Par Lombardi (AL Bruxelles)

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photo : MediActivista

Jeudi 6 novembre, Bruxelles accueillait une manifestation syndicale historique qui rassembla plus de 100.000 personnes contre les politiques d’austérité du nouveau gouvernement. Pourtant, il n’aura fallu attendre que quelques heures pour que les médias et les politiciens reprennent en cœur les propos condamnant les échauffourées entre manifestants et policiers aux environs de la Gare du Midi.

Avides d’images sensationnelles, les médias avec l’aide de Christian De Coninck – porte parole de la police de Bruxelles – ont séparé le bon grain de l’ivraie, les bons manifestants des méchants casseurs. Premiers cités, les Dockers du port d’Anvers mais il n’a fallu gère longtemps pour que les anarchistes soient également visés par l’opprobre médiatico-politique.

En réalité la charge conservatrice avait déjà été sonnée quelques jours plutôt, notamment sous la plume de Françis Van De Woestyne (La Libre) ou dans les déclarations de Jacqueline Galand (ministre MR de la mobilité), où le droit de grève qui était remis en question. On le sait, ce gouvernement est antisyndical, il mène une guerre tant politique que culturelle contre les mobilisations syndicales. Comme Margareth Tatcher dans les années 80, il rêve de limiter le droit de grève voire de casser tout mouvement social.

Pour rappel, entre 84 et 85, le Royaume-Uni connait le conflit social le plus important depuis la seconde guerre mondiale : la grève des mineurs. Face à la lutte des mineurs contre la fermeture des mines de charbon, le gouvernement de Tatcher décide de casser la résistance syndicale pour imposer une nouvelle ère économique : le néo-libéralisme.

Pour casser des mouvements sociaux, la technique est connue et bien rodée. Désigner les mauvais manifestants. Ainsi, Tatcher fait des mineurs en grève des « ennemis de l’intérieur » et  fait abattre sur eux la répression de l’Etat. Les médias, dans leur rôle de chien de garde, présenterons les grèves comme antidémocratiques et les grévistes comme des casseurs. La répression de la police (militarisée pour l’occasion) fera 20.000 blessés, 11.000 arrestations et 6 mineurs seront assassinés par la police ! La justice, qui n’est jamais neutre, rendra les grèves illégales et décide de la dissolution de l’Union nationale des ouvriers de la mine.

Cette technique de division des manifestants est probablement aussi vieille que l’émergence des mouvements sociaux eux-mêmes.  Elle sera appliquée durant la « grève du siècle » de l’hiver 60-61 contre la loi unique de Gaston Eyskens. Il y a les bons manifestants, démocrates et pacifiques et en face les mauvais, les casseurs antidémocratiques.

Face à la propagande, personne ne se demande pourquoi des travailleurs-euses en viennent à utiliser la violence physique pour manifester leur mécontentement. Comme les mineurs britanniques ou les travailleurs belges des années 60, les dockers d’Anvers se battent contre la destruction de leurs conditions de travail (déjà parmi les plus dangereuses !). En effet, aussi bien les dockers néerlandais, belges que français font face à la libéralisation de l’activité portuaire. La libéralisation prévoit entre autre la possibilité pour les entreprises de ne plus avoir recours aux dockers statutaires mais bien à des travailleurs non syndiqués, non formés, sous statuts précaires multiples comme les intérimaires avec à la clé des salaires inférieurs de 30 % !

La destruction des acquis sociaux et la précarisation, c’est la politique qu’entend mener le gouvernement de Charles Michel, porte flingue de la NV-A. D’ailleurs, Bart de Wever (le vrai chef du gouvernement) vient de rappeler dans une interview qu’il n’y a pas d’alternative à la politique du gouvernement. Il n’y a pas d’alternative ? Cette déclaration fait écho à la fameuse phrase attribuée à Margareth Tatcher, « There is no alternative ». Aux yeux de De Wever et de Michel comme aux yeux de Thatcher il y a 35 ans, il n’y a pas d’alternative au système capitaliste, aux réformes néolibérales, à l’austérité que tue les travailleurs-euses, détricote nos acquis sociaux et nous pousse toujours plus dans la misère. C’est pour rappeler cette violence faite aux travailleurs-euses que nous avons occupé le 6 novembre le siège de la FEB (Fédération des Entreprises de Belgique) dont on connait les collusions avec le gouvernement.

Mais comme le disait avec raison Bertolt Brecht, « on dit d’un fleuve emportant tout qu’il est violent, mais on ne dit jamais rien de la violence des rives qui l’enserrent  ». Car la violence c’est le gouvernement qui la mène (il suffit d’aller faire un tour à Anvers où la NV-A mène de front des politiques racistes et ultra-sécuritaires pour s’en rendre compte). Face aux mesures d’austérités prévues par le nouveau gouvernement, face à la répression grandissante, à la violence physique, morale et humaine, face aussi au refus d’entendre les mouvements sociaux (puisque De Wever l’a dit, il n’y a pas d’alternative aux politiques du gouvernement) on ne peut que comprendre le mécontentement grandissant et l’usage de la violence par des manifestants !

On nous rétorquera qu’on vit en démocratie ? Mais qui y a-t-il pour croire encore à ce mensonge éhonté ? A partir du moment où les soi-disant lois démocratique sont établies par ceux-là même qui défendent les patrons et les riches, qui peut encore croire que ces lois défendent le peuple ? Les lois n’arrangent que ceux qu’elles défendent. Il suffit de voir l’impunité dont jouit la police dans les nombreux cas de violences policières pourtant avérés ! Les prisons sont pleines de pauvres, parce que toute violation de l’ordre des riches est condamnable…

La division opérée par le gouvernement et les médias vise à rendre légitime la violence étatique mais inacceptable la contestation sociale, elle veut nous faire croire que si l’on marche dans les clous on sera entendu. Or l’histoire montre bien que tout mouvement social est fait de contestation, de désobéissance et de violence. De la lutte pour la journée des 8 heures, aux luttes pour les droits sociaux, la radicalité est imposée par les gouvernements et les états qui refusent une société égalitaire et démocratique.

Au lendemain des affrontements entre policiers et manifestants, cette division a pris une forme différente. Parce que les politiciens et les médias craignent que les manifestants s’identifient à ces événements, ceux-ci prétendent que l’extrême droite était présente dans cette manifestation. S’il est vrai que des militants d’extrême droite ont été repérés comme le fut Pascal Cornet, membre du groupuscule néo-nazi Nation, ce dernier fut chassé par les militants antifascistes. L’un de nos camarades anarchiste et photographe militant à également été victime d’une agression physique pour des raisons racistes et deux membres des Nationalistes Autonomes hollandais ont également été repérés. Si les actes racistes sont inacceptables,  il est cependant absurde de considérer que la présence de quelques fascistes masqués puisse influencer ou noyauter plusieurs milliers de manifestants. En effet, si l’on suit cette logique, la dernière manifestation de GAIA était une manifestation fasciste puisque Nation y était présent et visible !

Pour les dockers d’Anvers, comme pour de nombreux conflits sociaux, l’extrême droite tente de s’infiltrer dans les luttes pour profiter du mécontentement des travailleurs-euses. Ce fut ainsi le cas du Vlaams Belang au port d’Anvers. Si leur discours populiste et raciste peut influencer quelques travailleurs-euses, ce n’est pas le cas de la majorité d’entre eux qui sont conscients de leur double discours (puisque le Vlaams Belang n’a rien fait pour s’opposer à la libéralisation des activités portuaires voulue par l’Europe alors qu’ils y siègent).

L’antifascisme des médias est aussi peu crédible que celui de Laurette Onkelinx (PS) lorsqu’elle s’attaque aux ministres NV-A. Ce sont eux qui par leurs politiques et leurs discours pro-austérité ouvrent la voie aux populistes et à l’extrême-droite. Après avoir affirmé que les anarchistes ont noyautés les dockers, les médias affirment maintenant que les actes racistes de quelques dockers signifient forcément que ce sont des fascistes. Rien de plus faux, comme lorsque certains prétendent que ce sont en réalité des flics en civil ou autre « agents provocateurs » qui seraient responsables des évènements.

Les termes « casseurs », « anarchistes » ou autres « agents provocateurs » sont faits pour délégitimer une manifestation d’ampleur historique mais également pour rendre illégitime le recours à la violence par le peuple. L’objectif étant de favoriser le consensus mou et de brider la colère des exploité-e-s. En somme, nous sommes autorisés à manifester notre désaccord mais selon les règles du jeu fixées par les dominants. Ceux-là même qui nous imposent leur violence au quotidien. Les médias et les politiciens, veulent nous faire croire que c’est la violence des manifestants qui décrédibilise cette manifestation, alors que c’est ces mêmes médias et politiciens qui bien avant ces évènements avaient déjà condamné cette manifestation, notamment en se faisant les porte-paroles des patrons contre la grève !

Aujourd’hui l’état condamne les actes des dockers en espérant ainsi diviser la population. L’état les condamne pour des actes de violences ? L’histoire des mineurs britanniques montre que si demain les mesures antisyndicales sont votées, l’état condamnera les syndicalistes pour avoir fait grève. Et si nous tombons dans ce piège, un jour l’état nous condamnera pour avoir simplement exprimé notre mécontentement. Et ce jour là, nous serons tous considérés comme des casseurs !