Par Veille Antifa Liège

15845820257_c72b537a79_bAu vu, nous semble-t-il, du manque d’informations qui transparait sur l’ampleur du mouvement Pegida en Allemagne, sur ce qu’il rassemble, qui s’y rassemble, les tendances qui le traversent, les conséquences qui s’ensuivent et les conclusions à en tirer, nous allons nous y arrêter avant de rejoindre le titre de cet article.

« PEGIDA » = Patriotische Europäer gegen die Islamisierung des Abendlandes = Les Européens patriotes contre l’islamisation de l’Occident.

Lutz Bachmann : le selfie de trop

Le mouvement Pegida a été lancé il y a un peu plus d’un an, en octobre 2014, par Lutz Bachmann en Allemagne. Ancien braqueur, il a été condamné à 3,5 ans de prison pour 16 braquages dans les années ’90. Pour fuir l’exécution de la condamnation, il s’est enfui sous une fausse identité en Afrique du Sud avant d’en être extradé et d’être à nouveau condamné pour trafic de stupéfiants.
Le mouvement tient essentiellement autour de sa personne : il démarre des manifestations hebdomadaires à Dresde avec une centaine de personnes pour en rassembler rapidement jusqu’à plus de 20 000. Des manifestations fleurissent également dans d’autres villes allemandes.
Lorsqu’en janvier 2015 un photo de Lutz Bachmann déguisé en Hitler est diffusée, il quitte Pegida – dont le déclin se fait rapidement sentir (2000 personnes à Dresden)-. En février il en reprend la présidence, réélu par les 6 autres dirigeant.e.s.

En juin, Tatjana Festerling, candidate aux élections pour Pegida, remporte près de 10 % des voix à Dresde.
En septembre, le nombre de réfugié.e.s qui arrivaient en Allemagne augmentant, le mouvement repris un second souffle, et les manifestations grossirent de nouveau.
En octobre 2015 Lutz Bachmann est inculpé pour incitation à la haine raciale suite à des propos tenus sur facebook, et est, toujours actuellement, menacé de 5 ans de prison pour avoir violé les droits de l’homme liés aux réfugié.e.s, de les avoir insulté.e.s et d’avoir incité à la violence contre leurs personnes.
Bon orateur aimant se mettre en avant, son discours intègre des notions de « dissidence » face à un régime de « bien-pensants » avec des médias « mis au pas », se voulant « combattant pour la liberté » et « le bon sens »[1].
Voilà pour l’instigateur…

Dans les faits, Pegida a permis à des « citoyen.ne.s inquiets et inquiètes » de se rassembler et de se côtoyer dans les rues. Des citoyen.ne.s critiques envers la politique d’Angela Merkel, notamment au niveau de l’asile (mais pas que, au niveau de l’austérité et de la perte de souveraineté nationale face à l’Europe aussi), accompagné.e.s des franges les plus dures de l’extrême droite. Nous y retrouvons aussi nombre de conspirationnistes de toutes sortes.
En Allemagne de l’Ouest, où ce sont surtout des groupes organisés de néonazis et de hooligans d’extrême droite qui sévissent, si Pegida essaye de temps en temps d’y prendre sa place, ça ne marche pas trop bien pour elleux. C’est surtout dans l’Est du pays qu’une partie critique de la population accroche. Et pas seulement sur la mode de l’anti-islam : on y a vu une potence avec les noms de Merkel et de Gabriel (vice-chancelier, social démocrate), une représentation de Merkel en tenue nazie (la croix gammée étant troquée par un €), et l’idée que « les juifs (ou parfois les musulmans) et les États-Unis veulent détruire l’Allemagne, Angela étant à leurs bottes ».


Potences et drapeaux de la « German Defense League » côtes à côtes

Des orateurs sont invités toutes les semaines. Pour fêter le 1er anniversaire de Pegida, c’est l’écrivain germano-turc Akif Pirinçci qui s’y est collé. Et si même Lutz Bachmann l’a interrompu durant son intervention où il condamnait pêle-mêle l’islam, les homosexuels, la libération des femmes, terminant en lançant à la foule « Il y aurait bien une autre solution. Mais les chambres à gaz sont malheureusement hors-service », cette même foule ne l’en a pas moins applaudi.

Si dans les manifestations il y a beaucoup de néonazis organisés, de grands groupes de hooligans néonazis [2], il y a également beaucoup de personnes du parti AfD (Alternative für Deutschland – alternative pour l’Allemagne) [3]. Le parti néonazi NPD s’y retrouve aussi bien entendu. Et l’on peut y voir des drapeaux de la « German Defense League ». Mais il y a surtout beaucoup de « citoyen.ne.s inquiets et inquiètes », prêt.e.s à rejoindre les idées et les méthodes de ces groupes organisés. Un mélange très dangereux, donc.

La radicalisation est rapide. Les actes violents suivent rapidement les premières mobilisations (toujours surtout dans l’Allemagne de l’Est, et la région de Dresde en particulier) : incendies de centres pour réfugiés (pour l’instant surtout des cocktails Molotov sur des bâtiments vides destinés à recevoir des réfugié.e.s), tabassages de réfugié.e.s et de militant.e.s anti-racistes et anti-fascistes (les statistiques d’agressions à caractère raciste ont grimpé en flèche en 2015, avec des pics dans les moments qui suivent les manifestations Pegida),…

Statistiques des agressions racistes en Allemagne


Mais ce ne sont pas « que » les réfugié.e.s récent.e.s qui sont visé.e.s puisque ces personnes ne sont que l’excuse utilisée par Pegida pour porter un discours « anti-islamisation de l’Occident » (théorie du grand remplacement, de la guerre de religions,… ). Les néonazis se frottent les mains : ce mouvement citoyen sort le racisme primaire de l’intime, de l’inacceptable, et une partie de la population revendique publiquement une Europe blanche et chrétienne. Et est prête à se battre pour.
Dans tout le pays le processus devient palpable et il devient normal de porter dans toutes les discussions des arguments violents contre les réfugié.e.s ou « les musluman.e.s ».

Dans quelques petites villes comme « Heidenau », « Meißen » ou « Freital » des groupes néonazis ont coopéré avec les groupes locaux de Pegida. Des manifestations contre des centres de réfugié.e.s ont parfois duré durant plusieurs jours, les manifestant.e.s attaquant les réfugié.e.s et les centres. Mais également la police qui voulait intervenir. La situation se calmant plusieurs jours par après la venue et l’intervention de groupes antifascistes venus de toute l’Allemagne. (fin de l’histoire… pour le public)

Évidement les contre manifestations de grandes ampleurs fleurissent partout en Allemagne. Et les critiques officielles pleuvent puisque les Églises se positionnent contre le mouvement Pegida, tout en critiquant fortement la politique de fermeture vis-à-vis des réfugié.e.s. d’Angela Merkel (dont le parti de droite chrétienne/conservatrice critique pourtant Pegida et ses positions racistes).


Contre-manifestation antifasciste à Heidenau

Nous pourrions encore parler de l’agression au couteau de la maire de Cologne en octobre, anciennement chargée de l’accueil des réfugiés dans la ville, et de tellement d’autres exemples de la dangerosité de ce mouvement ouvertement raciste, xénophobe ou de la pleine recrudescence de l’extrême droite néonazie auquel il participe activement…

Côté Europe de l’Ouest, le mouvement tend à s’implanter dans d’autres pays, où des manifestations ont déjà eu lieu. Autriche, Suisse, Norvège, Angleterre, France, Pays-Bas, Belgique,…

Penchons-nous plus particulièrement en Belgique.
On entend parler de Pegida en Flandres depuis le début d’année :
Pegida Vlaanderen :
- Début mars : manif non autorisée à Anvers. 250 personnes (tout le monde a eu une amende administrative de la part de Bart De Wever !)
- 30 juin : manif autorisée à Anvers. 80 personnes.
- 7 septembre : manif autorisée à Saint-Nicolas (Flandre Orientale), 200 personnes (dont Filip Dewinter du Vlaams Belang), au domaine militaire Westakkers, contre l’hébergement futur de 250 demandeurs et demandeuses d’asile sur ce site.
- projet pour novembre :
1. Rassemblement autorisé à Termonde (Flandre Orientale) devant un ancien internat qui doit accueillir 144 demandeurs et demandeuses d’asile (dont beaucoup de mineur.e.s non accompagné.e.s).
2. Soutien à la manifestation « pro frontières – pro nation – pour la limitation de l’immigration » de la NSV (Nationalistische Studentenvereniging – association des étudiants nationalistes – organisation étudiante officieuse du Vlaams Belang) du 26 novembre à Louvain

Du côté wallon, ça peine un peu, il faut le dire !
Et si l’association islamophobe « Nonali » (derrière laquelle se trouve surtout Pierre Renversez) a essayé de fédérer du monde sur facebook (ou simplement de faire sa propre promotion), ça ne les a pas mené bien loin dans le concret (et nous ne nous en plaindrons pas).
Le groupe Pegida Wallonie-Bruxelles est bien silencieux depuis sa tentative avortée de manifestation en mars dernier à Verviers (au final, seule une distribution de tracts eut lieu sur le marché).

Mais depuis quelques jours nous entendons parler d’une demande de permission de manifestation de Pegida à Liège pour ce 21 novembre. Elle aurait été refusée une première fois par le bourgmestre sous prétexte que le lieu n’était pas disponible (montage du village de Noël sur la place Saint Lambert). Une deuxième demande a été déposée « en urgence » (les demandes doivent se faire normalement 3 mois à l’avance, mais d’après l’organisateur l’urgence serait justifiée par l’arrivée quotidienne de réfugié.e.s) pour la gare des Guillemins ce 4 novembre.
C’est moins médiatisé, mais l’organisateur aurait posé la même demande dans la commune de Visé. Demande rejetée par les autorités.

Cet organisateur n’a rien à voir avec Nonali. Il s’agit de Lionel Baland.
Une page (qu’il a sans doute écrite lui-même sous le pseudo « Lio ») lui est consacrée sur le site « Metapedia », un wiki que l’on peut facilement qualifier de nationaliste et suprémaciste blanc !

« Le saviez-vous ? » sur la page d’accueil de Métapédia anglophone

 

Et Lionel Baland a commencé très jeune : il est « journaliste de guerre » pour le journal « La Meuse » (tiens tiens) en couvrant le conflit en ex-Yougoslavie dans les années ’90. Son travail de fin d’études en journalisme (publié dans une revue liégeoise) s’intitule : « La presse rexiste, histoire d’une dérive politique : des débuts à 1940 ». Il a écrit et publié également deux autres ouvrages : « Léon Degrelle et la presse rexiste » (2009) et « Jörg Haider, le phénix. Histoire de la famille politique libérale et nationale en Autriche » (2012).

Il anime un blog, adore interviewer les leader des partis nationalistes européens et ses articles font le tour de la fachosphère : novopress, fdesouche, égalité et réconciliation, rivarol,… une belle carte de visite pour intégrer le mouvement Pegida.

Parce que ce mouvement ne lui est pas étrangé : il se rend régulièrement aux manifestations où il prend la parole. Laissons-le d’ailleurs décrire lui-même ses liens avec Pegida :
« Le 23 mars 2015, il est l’orateur principal lors de la manifestation de PEGIDA à Duisbourg en Allemagne. Il est un des orateurs de la manifestation de die Freiheit à Munich le 17 juillet 2015 et de PEGIDA à Nuremberg 23 juillet 2015. Le 11 septembre 2015, il prend la parole à Essen aux côtés du vice-président national des Republikaner André Maniera, de la dirigeante de PEGIDA à Francfort-sur-le-Main Heidi Mund, de la dirigeante et fondatrice de Résistance Est/Ouest Ester Seitz, du Conseiller municipal des Republikaner de Duisbourg Mario Malonn et du président de die Freiheit pour la Rhénanie du Nord-Westphalie Ferdinand Gerlach. Le 11 octobre 2015, il prend la parole à Utrecht lors du premier rassemblement de PEGIDA aux Pays-Bas, aux côtés du fondateur et dirigeant de PEGIDA Lutz Bachmann (Dresde), du dirigeant de PEGIDA aux Pays-Bas Edwin et du fondateur et ancien dirigeant de l’English Defense League Tomy Robinson (Royaume-Uni). »

Si la manifestation est autorisée les membres du groupuscule « Nation » ont déjà annoncé leur présence [4] : ils ont montré ces derniers temps que s’ils n’étaient pas capables de lever par eux-mêmes une vague anti-immigré.e.s, ils étaient prêts à tout pour surfer sur celle des autres (présence tant à Mouscron qu’à Walcourt -où ils se sont faits sortir, d’ailleurs, et notamment pour un salut nazi). Et Liège étant à la frontière tant des Pays-Bas que de l’Allemagne, au vu des amitiés de Lionel Baland dans ces pays, il est fort probable que des membres de Pegida de ces pays se déplacent.
Sans compter tous ces « citoyen.ne.s inquiets et inquiètes » belges qui profitent déjà de la libération de la parole raciste pour se décharger et se défouler dans les commentaires de SudPressen(entre autres) ! Et même si l’on sait que, généralement, ces « citoyen.ne.s préfèrent râler qu’agir, il ne faut pas sous-estimer le potentiel rassemblement de la haine porté par Pegida, l’Allemagne nous le montrant.
Gageons que si la manifestation est interdite certain.e.s voudront passer outre et se rassembler tout de même.

Ce mouvement n’est pas « une voix qui s’exprime démocratiquement », Pegida n’est pas la « liberté d’expression », mais un appel à la haine et à la violence.

Il y a plusieures manières de lutter contre le fascisme : s’informer, informer et déconstruire ses discours, être présent.e.s quand il agit et lutter contre les situations qu’il exploite. C’est-à-dire lutter contre les mesures d’austérité en Europe et contre la fabrication de la misère dans les autres pays du monde.

[1] Si ça vous en rappelle d’autres, c’est normal…
[2] Hooligans du Dynamo Dresde, Lokomotive Leipzig, Energie Cottbus,… des clubs qui ont depuis des dizaines d’années de grands groupes de hooligans néonazis
[3] Un nouveau parti populiste de droite, à la base fondé contre les soi-disant plans de « sauvetage » de l’Euro (ou plutôt des actionnaires des plus grandes banques européennes, allemandes en tête),… mais maintenant tourné de plus en plus vers la droite radicale en surfant sur la polémique migratoire -un parti que l’on pourrait comparer au Vlaams Belang ou au FN-
[4] Non sans avoir préalablement critiqué l’initiative, Nation déclare sur son site « si ce rassemblement se fait à Liège, des militants de NATION y participeront mais en laissant les organisateurs devant leurs responsabilités »

Pour terminer, rions un coup…

Source : Indymedia Bxl