Propos recueillis par Nicolas Pasadena

132043621_11nGhassan Ali est un réfugié palestinien de la troisième génération. Ses grands-parents ont été chassés de leur village situé dans l’actuel Israël. Ses parents et lui sont nés dans les camps de réfugiés de la bande de Gaza. Enfant, il a lancé des pierres pendant la Première Intifada (1987-1993). Pour Alternative libertaire, il raconte son parcours, explique quelle est sa position, en tant que communiste libertaire, au sein du FPLP, et quelle voie il préconise pour la résistance.

Quelle est la situation à Gaza depuis la guerre de janvier ?

Ghassan Ali : Gaza est toujours dans l’impasse. D’un coté, la situation humanitaire se dégrade en continu. Imposé par Israël et la communauté internationale, le blocus nous enferme dans ce ghetto où les gens sont confrontés à la destruction, à la faim, à la catastrophe sanitaire. Plus de 40 000 maisons et bâtiments ont été détruits, et leurs habitants, qui vivent depuis dans des tentes et des campements ont affronté leur premier hiver.

La situation politique est désespérante : Israël poursuit son projet colonial, après avoir imposé ses conditions à l’administration américaine, et l’Europe s’aligne. Les chefs de guerre israéliens menacent Gaza d’une nouvelle guerre, et l’Occident répond en freinant la condamnation d’Israël par la commission d’enquête de l’ONU [1].

Reste la situation interne, qui touche les Palestiniens plus profondément que tout autre problème. Les guerres intestines sont attisées par les directions du Fatah et du Hamas, focalisées sur leurs seuls intérêts et sur leurs programmes d’alliances régionaux et mondiaux. C’est le peuple palestinien qui va payer le prix de ces conflits. La situation est très sombre et les risques graves. Jamais la cause palestinienne n’a été en danger comme aujourd’hui.

Comment as-tu adhéré au FPLP, à l’origine ?

The_PFLP_by_MarcosPalGhassan Ali : Adolescent, j’étais sympathisant du Fatah. Mais au moment des accords d’Oslo, j’ai rencontré Haydar Abdelshafi, une grande figure de la résistance qui avait présidé la délégation palestinienne pour la conférence de la paix à Madrid. C’est lui qui me donna une copie des accords d’Oslo, en m’en expliquant les dangers pour notre cause.

Ma conscience politique s’est construite grâce à cette rencontre, ainsi que sur l’observation de la corruption, de l’injustice sociale, des arrestations politiques et l’étouffement de toute voix critique à l’autorité. Cette époque, qu’on qualifie d’« âge d’or des accords d’Oslo » m’a conduit à militer dans le syndicat d’étudiants du FPLP [2], puis à devenir militant du parti.

Comment caractériserais-tu le FPLP en 2009 ? Y’a t-il décalage entre ses buts revendiqués et sa politique réelle ?

Ghassan Ali : En 2006 le FPLP n’avait emporté que 3 sièges aux élections législatives. S’il est mieux placé aujourd’hui, c’est en raison de la déception causée par les politiques du Fatah et du Hamas qui ont amené division interne et guerre civile, et qui rendent service à l’occupation plus que toute autre chose. Mais le FPLP et toutes les forces de gauche, sont en recul depuis des années, et ne parviennent pas vraiment à constituer une alternative forte et crédible. Il faudra de grands changements de stratégies.

Communiste libertaire et militant au FPLP, quelle est ta position au sein de l’organisation ?

Ghassan Ali : Le FPLP a un héritage assez large et divers. Principalement nationaliste arabe à sa création (1967) puis identifié comme marxiste en 1972, il s’articule principalement autour de la lutte pour la libération, la lutte pour la justice sociale. À présent, il est composé de maoïstes, de staliniens, mais aussi de militants libertaires comme moi. Chacun de nous essaie de faire entendre sa voix.

En tant que communiste libertaire, j’estime que les luttes collectives sont plus importantes que de chercher à unifier toutes les forces de gauche palestiniennes : unir les faiblesses ne donnera pas nécessairement force et efficacité.

Kaempfer der PFLP auf einem LKWPour jouer un rôle important dans notre avenir, le FPLP doit s’inspirer de son passé : l’expérience des comités populaires de la Première Intifada avaient construit des structures éducatives, culturelles, sociales, économiques. Des écoles populaires remplaçaient les écoles fermées par l’occupation, et des coopératives dans les jardins des maisons remplaçaient le travail en Israël. Très efficace pour la lutte, l’expérience rassembla toute la population : hommes, femmes et enfants dans chaque ville, village ou camp de réfugiés. Là, oui, on pouvait parler d’une unité de la gauche.

Que dire des relations actuelles du FPLP avec le Hamas et le Fatah ?

Ghassan Ali : Le FPLP a toujours eu pour principe : « Lutte unie contre l’occupation et débat démocratique sur la lutte sociale et sur les questions internes ». Tous, FPLP, Fatah et Hamas, cherchent à changer la situation interne, et mettre fin à la division entre les forces de la résistance.

Malheureusement les deux pôles de droite – Hamas et Fatah – agissent comme des clans : « Si vous n’êtes pas avec nous, vous êtes contre nous ! ». Tous deux veulent le monopole de la légitimité politique et demandent aux autres de s’y plier.

Après les élections de 2006, le FPLP a pris une position claire : nous sommes pour l’unité de la résistance, pour la démocratie et l’ordre entre Palestiniens. Ce sont nos bases depuis. Nous sommes contre les arrestations politiques et autres violations des libertés publiques ou individuelles. Car pour le FPLP, rien ne justifie que des Palestiniens s’entretuent. Mais ces positions nous ont donné maille à partir avec les appareils sécuritaires en Cisjordanie et à Gaza, c’est-à-dire avec les deux autorités palestiniennes.

Quelle est la situation actuelle des mouvements sociaux dans la résistance à Israël ?

Ghassan Ali : Pendant la Seconde Intifada, débutée en 2000, la résistance armée organisée n’a commencé qu’au troisième mois de l’intifada, après le massacre des manifestants par les forces israéliennes. Le déséquilibre entre manifestants et avions de guerre a généré une intifada plus armée que populaire.

PFLP_42_by_MarcosPalMais le problème qui demeure est toujours l’absence de stratégie et de revendications politiques. L’Autorité palestinienne impose de négocier avec Israël, ce qui fut et reste totalement inefficace, et d’obéir aux États-Unis. Quant au Hamas, il continue de porter un discours démagogique nourri par la brutalité israélienne.

Malgré tout, il ya plusieurs initiatives de résistance populaire contre l’occupation : le boycott, les manifestations contre le mur, les campagnes de récolte d’olives avec les paysans… Ces actions, si les Palestiniens et le mouvement de solidarité internationale s’investissent pour les élargir, peuvent jouer un rôle important dans la résistance à l’occupation.

Crois tu que nous allons vers une troisième Intifada ?

Ghassan Ali : Au vu du contexte régional et interne, difficile de dire si c’est possible. Les négociations sont en état de mort clinique, et le gouvernement israélien n’a pas l’intention de concéder quoi que ce soit à Mahmoud Abbas, le dernier à croire aux négociations. Tout est donc possible. L’absence d’unité nationale et la divergence politique totale entre les deux grandes forces palestiniennes font qu’une stratégie de résistance unie, une « troisième intifada » ne sera pas facilement possible dans l’avenir proche. Mais il faut se rappeler que personne n’a prévu la naissance des deux premières intifadas.

Pour conclure, la question la plus épineuse : un État, deux États… ?

Ghassan Ali : Je rappelle que les Palestiniens, jusqu’en 1974, appelaient à la solution d’un seul Était laïc et démocratique, une revendication abandonnée sous la pression de la communauté internationale. Depuis, l’OLP demande un État palestinien sur les frontières des territoires occupés depuis 1967, ce qui correspond à 27% de la Palestine mandataire.

Depuis le début des négociations pour faire appliquer les résolutions de l’ONU, il n’y a jamais eu un seul signe de reconnaissance de ces résolutions par Israël. Au contraire : les territoires du futur État palestinien ont été coupés en morceaux, la question du retour des réfugiés est écartée, la fin de la colonisation reportée sine die. Enfin, les Palestiniens de nationalité israélienne – 20 % de la population – risquent d’être déportés pour se débarrasser de ce qui menace la « pureté démographique de l’État juif ».

L’important, à mon avis, pour tous les habitants de la Palestine mandataire, est d’arriver à une fin du projet colonialiste d’Israël, et que chacun se trouve dans un lieu où il a droit au traitement égal, quelle que soit sa religion ou son groupe ethnique.

Un seul État démocratique est le cadre dans lequel ce rêve pourra voir le jour, mais aujourd’hui, je ne crois pas que la situation, et les équilibres des forces donneront la chance à cette solution. En tout cas, quelle que soit la position des uns ou des autres sur cette question, le rôle, et la tâche immédiate de tous est de mettre une fin à l’occupation coloniale, et de lutter pour une vie digne, ce qui pourra donner l’espoir aux générations à venir.

[1] La France n’a pas soutenu, le 5 novembre 2009, la résolution de l’Onu qui approuvait, à une large majorité, les conclusions de la commission d’enquête faisant état de « crimes de guerre et de possibles crimes contre l’humanité » à Gaza.
Trois semaines auparavant, l’ambassadeur de France à Tel-Aviv avait assuré l’État israélien de l’amitié de la France en dénigrant la commission d’enquête de l’Onu (Canard enchaîné du 21 octobre 2009).
[2] Palestine mandataire : telle qu’occupée par les Britanniques entre 1920 et 1948.

Source : AL, Le Mensuel, Fevrier 2010