèmes de la reconstruction sociale ; la lutte multiforme pour la défense de notre idéal social et de la cause des travailleur.euses ; participer à la création de groupes de travailleur.euses au niveau de la production, de la profession, de l’échange et de la consommation, de la culture et de l’éducation, et de toutes les autres organisations qui peuvent être utiles à la préparation de la reconstruction sociale ; la participation armée à toute insurrection révolutionnaire ; la préparation et l’organisation de ces événements ; l’utilisation de tous les moyens qui peuvent amener la révolution sociale. « 38
Les anarchistes participent également aux mouvements de masse, en particulier aux syndicats et aux coopératives. Les syndicats doivent organiser la force des travailleurs.euses par lieu de travail ou catégorie d’emploi, et doivent être basés sur le fédéralisme, l’action directe et l’autonomie et l’indépendance de la classe. Leurs tâches principales sont les suivantes :
« La défense des intérêts immédiats de la classe ouvrière, la lutte pour l’amélioration des conditions de travail des travailleurs, l’étude des problèmes de la production, le contrôle de la production et la préparation idéologique, technique et organisationnelle d’une reconstruction sociale radicale, dans laquelle ils devront assurer la poursuite de la production industrielle »39.
Les coopératives agricoles associent la paysannerie sans terre et les petits propriétaires qui n’exploitent pas le travail d’autrui et assument les tâches suivantes:
« Défendre les intérêts des paysan.nes sans terre, de celleux qui ont peu de terres et de celleux qui ont de petites parcelles ; organiser des groupes de production agricole, étudier les problèmes de la production agricole ; préparer la future reconstruction sociale, dans laquelle ils seront les pionniers de la réorganisation et de la production agricole, dans le but d’assurer la subsistance de l’ensemble de la population. »40
En fin de compte, l’expérience de la FAKB, qui se reflète dans ce document programmatique – Plate-forme de la Fédération des anarcho-communistes de Bulgarie – présente des éléments historiques pertinents pour comprendre le dualisme organisationnel anarchiste.
Conclusion
La pertinence de la discussion sur les questions organisationnelles au sein de l’anarchisme est double. D’une part, il est toujours nécessaire d’aborder l’anarchisme avec sérieux, en contrant les arguments de ses adversaires et de ses ennemis, dans l’intention de fournir une connaissance plus substantielle de cette idéologie et doctrine politique et de ses principaux débats. D’autre part, l’approfondissement de la discussion sur le dualisme organisationnel peut contribuer au débat contemporain sur l’organisation des classes opprimées, en fournissant des éléments de réflexion à celleux qui s’intéressent aux mouvements de résistance et à la lutte contre la domination en général, et contre le capitalisme et l’Etat en particulier.
Notes
1. Kolpinsky, “Epílogo”, pp. 332-333.
2. Ibid., p. 332
3. Le spontanéisme est l’idée que les masses se mobilisent d’elles-mêmes, sans besoin d’organisation, de formation ou de préparation préalables, et qu’elles sont donc capables de mener à bien des processus de transformation à grande échelle. Il diffère donc de la notion de spontanéité, composante inévitable de tout mouvement populaire transformateur.
4. Pour quelques études avec une perspective transnationale ou globale qui contestent ces affirmations des adversaires et des ennemis de l’anarchisme et collaborent au débat sur les majorités et les minorités dans l’anarchisme, voir : Felipe Corrêa – Bandeira negra : rediscutindo o anarquismo ; Surgimento e breve perspectiva histórica do anarquismo, 1868-2012 ; « Dossier Anarchisme contemporain : l’anarchisme et le syndicalisme dans le monde entier, 1990-2019 » ; Lucien Van der Walt – « Revolução mundial : para um balanço dos impactos, da organização popular, das lutas e da teoria anarquista e sindicalista em todo o mundo » ; Black flame […] ; « Global anarchism and syndicalism : théorie, histoire, résistance » ; (éditeur avec Steven Hirsch) Anarchisme et syndicalisme dans le monde colonial et postcolonial, 1870-1940) ; Geoffroy de Laforcade – (éditeur avec Kirwin Shaffer) In Defiance of Bouderies : anarchism in Latin American history ; Rafael Viana da Silva – « Os revolucionários ineficazes de Hobsbawm : reflexões críticas de sua abordagem do anarquismo ». Comme le soulignent ces études et d’autres, les mouvements populaires basés sur le lieu de travail et le lieu de résidence ont constitué les vecteurs sociaux de l’anarchisme tout au long de ses cent cinquante ans d’histoire, composés sur des bases de classe, combatives, indépendantes, autogérées et révolutionnaires. Ces mouvements ont renforcé l’intervention sociale anarchiste.
5. Luigi Galleani, The principal of organization to the light of anarchism, p. 2.
6. Ibid., pp. 3, 6.
7. Sur la base des études transnationales et globales mentionnées ci-dessus (Corrêa, Van der Walt, De Laforcade, Viana da Silva), il est possible d’affirmer que les positions anti-organisationnistes ont eu historiquement un écho significatif parmi les anarchistes, mais qu’elles ont toujours été minoritaires par rapport aux positions organisationnistes. Les premières incorporaient fréquemment des arguments individualistes extérieurs à l’anarchisme, d’auteur.ices tels que Max Stirner et Friedrich Nietzsche. Au cours du XXe siècle, le syndicalisme a été la position stratégique hégémonique de l’anarchisme au niveau mondial.
8. Pierre Monatte, “Em defesa do sindicalismo”, pp. 206-207.
9. Errico Malatesta, “Sindicalismo: a crítica de um anarquista”, p. 208.
10. Amédée Dunois, “Anarquismo e organização”.
11. Errico Malatesta, “A organização II”, pp. 55, 56, 60.
12. Errico Malatesta, “A organização das massas operárias contra o Governo e os patrões”.
13. Errico Malatesta, Ideología anarquista, p. 31.
14. Sur la base des études mentionnées ci-dessus (Corrêa, Van der Walt, De Laforcade, Viana da Silva), il est également possible d’affirmer que le dualisme organisationnel était historiquement une position minoritaire par rapport au syndicalisme, du moins dans la pratique.
15. C’est au cours de ces années qu’ont été élaborées les grandes lignes de la théorie de Bakounine sur le dualisme organisationnel anarchiste. La théorie de l’organisation politique anarchiste a été développée par Bakounine, dans des écrits et des lettres, à partir de 1868, lorsque l’Alliance a été formée ; les écrits sur le sujet élaborés ci-dessus ne sont pas encore pleinement anarchistes et ne sont donc pas utilisés ici.
16. Mikhaïl Bakounine, « Lettre à Morago (21 mai 1872) ». La plus grande réalisation historique concrète de l’Alliance a été la création de sections de l’Internationale dans des pays où elle n’existait pas encore et son impulsion là où elle était déjà en activité. Ce furent les cas de l’Espagne, de l’Italie, du Portugal et de la Suisse, au-delà des cas en Amérique latine, encouragés par la correspondance.
17. Mikhail Bakunin, “Letter to Cerretti (March 13-27, 1872)”.
18. Mikhail Bakunin, “Letter to Cerretti (March 13-27, 1872)”, “Letter to Morago (May 21st, 1872)”, “Statuts secrets de l’Alliance: Programme et objet de l’organisation révolutionnaire des Frères internationaux”.
19. Mikhail Bakunin, “Statuts secrets de l’Alliance: Programme et objet de l’organisation révolutionnaire des Frères internationaux”; “Statuts secrets de l’Alliance: Programme de la Société de la Révolution Internationale”.
20. A política da Internacional, p. 67. Mikhail Bakunin.
21. Chez les anarchistes, on croit généralement que les fondements sociaux de cette transformation révolutionnaire consistent en la substitution de la domination systémique – en particulier la domination de classe – par un système d’autogestion généralisée dans les trois sphères (économique, politique et culturelle) et par une société sans classes. Par un processus révolutionnaire, les anarchistes proposent de remplacer : l’exploitation économique capitaliste par la socialisation de la propriété, la domination politique de l’Etat par l’autogestion démocratique, la domination idéologique et culturelle de la religion, de l’éducation et, plus récemment, des médias, par une culture autogérée. Il s’agit donc d’une critique de la domination en général, en particulier de la domination de classe, et d’un engagement en faveur de l’autogestion généralisée. Voir Felipe Corrêa, Bandeira negra : rediscutindo o anarquismo.
22. Mikhail Bakunin, A política da Internacional, pp. 67-69.
23. Ibid., pp. 42-43.
24. Cette position n’implique pas une défense de l' »apolitisme », mais une conception selon laquelle les mouvements de masse ne devraient pas être subordonnés ou liés à une certaine position politico-doctrinale. Ainsi, un syndicat révolutionnaire « anarchiste » – comme dans le modèle anarcho-syndicaliste, par exemple – tend à aliéner les travailleur.euses qui ont d’autres croyances ou idées. Il s’agit de tenir compte du fait que les mouvements doivent englober les différentes positions politico-doctrinales et qu’une position politique ne peut pas subordonner les mouvements populaires. Bakounine et les syndicalistes révolutionnaires, anarchistes ou non, estiment que les mouvements populaires doivent s’organiser autour de bannières concrètes qui unissent les travailleur.euses, sans lien programmatique avec une doctrine politique ou religieuse. D’autre part, des débats entre différentes positions politiques doivent avoir lieu au sein des mouvements, sans pour autant viser à la création, par exemple, de syndicats communistes, catholiques, etc. Au sein d’un syndicat, toustes les travailleurs.euses devraient être prêt.e.s à se battre, quelles que soient leurs positions politiques ou leurs croyances religieuses. (Felipe Corrêa, « Anarquismo e sindicalismo revolucionário »).
25. Mikhail Bakunin, A política da Internacional, pp. 54-56.
26. Mikhail Bakunin, “Aux compagnons de la Fédération des sections internationales du Jura”.
27. La proposition de Bakounine en matière d’organisation politique implique un modèle – s’inspirant de la discussion classique sur les « modèles de parti » et du « parti-cadre » qui ne participe pas aux élections et qui a pour champ d’action les mouvements populaires ; il privilégie la qualité et non le nombre de membres et dispose de critères de sélection et d’admission rigoureux, contrairement aux « partis de masse », qui privilégient la quantité et dont les critères de participation sont très larges, de sorte que, en général, n’importe qui peut y adhérer.
28. Mikhail Bakunin, “Letter to Morago (May 21st, 1872)”.
29. Deux différences fondamentales peuvent être relevées entre la théorie organisationnelle de Bakounine et celle développée par Lénine des années plus tard. La première concerne l’organisation interne. Alors que le parti bakouniniste est fédéraliste et que les décisions sont prises collectivement, de bas vers le haut, de manière démocratique et autogestionnaire, le parti léniniste adopte le centralisme démocratique : les bases sont consultées mais les décisions sont prises par la direction, de haut en bas, de la coupole hiérarchique vers les bases, qui sont obligées de s’y conformer. La deuxième différence fondamentale réside dans la relation entre le parti et les mouvements de masse. Le parti bakouniniste défend une action complémentaire entre le parti et les mouvements, sans aucune forme de hiérarchie ou de domination exercée par le parti, dont la fonction est de renforcer la direction de ces mouvements, car on estime que les masses doivent être responsables de la transformation sociale révolutionnaire ; le parti léniniste, en revanche, établit une hiérarchie entre le parti et le mouvement et se place au-dessus du peuple, sur lequel il exerce une relation de domination. Alors que pour le premier, l’agent de la transformation révolutionnaire est le mouvement de masse, pour le second, ces mouvements ne sont capables que de luttes à court terme et le parti doit les doter d’une capacité à long terme et conduire lui-même la transformation.
30. Jack Grancharoff, Anarquismo búlgaro em armas: a linha de massas anarco-comunista, p. 7.
31. Ibid., p. 9.
32. Ibid., p. 16.
33. Dielo Trudá, “Plataforma Organizacional dos Comunistas Libertários”, 1926.
34. Jack Grancharoff, Anarquismo búlgaro em armas: a linha de massas anarco-comunista, pp. 23-25.
35. Ibid., p. 33.
36. Ibid., p. 36.
37. Ibid., p. 42.
38. Federation of Anarchist Communists of Bulgaria (FAKB), “Plataforma da Federação dos Anarco-comunistas da Bulgária”, pp. 61-62.
39. Ibid., pp. 63-64.
40. Ibid., pp. 64-65.