Alors voilà, je vais le dire, je suis pas cheminot ce n’est donc qu’un avis tout à fait extérieur et je ne suis pas au fait de l’ensemble des débats en interne et des rapports de force au sein de la SNCB. Voilà les quelques éléments que j’ai pu constater en me rendant sur les piquets situés à la Gare du Midi. La grève a été massivement suivie, et ce peu importe ce que pourront en dire les journalo-policiers. Ceux-ci ont d’ailleurs été chauffés par les travailleurs à cause de leurs littanies de haine anti-grévistes dont ils nous abreuvent depuis trop longtemps… Un cameraman, vexé, repondit d’ailleurs : « Et si nous on faisait l’amalgame sur l’ensemble des gréviste ? »… on gardera sa remarque en tête pour le prochain sujet d’RTL sur un mouvement de grève. Bref, il est indéniable que, malgré la propagande médiatique et les lâchages des permanents néerlandophones, les menaces des politiques, les huissiers et les bureaucrates armés (a.k.a les flics), les cheminots ont tenu bon et se défendent bec et ongles face aux attaques des partisans de la privatisation. Un succès, oui, mais avec, indéniablement, un arrière-goût de victoire à la pyrrhus.
Ce que l’on peut constater c’est que, malgré une majorité écrasante de grévistes, nous étions peu nombreux sur les piquets. La conséquence première est bien entendu que cela donne l’impression aux caméras que les grévistes forment la minorité du mouvement, tandis que la minorité d’anti-grèvistes semble majoritaire. Je crois que la conséquence la plus vicieuse est, à plus long terme, la modification de l’essence de grève. J’entends par là que, mis à part quelques fascistes patentés, aucun politicard n’ose se prononcer ouvertement contre le principe du droit de grève (il faut encore conserver le vernis démocratique décrépis quelques temps), ils préfèrent discourir sur l’anti-démocratisme des piquets de grève, sur l’importance du droit au travail, du choix, etc. En fait, ils veulent faire rentrer dans les carcans de leur démocratie libérale l’acte de révolte que constitue la grève, en niant son caractère collectif pour l’atomiser comme l’ensemble de notre société. Ce qu’ils veulent nous faire croire, c’est qu’on devrait faire grève tout en restant chez soi et que les non-grévistes – et puis merde, appelons-les, les jaunes car c’est ce qu’ils sont – que les jaunes, donc, devraient pouvoir exercer leur droit « démocratique » et aller tranquillement au travail. Ça c’est le discours qu’ils tiennent… Ouais bon, en vrai, ils savent très bien qu’en détruisant les piquets, on détruit les moments collectifs qui rendent possible une grève, et donc la grève elle-même en la rendant aussi utile que le vote (oups, pardon, je sais, nos ancêtres se sont battus pour ça et respect toussa). Pour en revenir à nos grévistes de salon, on doit sans doute se demander pourquoi ils préfèrent rester chez eux, car je sais très bien que la plupart des délégués se battent pour faire venir leurs collègues sur les piquets. Je crois que la raison est que les travailleurs n’y croient plus, qu’ils n’ont plus la conviction de pouvoir gagner, et ce même s’ils ne doutent pas de la nocivité des projets de Mme l’incompétente Galant.
Il y a bien sûr des tas de facteurs qu’on pourrait invoquer à propos de cette perte de conviction, je vais en explorer un seul qui est la question de la légalité. J’ai l’impression que, globalement, moins les syndicats ont une chance que l’Etat intervienne en leur faveur, plus ils deviennent obséquieux dans le respect des règles légales. On envoie les huissiers et la flicaille contre nos mouvements, mais il faut rester calme et tendre la joue. Je pourrais parler aussi de la manière dont des pans entiers de l’économie se torchent quotidiennement le cul avec le droit au travail, et ce, avec la bénédiction du personnel politique. Nos syndicats gardent pourtant l’espoir que le monstre froid va subitement changer de personnalité et se précipiter à leur secour. C’est paradoxal d’entendre des permanents et délégués décrier le sabotage et le blocage des voies ou des piquets filtrants au moment où la lutte radicale prend toute son importance. On ne parle même pas d’une question révolutionnaire (j’aime à rappeler que l’AFL, l’American Federation of Labour, l’ancien grand syndicat réformiste des U.S.A, est celui qui a posé le plus de bombes dans l’histoire sociale de ce pays) mais simplement de tactique. Si un patron te tape le bout du doigt, tu lui mets une claque sur la main; s’il te touche la main, tu lui tords le bras, et ainsi de suite. C’est ainsi qu’on impose un rapport de force et le respect qui va avec.
J’entends déjà dire : mais les médias ! … Les médias ? Rien du tout, ils sont contre nous, ils ont toujours été contre nous. Peu importe la forme que prendra la contestation sociale, ils la critiqueront. Il n’y a rien d’étonnant à cela, la plupart des journalistes appartiennent de fait aux classes dominantes par leur capital social, quoi de plus normal qu’ils défendent leur famille ? De plus, comme la plupart des médias cherchent le profit rapide ils ne feront jamais d’enquêtes longues et coûteuses sur les raisons d’une colère. C’est une chance qu’à notre époque, selon toutes les enquêtes d’opinion, on ait jamais eu si peu confiance en eux alors pourquoi orienter nos actions selont leurs incessants persiflages ?
On me dira aussi que cette radicalité va de pair avec des risques de licenciements ou de sanctions financières. C’est tout à fait vrai mais je ferais remarquer qu’on aime toujours rappeler les glorieux acquis historiques syndicaux pour justifer l’utilité des grèves d’aujourd’hui. Or j’ai l’impression qu’on a tendance à oublier l’autre versant historique de ces victoires : les licenciements massifs des grévistes (et donc la misère pour eux et leur famille), la prison pour les militants les plus actifs et littéralement parfois le sang des ouvriers. Alors oui les conditions matérielles ont changé mais qui ne peut pas constater qu’aujourd’hui à ne rien risquer, on a tendance à ne pas gagner grand chose aussi ? Ensuite, le sacrifice qu’on est prêt à faire n’est-il pas une manière de mesurer nos convictions en la cause pour laquelle on se bat ? En comparaison avec ceux que font certains sacrifices pour d’autres causes actuelles et bien j’ai peur que l’on ait l’air de petits rigolos …
Je peux dés lors comprendre les grévistes de salon qui évitent de s’impliquer. Quand on défend une idée ou on se lance dans un combat, on le fait pour gagner. Pour gagner, on doit être prêt à tout, et si nous n’avons pas ce courage et bien, autant ne pas se battre. Il est donc logique que certains choisissent de rester chez eux. Il faut être conséquent avec nous-mêmes et nos idées. En face, ils le sont, alors pourquoi pas nous ? Peut-être qu’au fond nous aussi, nos convictions ont été sapées par les défaites, rongées par le doute et le confort du capitalisme consumériste. Avec la manière de faire actuelle, on peut retarder le train des « réformes » c’est sans doute déjà beaucoup, mais jamais nous ne pourrons le faire dérailler et à long terme ils gagneront. A moins que…
Wildcat