Par Anna (AL Auvergne)
En 1905, à Limoges, le harcèlement sexuel d’un contremaître provoque une grève des ouvrières de la porcelaine, soutenue par « leurs hommes ». Nous sommes nombreuses à subir cette oppression.
Les grèves de Limoges ont déjà fait l’objet d’un article dans Alternative libertaire le 25 avril 2015. Aussi, si je reviens sur ce mouvement, ce n’est pas pour vous en faire découvrir les grandes lignes mais pour souligner des particularités de celui-ci en particulier la place des femmes. Étudiée dans le cadre d’un ouvrage de Marie-Victoire Louis publié en 1994, elle n’a pourtant pas connu un grand retentissement médiatique. Ni hier, ni aujourd’hui.
Une grève historique
Si la grève débute en février 1905, c’est d’abord pour protester contre les bas salaires des ouvriers de la chaussure et du feutre. Ce sont vite toutes les usines qui protestent. Limoges résonne aujourd’hui dans nos esprits pour ses usines de porcelaine, rendues actives au centre de la France grâce aux mines de kaolin, ingrédient indispensable pour la fabrication de la porcelaine.
Dans la fabrique de Charles Haviland en particulier, un certain Penaud, dit alors parfois contremaitre ou directeur, pratique une étrange élection pour répartir le travail. Il « fait tout son possible pour amener le rétablissement du travail aux pièces (et par ailleurs)… réserve le bon travail à ses créatures. On ne peut gagner sa vie sans s’être assuré, par des amabilités, des gracieusetés, des dons, en nature et en argent, de la bienveillance du contremaître… Les femmes et les jeunes filles sont soumises à des exigences de caractère particulier. » Les revendications s’élargissent pourtant, comme en témoigne la présentation qui en est faite par les archives départementales de la Haute-Vienne. « Fondamentalement, les conflits sont liés au développement et à la concentration des usines : c’en est fini d’une certaine atmosphère familiale et paternaliste. L’encadrement doit veiller à ce que la réduction du temps de travail, pourtant bien mal appliquée dans les manufactures de porcelaine, ne nuise pas à la production : accélération des cadences, contrôles stricts des entrées et des sorties de l’usine… La colère se cristallise donc souvent sur les Penaud ou les Sautour, et ce d’autant plus violemment lorsque leur attitude porte atteinte à l’honneur de l’ouvrier ou de l’ouvrière. »
L’enjeu de l’intersectionnalité
La grève se poursuit et se durcit, et c’est certainement ce qui se passe alors qui rend célèbre cette révolte puisqu’un grand nombre de photographies sont encore disponibles. L’armée intervient le 14 avril et Camille Vardelle, un ouvrier de 19 ans, est tué le 17 avril.
Pourquoi les hommes ont-ils dans cette grève pris part aux revendications féminines ? Par solidarité ? Pas vraiment. La grande erreur de ce patron fut certainement de « chasser » sur le terrain des hommes de la ville de Limoges. La jalousie est certainement une des explications qui ont permis aux deux genres, retrouvés autour de leur classe, de s’allier. En effet, cette lutte nous offre l’occasion d’observer comment se mêlent les considérations de classes avec celles de genre.
Cet événement, certes ancien nous permet de mettre en lumière un mécanisme des logiques de domination : celui de l’intersectionnalité. Angela Davis fut certainement l’une des théoriciennes les plus connues de ce mécanisme qui consiste à remarquer que la pluralité des oppressions que l’on subit ne se contentent pas de s’additionner mais créée un vrai entremêlât de dominations dont il est particulièrement difficile de se sortir. Dans le cadre de ces ouvrières, il s’agit de celui d’être des femmes, mais en plus des ouvrières. Leur lutte se construit donc à l’intersection de lutte de classe et de lutte de genre.
Enfin, la dernière raison qui me pousse à user de cette vieille histoire est de réveiller des problématiques profondément contemporaines. Derrière le hashtag #BalanceTonPorc dont nous avons tant entendu parler, se cache effectivement la réalité d’un grand nombre de femmes. A parler des réalités, je peux parler de la mienne. En 2013, j’ai eu le premier job de ma vie. Il consistait à faire l’hôtesse pour Coca. Vous voyez bien de quoi je parle. Vous savez le même genre d’hôtesse que sur les salons automobiles. Cible du client : les hommes. Moyen de les conquérir ? Tous. Pour la première fois de ma vie les rapports humains étaient salariés. Pour la première fois de ma vie, les rapports de séduction étaient salariés. A une collègue, j’ai parlé de féminisme. Ça s’est su. Au 2e jour, le manager ne descendait pas du camion lorsque l’on se changeait. Au 3e, j’étais licenciée. Que dire de cette aventure ? Que la réalité de la complexité des rapports au travail, en particulier ceux de séduction reste et demeure présente pour un grand nombre d’entre nous.