En 1939, les combattantes et combattants volontaires étrangers en Espagne durent fuire l’avancée franquiste. La Retirada les mènera au même titre que les combattantes et combattants espagnols dans les camps d’internement en France. Parmi elles et eux, des militantes et militants anarcho-syndicalistes allemands du Deutsche Anarcho-Syndikalisten (DAS) se trouvaient emportés dans la tourmente.

En mars 1932, lors de son dernier congrès national à Erfurt, la Freie Arbeiter-Union Deutschlands, (FAUD, Union libre des travailleurs allemands) prévoit la dissolution de son bureau fédéral à Berlin en cas de prise de pouvoir par les nazis. Dans le même temps, ces anarcho-syndicalistes affrontent violemment les nazis, en créant une milice de combat d’environ 500 membres. Après la prise de pouvoir nazie en 1933, la FAUD est décimée par des vagues d’arrestations.

Dès lors, la FAUD transfère clandestinement sa commission de gestion de Berlin à Leipzig. Les groupes de base organisent des rencontres régionales, tissant ainsi un réseau de résistance comprenant environ 600 militantes et militants. Bravant la censure, ils impriment et diffusent de la propagande clandestine  : le journal Die soziale Revolution (La révolution sociale), dont 8 numéros sont parus entre 1933 et 1935. Les anarcho-syndicalistes qui ont pu fuir l’Allemagne nazie et la répression se réorganisent entre 1933-1934. Ils se dotent alors d’un bureau à Amsterdam. Jusqu’en 1935, la FAUD organise un réseau d’exfiltration de militant·es vers la Hollande, qui introduit de la propagande antinazie en Allemagne.

Prolonger la lutte depuis Barcelone

Parmi les réfugié·es de la FAUD, quelques dizaines s’installent en Espagne où, dès 1934, ils forment un groupe en exil, les Deutsche Anarcho-Syndikalisten (DAS). Dès le 19 juillet 1936, les Barcelonais du DAS apparaissent au grand jour afin d’appuyer la CNT, et mettre en échec la tentative de coup d’État fasciste. D’autres militantes et militants du DAS les rejoignent alors pour participer à la révolution sociale. À Barcelone, le bureau d’animation du DAS comprend une vingtaine de personnes dont certain·es connu·es comme Helmut Rüdiger et Augustin Souchy, mais aussi des intellectuel·les allemands, dont certaines juives et juifs, tels Etta Federn, la photographe Margaret Michaelis-Gross ou Carl Einstein, blessé au front et qui prononça un hommage à Durruti lors de son enterrement. Le DAS inclut aussi des libertaires juives et juifs autodidactes et ouvriers artisans, – tels que Fritz Koehen, Egon Illfeld ou Isidor Aufseher – ayant migré de la Pologne et de la Russie vers l’Allemagne où ils ont intégré la FAUD avant de fuir le nazisme et de partir en Espagne, pour mieux le combattre.

Les antifascistes rejoignent les milices libertaires

On estime, selon les sources, entre 230 et 250 le nombre de militantes et militants antifascistes qui combattent dans les groupes internationaux des milices de la CNT. Toutes et tous n’appartiennent pas directement au DAS, qui ne regroupe que 45 adhérentes et adhérents. Cependant, ce groupe reste une boussole pour la plupart d’entre elles et eux et il se renforce début 1937 grâce à un cercle de 50 à 80 sympathisantes et sympathisants. Certaines et certains sont des dissidents du KDP (Parti communiste allemand) pour partie débauchés par la commission propagande du DAS. D’autres sont des sympathisantes et sympathisants du POUM, notamment Augusta Marx et Margot Tierz. Elles s’engagent comme infirmières dans le groupe international de la colonne Duruti. Faites prisonnières, elles seront sauvagement assassinées par la soldatesque franquiste.

Affiche du groupe anarcho-syndicaliste allemand DAS, qui était intégré à la CNT espagnole, réalisée en 1936 par Arthur Lewin. Les avions, sous la direction d’Hitler, se dirigent vers la France représentée par un enfant souriant. Le slogan, d’autant plus prophétique que nous sommes en 1937, est : « Aujourd’hui, l’Espagne, demain, le Monde ».

Les miliciens s’engagent sur le front. Ils et elles sont 150 à lutter au coude à coude avec les anarcho-syndicalistes espagnols dans les bataillons de volontaires internationaux, constitués dans les jours qui suivent le 19 juillet. Ils rejoignent des milices anarchistes sur le front d’Aragon, en particulier dans la colonne Duruti , au sein de groupes d’assaut. On les trouve également dans la colonne Ascaso, au sein du bataillon des volontaires internationaux, notamment dans l’unité de mitrailleurs Eric Musham, dans la batterie Sacco et Vanzetti, dans la colonne Tierra y Libertad, dans les colonnes Ortiz ou Hilario-Zamora. Un certain nombre perdront la vie dans des batailles acharnées, à Perdiguera ou à Santa Quiteria. Puis, après mai 1937, seule une partie d’entre elles et eux intègre l’armée républicaine. En effet, des dissensions apparaissent entre ceux qui soutiennent la direction politique de la CNT, tel Rudolph Michaellis, dans sa collaboration avec le gouvernement stalino-républicano et ceux qui le dénoncent, comme Ernst Gallanty ou Ferdinand Götze.

Un travail de propagande en direction de l’étranger (affiches, brochures, radio) est engagé. Un certain nombre de militantes et de militants sont polyglottes et traduisent la propagande politique de la CNT. D’autres, comme Etta Federn, se consacrent à l’éducation. Celle-ci, arrivée dès 1932, est active chez les Mujeres Libres, à Blanes, où elle dirige quatre écoles et organise la formation des institutrices et des instituteurs. De 1937 à 1939, Paula Feldstein, dirige à Llansa une colonie d’enfants Ascaso-Duruti sous l’égide de la Solidarité internationale antifasciste.

La République espagnole ne leur pardonnera jamais

Les membres du DAS participent aux opérations de renseignement antinazi. De juillet à octobre 1936, des éléments du DAS, constitués en patrouilles de contrôle, et aux côtés des groupes d’investigation de la CNT-FAI, aident à la neutralisation de l’appareil nazi à Barcelone (la section du NSDAP, le Front du Travail allemand, la Gestapo, etc.). Ce groupe d’action organise des perquisitions et des expropriations dans les appartements de sympathisants et militants nazis allemands, de bâtiments culturels ainsi que du Consulat allemand de Barcelone. En juin 1937, à la suite des investigations concernant les documents nazis confisqués à l’Ambassade d’Allemagne ainsi que d’autres officines nazies, le DAS publie La Petite Histoire d’un livre oublié, Le nazisme mis à nu (paru en allemand sous le titre Schwarzrotbuch), puis un livre sur l’empire hitlérien, Noir et rouge, et sa version espagnole en 1938. Ce document eut une importante réelle et pratique dans le contexte de l’époque car il contribue à révéler la dimension internationale des organisations du parti nazi à l’étranger. Les militantes et militants du DAS ont saisi des documents qui prouvaient que le NSDAP en Espagne avait surveillé et intimidé les opposantes et opposants au régime nazi et influencé la politique intérieure de l’Espagne, mettant en évidence des accointances politiques entre la Generalitat de Catalogne ou même le Comité central des milices antifascistes et l’appareil nazi à Barcelone.

Peut-être cela permet-il d’expliquer pourquoi l’action radicale des antifascistes allemands du DAS contre le Consulat général d’Allemagne et le réseau nazi barcelonais est resté dans les oubliettes de l’historiographie officielle. Ils ont pourtant joué un rôle fondamental, dès le 20 juillet, dans le démantèlement de ce vaste réseau nazi qui opérait depuis le Consulat général d’Allemagne de la capitale catalane. Cependant, abandonnés par les représentants de la CNT, intégrés dans les gouvernements de la Generalitat et de Madrid, on ne leur pardonnera jamais leur implication dans des questions d’ordre public en Catalogne. Ils finiront victimes de l’ostracisme et de persécutions au cours des affrontements de mai 1937 qui marquèrent la rupture entre anarchistes et staliniens. Les militantes et militants du DAS sont alors pourchassés et arrêtés par l’appareil policier stalino-républicain, grâce aux indications des revanchards du Parti communiste stalinien allemand.

Certains membres du DAS fuyant le nazisme rejoignent Barcelone en 1934 et combattent dès 1936 dans les groupes internationaux des milices de la CNT.

En Allemagne, les nazis, prenant connaissance des activités du DAS, procèdent en 1937 à des rafles, détruisant ainsi le réseau de résistants anarcho-syndicalistes. Deux cents militantes et militants sont arrêtés par la gestapo pour leurs activités syndicales clandestines. « Les hommes arrêtés sont tous des partisans convaincus du mouvement anarcho-syndicaliste  », écrit dans son rapport le policier chargé de coordonner l’action. Il ajoute  : «  Ils sont tellement convaincus de la justesse de leurs idées qu’ils ne pourront que difficilement être rééduqués pour devenir des membres utiles à la communauté du peuple allemand. ».

Quant aux apatrides du DAS, piégés en France à la suite la défaite, 21 d’entre elles et eux sont raflés par la police nazie et envoyés en prison ou en camp de concentration. Certaines et certains, tel Karl Einstein, se suicident pour éviter l’humiliation !

Jean-Marc Izrine (UCL Toulouse)

Alternative Libertaire Le Mensuel, novembre 2019


Pour en savoir plus sur l’histoire du DAS et des antifascistes libertaires internationaux en Espagne :

  • Marianne Enckell, Pour le bien de la révolution, paru en 2006 aux éditions du CIRA de Lausanne, dont l’une des parties est consacrée au journal d’Edi Gmür, volontaire suisse (de langue allemande) du Groupe international de la colonne Durruti.
  • Stéphanie Prezioso, Jean Batou, Ami-Jacques Rapin, Tant pis si la lutte est cruelle, ed. Syllepse, janvier 2008. En particulier, pages 209 à 223, le chapitre écrit par Dieter Nelles.
  • Carlos García, Harald Piotrowski et Sergi Roses, Barcelona Mayo 37. Testimonios desde las barricadas, éditions Alikornio, Barcelone, 2006.
  • Dieter Nelles, H. Piotrowski, Ulrich Linse, Carlos García Antifascistas alemanes en Barcelona (1933-1939), El Grupo DAS : sus actividades contra la red nazi y en el frente de Aragón, Editorial Sintra, Barcelone/Espagne, 2010.
  • Die Gruppe « Deutsche Anarchosyndikalisten » (DAS) Verlag Graswurzelrevolution, Heidelberg, 2013.