par San vincente (AL Bruxelles)

296925_2168479286247_1074641056_32034013_686398727_nSi l’on peut s’accorder sur la nécessité impérieuse d’un mouvement antifasciste, il reste à savoir si l’objet de son existence est encore d’actualité. Autrement dit de déterminer si le mouvement fasciste constitue encore une menace pour le prolétariat. Sinon, il est bien sûr que le momentum révolutionnaire de l’antifascisme serait dépassé depuis bien longtemps.

Doit-on croire que la menace brune s’est évaporée lors de la chute du III Reich ? Si c’est le cas, il est clair que l’antifascisme constitue une arnaque intellectuelle. C’est là tout d’abord une thèse avancée par une grande partie de l’extrême droite. On peut comprendre aisément la nécessité politique pour eux. Le nazisme a constitué un tel traumatisme pour nos sociétés occidentales qu’il fait désormais office dans l’imaginaire et le discours politique du mal absolu. Dès lors être considéré comme un nazi équivaut à se voir jeter l’anathème sur son parti, son organisation ou son discours. Cette thèse de la fin du fascisme en 1945 leur permet donc en réalité de se dédouaner d’une étiquette qui si elle leur collait à la peau, anéantirait toute velléité d’accéder un jour au pouvoir.

C’est une thèse également largement répandue au sein des élites universitaires bourgeoises par exemple Pierre Milza et René Raymond. La raison première est qu’assez rapidement se succède à la seconde guerre mondiale, la guerre froide. Dans toutes une série de pays, on va devoir recycler une grosse partie des administrations, des patrons, de la magistrature, de l’armée et de la police dans les nouveaux Etats qui feront face à l’empire soviétique. Cet enrôlement massif va être possible dans la construction d’un mythe, celui du fascisme comme moment exceptionnel de nos sociétés exogènes. Il n’y a ni prémice ni continuité, on va enfermer la réalité du phénomène fasciste dans un continuum temporel limité. Dès lors une fois qu’on aura pendu quelques responsables trop compromis et ranger les uniformes bruns et apparats trop visibles, on pourra déclarer nos sociétés purgées du mal, tout en maintenant une partie de l’appareil mise en place par les fascistes. Cette vision permet aussi de complètement éluder les liens organiques qui existent entre le fascisme et le capitalisme ou la continuité par exemple entre la république de Weimar et le III Reich. Au service de cette vision, l’aporie de la science politique bourgeoise va être d’un grand secours. Puisque pour l’essentiel, cette science se cantonne à une analyse idéologique anti-dialectique du fascisme. Par là on évite une analyse matérialiste profonde de ce phénomène et de ses clefs d’analyses (composition de classe, fonction économique, politique économique, interactions entre les classes, etc.) qui permettraient de saisir celui-ci dans toute sa complexité.

Cependant, on peut dénoncer l’excès inverse, dans le chef des staliniens et d’une grande partie de la social-démocratie qui est la position de voir des fascistes partout. Cette position politique qu’on pourrait aisément nommer l’alibi antifasciste de gauche et qui permet de masquer une politique anti-révolutionnaire, voir anti-progressive au nom du risque fasciste. Au risque donc de se retrouver manipuler. Il importe impérativement d’analyser le phénomène fasciste avec les bons outils intellectuels qui permettront de dégager la praxis adéquate  afin de mettre à bas le fascisme mais également le système qui est sa matrice, le capitalisme.

1929 et 2012, analyse d’un écho du passé

Comme le souligne les principaux théoriciens classiques du fascisme (Zetkin, Trotsky et Guérin) le fascisme est un enfant de la crise du capitalisme. En effet, la crise structurelle va provoquer un appauvrissement de toute une série de classes (principalement en 29 la petite bourgeoisie) qui vont se retrouver prolétarisées. Ce déclassement va provoquer une révolte de ces classes envers la modernité qui vont souhaiter un retour à un capitalisme de type national. Phase du capitalisme dans laquelle ces classes trouvaient leur « biotope » naturel. Les parallèles avec l’époque que nous traversons actuellement semblent évidents. La crise économique de 2008 (crise en réalité larvée depuis la fin des années 70 mais ce n’est pas l’objet de mon propos) et son élagage massif dans ce que l’on appelle grossièrement les classes moyennes. Cette prolétarisation va radicaliser une masse conséquente de ces anciens « privilégiés ». Cette révolte va prendre non pas la forme de l’anticapitalisme radical du prolétariat mais d’un anticapitalisme d’essence réactionnaire. L’objet principal de sa critique sera non pas le système dans son ensemble mais plutôt ce que ceux-ci perçoivent comme des dérives exogènes à ce système, la finance internationale. L’analogie avec toute une série de mouvement contestataire comme les Indignados  ou occupy peut être tirée ici. Ces mouvements étant majoritairement constitués par des couches de la classe moyenne appauvries par la crise. Il ne s’agit pas ici de dire que ces mouvements sont fascistes par essence mais de montrer que les impasses théoriques dans lesquels ils se trouvent risquent de les amener un jour à dériver vers des bords bien plus nuisibles pour le prolétariat. Se pose ici la question de savoir pourquoi ces hordes de déclassés n’ont-ils pas rejoint le pôle révolutionnaire constitué par la classe ouvrière. On touche ici à une autre condition de l’apparition du fascisme, la faiblesse de la classe ouvrière.

L’un des éléments qui concourent à l’essor du mouvement fasciste est l’affaiblissement du prolétariat comme classe subversive. Lorsque celle-ci est en phase ascendante, elle arrive à coaliser derrière elle toute une série de classes mineures qui de par leur position dans la structure économique ne peuvent développer leur propre théorie autonome et de là sont incapables de prendre la direction de la société. Le fascisme doit par ailleurs être compris comme la fuite en avant de l’une de ces classes mineures qui tentent de résister au sort qui lui est promis. Le mouvement ouvrier ne constituant plus une alternative crédible pour les classes secondaires, cela les contraint à développer des tentatives d’autonomisation politique. De nos jours, où l’on va parfois jusqu’à parler de la disparition de la classe ouvrière. Où celle-ci a quasiment été rayée des livres d’histoire officielle ou du champ médiatique. Sa faiblesse ne fait aucun doute et surtout en tant que pôle alternatif dans la société. On peut toutefois analyser plus en profondeur ces errements pour démontrer la ressemblance entre nos époques. Il y a d’abord l’incapacité de constituer un projet d’alternative crédible et de stratégie pour y parvenir. Pour le mouvement historique ouvrier, cela fut marqué par exemple, par le reflux révolutionnaire après une sortie de la première guerre mondiale fait de grandes offensives prolétariennes (Russie 1917, Allemagne 1918 et mouvements des conseils ouvriers Italiens). Pour des gens, comme moi, qui entendent depuis leur naissance, déblatérer sur l’incapacité de la gauche à se renouveler face au libéralisme, cette assertion est presque devenue un poncif intellectuel. Si on le doit, on peut citer l’échec des gouvernements socialistes d’instaurer une voie par les urnes vers le socialisme dans les années 80 et leur ralliement total au libéralisme économique (la France de Mitterrand, le revirement du Labour au Blairisme), l’effondrement du « socialisme réel » avec la chute du mur et  l’effondrement des différents partis communistes. Ces événements non-exhaustifs sont l’expression de la faiblesse du mouvement ouvrier.

Cependant, à cela s’ajoute la faiblesse théorique de notre classe. Pour le premier mouvement, cela prit la forme du révisionnisme théorique qui vit la théorie prolétarienne qui fut polluée par l’insertion d’éléments théoriques bourgeois. Ce travestissement eu des conséquences désastreuses pour le mouvement théorique. Ces dégénérescences théoriques trouvèrent leur expression politique dans le stalinisme, la bolchévisation des partis communistes européens, la bureaucratisation des mouvements ouvriers ou encore l’avènement de la social-démocratie. Il est évident que l’impasse théorique et l’impasse du mouvement révolutionnaire pratique s’influencent mutuellement et dialectiquement. Aujourd’hui, ces impasses théoriques prennent les formes les plus diverses et d’autant plus grandes que la faiblesse des mouvements ouvriers est encore plus prononcée qu’alors. On a du mal à savoir par où commencer, l’abandon d’une théorie prolétarienne autonome au profit d’appareil universitaire ou de centre de recherche bourgeois. Une critique radicale inaudible qui se fait remplacer par une logorrhée verbale fait de critique des multinationales et des banques dont la vacuité théorique n’a d’égale que les grandes gueules qui portent ces fausses critiques. Une exaltation du monde du travail.

Ces impasses théoriques poussent actuellement la gauche vers une recherche malsaine de sauveurs pour un mouvement en perdition. Il est à noter que cette glorification du tribun fut déjà bien présente lors du premier avènement des mouvements fascistes. La gauche s’était déjà fourvoyée dans de tels errements avec ces cultes des sauveurs Blum, Staline, Thalman et même Durruti. L’engouement provoqué par la campagne d’un tribun comme Mélenchon n’est-elle pas la traduction de la faiblesse théorique du mouvement ouvrier? De même les discours  portés par ceux-ci préparent le lit d’un mouvement fasciste : Exaltation de la nation, une critique qui se concentre sur la financiarisation de l’économie, etc. La volonté de Jean-Luc Mélenchon de vouloir lutter contre le front national est louable, le problème est que les méthodes, discours et stratégies renforcent en réalité le front national de par leur essence critique incomplète et non révolutionnaire. Comment ne pas rester dubitatif par des déclarations de Jean-Luc Mélenchon glorifiant un patron patriote comme Serge Dassault et vociférant  contre  les dérives des multinationales. « Si tu veux comprendre le triomphe de Hitler, il faut que tu n’oublies jamais ceci : un marxiste sait que l’ennemi principal est dans son propre pays, qu’il faut d’abord combattre son propre capitalisme. Mais, nous autres Allemands, communistes y compris, nous avons mis tous nos malheurs jusqu’à la crise elle-même – sur le dos du Dikat; nous avons considéré comme notre ennemi principal … le capitalisme étranger. » Dira un jour un ouvrier Allemand à Daniel Guérin lors de son voyage en Allemagne en 1933.

La montée du fascisme a été historiquement également synonyme d’une crise dans les institutions démocratiques bourgeoises. La principale nouveauté est constituée par le fait que la crise de confiance nait dans le chef de la bourgeoisie (petite et grande). On commence à douter de la capacité du système parlementaire de pouvoir assurer la reproduction de l’ordre bourgeois. Cette peur n’est pas provoquée par une classe ouvrière combative (comme nous l’avons vu, l’une des conditions de la naissance d’une réelle montée du fascisme) mais par la peur face à la crise du système qui les maintient dans une position dominante. Face à la crise, il y a bien sur les habitus de classe qui refont surface à savoir exploiter toujours plus la classe ouvrière. Cependant, fondamentalement, les capitalistes n’ont aucune idée de comment sortir des eaux tumultueuses de la crise. Le fascisme est donc le renforcement de la superstructure étatique face à l’effondrement du système économique sous le poids des contradictions internes. Un tel constat peut être posé quasiment à l’identique pour le moment actuel. Les différentes crises et l’incapacité d’y trouver une réponse politico-économique laboure peu à peu la légitimité que s’était créée l’Etat bourgeois démocratique. Il se retrouve remis en cause par des franges toujours plus grandes de la population et ce y compris de la bourgeoisie.

Dialectique toujours

Malgré des similitudes entre les conditions qui ont vu naitre les mouvements historiques fasciste, les sociétés Européennes actuelles ne sont pas celles d’il y a 60 ans. Les compositions de classes sont différentes et surtout les mécanismes du capitalisme tardif sont également dissemblables. Il serait donc absurde de vouloir voir la résurgence à l’identique des nouveaux mouvements fascistes.

L’une des pierres d’achoppement posée par l’analyse d’une possible résurgence d’un phénomène fascistes est la diminution drastique de sa base sociale et son changement de nature. Le fascisme est un mouvement dont l’idéologie se développe d’après la position de classe de la petite bourgeoise.  Or le rôle de cette classe a changé dans la société capitaliste. On est passé totalement à un rôle de gestionnaire de l’appareil productif. Malgré par exemple une pléthore de PME, très peu d’entre elles peuvent être décemment considérées par une analyse sérieuse comme du capital indépendant. Un nombre important de ces PME ne sont que l’externalisation de processus de production de grandes entreprises causé par la restructuration des années 70 et ne sont au service que d’un seul client. C’est là que le premier mouvement fasciste a complètement failli dans son objectif de maintenir l’indépendance de la petite bourgeoisie. En réalité celle-ci s’est complètement inféodée au grand capital et en est devenue complètement dépendante. Il est difficile de déterminer quelles seront les conséquences de ce changement pour le mouvement fasciste.

L’autre question soulevée est le soutien de la grande bourgeoisie à un programme protectionniste de type fasciste. Sans les mannes financières et l’approbation des classes dominantes, les fascistes ne pourront jamais espérer accéder au pouvoir. Donc une question à se poser est de savoir si ce grand capital ou du moins une fraction importante peut soutenir un tel programme. Par exemple historiquement en Allemagne, c’est l’industrie lourde qui a énormément investi dans le mouvement nazi car cela poursuivait leurs intérêts. Ceux-ci écoulant l’essentiel de leur production sur le territoire national, ils étaient plutôt favorables à une réduction des importations qui venaient concurrencer leur propre production. La question du protectionnisme se repose donc de manière différente à l’heure du capitalisme mondialisé. D’un côté il est vrai que très peu de grands groupes industriels se contentent actuellement d’un seul marché national. Cependant, avec l’apparition de géants industriels étrangers, extérieurs à l’aire du capitalisme historique (Amérique du nord et Europe) et qui pourraient prendre l’ascendant sur les marchés, il n’est pas dit que la grande bourgeoisie ne verrait pas d’un meilleur œil des politiques protectionnistes. Surtout que l’on voit un revirement dans le discours des partis fascistes ou fascisant qui se réclament actuellement d’une civilisation Européenne et qui discourt sans cesse de l’Europe des nations. L’Islam étant alors rejeté en tant qu’élément exogène à une Europe essentialisée dans son identité comme Blanche et Chrétienne. On a donc tendance à se référer à l’élément Européen d’un point de vue idéologique. La question reste à déterminer s’il ne s’agit là que d’un revirement simplement rhétorique ou s’il existe une volonté consciente (ou non) de séduire une partie de la grande bourgeoisie qui se montrerait réticente à jouer la carte d’un repli fasciste trop « national ».

Le fascisme remonte en écho d’un passé pas si lointain que ça. Cependant, ce serait une erreur d’analyse et donc une faute politique de mal analyser cette vague qui commence à peine à nous mouiller les pieds en Belgique. Il est indispensable de voir que cet écho est modifié par la topographie de la société moderne. L’antifascisme moderne pour être un glaive suffisamment aiguisé pour décapiter la bête immonde (et terrasser son terreau qui reste le capitalisme) doit s’adapter à ces nouvelles conditions modernes. Il ne faut pas se terrer la tête comme l’ultra gauche l’a fait et croire que le fascisme n’oblige pas à varier sa stratégie pour renverser le système. Il importe dès lors que les révolutionnaires ne laissent pas aux socio-démocrates l’apanage de la lutte antifasciste. Produire une analyse correcte du mouvement fasciste doit devenir une priorité intellectuelle pour ceux qui ne veulent pas voir le mouvement de la lutte des classes être recouvert d’une chape de plomb.