portada_fau2Fruit d’un siècle et demi d’histoire, où elle a notamment traversé une dictature sanguinaire, l’organisation communiste libertaire uruguayenne est bien implantée dans les quartiers comme dans les syndicats. Récit d’une rencontre avec des camarades de la Federación Anarquista Uruguaya (FAU), au siège de leur organisation à Montevideo.

Au numéro 1764 de la rue Magallanes dans le centre ville de Montevideo, une vieille maison de plain-pied avec son patio central coiffé d’une verrière, abrite le siège de la Federación Anarquista Uruguaya (FAU). Juan vient ouvrir la ­porte le maté à la main et un large sourire au visage.

La FAU a été fondée en octobre 1956. Mais comme le rappelle notamment Juan Carlos Mechoso dans son anthologie en quatre volumes Acción directa anarquista ; una historia de FAU [1] , elle est le fruit d’une longue histoire dont on peut situer le début vers 1870.

ancrage dans le mouvement ouvrier

La Federación Obrera Regional Uruguaya (Foru)  [2] , organisation anarchosyndicaliste créée en 1905, illustre l’ancrage dans le mouvement ouvrier de ce courant libertaire, renforcé par une immigration ouvrière italienne puis espagnole pour qui l’engagement libertaire ne pouvait être qu’au cœur de la classe ouvrière, pour agir et faire changer les choses. Au début des années 1960, la FAU est membre d’El coordinador [3], structure unitaire prélude au mouvement Tupamaros  [4].

En 1967, le pouvoir étatique dissout plusieurs organisations ouvrières, dont la FAU ; la Resistencia Obrero – Estudiantil  [5] est créée dès 1968 et agit dans la clandestinité durant la dictature et nombre de ses militants et militantes sont victimes de la répression (assassinats, tortures, « disparitions », etc.).

La « transition démocratique » survient en 1985, et aussitôt, la FAU se réorganise. Active localement dans les entreprises, les quartiers, la FAU a aussi contribué à la création de plusieurs des organisations membres de la Coordenação Anarquista Brasileira  [6] et est membre ­d’Anarkismo.

Aux murs, le visage de disparues et disparus sous la dictature, Elena, Gerardo, Mauricio,…, parmi eux et elles, des anarchistes morts sous la torture, assassiné-e-s, jeté-e-s vivants des avions au-dessus du Rio de la Plata.

imprimerie et démocratie

Les crimes de la dictature ont laissé des blessures qui, même après quarante et un ans, sont béantes. En Uruguay, l’impunité cadrée par la « Ley de Caducidad de la Pretensión Punitiva del Estado » [7], empêche que les crimes de la dictature puissent être jugés, protégeant ainsi les militaires et les policiers responsables.

Même les biens matériels volés par les ­militaires n’ont pas été restitués. Un exemple parmi tant d’autres : la FAU n’a jamais récupéré deux locaux acquis par ses militants et militantes et tout l’équipement de ceux-ci… C’est au rythme de la machine offset de l’imprimerie que Juan raconte ses 16 ans au moment du coup d’État, son engagement dans la lutte armée ; pas celle des Tupamaros, qu’il respecte profondément, mais celle de la Resistencia Obrero – Estudiantil (ROE).

Les Tupamaros considéraient que le politique et le syndical devaient être au service de l’appareil armé, la ROE voyait l’appareil armé au service du politique et du syndical. Une époque pendant laquelle, collectivement, toute une génération a failli toucher du doigt le rêve d’une autre société… mais la guerra sucia  [8] amena la mort, la prison, la torture, l’exil. Elle dura douze années.

Au retour de la démocratie, remettre sur pied la FAU c’était déjà remettre son imprimerie en route : une imprimerie c’est la liberté des idées et le pouvoir de les ­diffuser.

Lors de notre rencontre, la campagne contre la baja (plébiscite organisé simultanément aux élections présidentielles du 26 octobre proposant de baisser à 16 ans l’âge de la responsabilité pénale) était la priorité du moment.

Mais la FAU a une activité plurielle et vivante : animation des ateneos  [9]. dans les quartiers, campagnes en défense des réserves naturelles et contre les patrons pollueurs, émissions de radios, maison d’édition, et surtout une forte présence au sein de plusieurs syndicats. Les camarades de la FAU sont très présents notamment, dans celui des enseignants du second degré, des chauffeurs de taxi et téléopératrices (voir page suivante), des travailleurs de la métallurgie, des arts graphiques, etc. La vieille maison aux murs défraîchis, aux fils électriques apparents et aux ampoules jaunâtres bouillonne de vie, de discussions, de culture, d’ouverture sur le monde avec une bibliothèque sur place, de luttes bien enracinées dans la réalité de la population uruguayenne.

Abóbora (Playa Verde)

AL, Le Mensuel, Février 2015