Par Gyula (ami d’AL)

Magyarországi_választás_2010_Jobbik_vadplakát_Fidesz_óriásplakátLa Hongrie est gouvernée par un parti, le Fidesz, comparable au FN, comme il l’a montré ces dernières semaines dans sa « gestion » odieuse de la crise des migrants. En résulte la construction progressive, incomplète pour l’instant mais reposant sur des bases assurées, d’un régime autoritaire tendant vers le fascisme. État des lieux.

En juillet 2014, Viktor Orbàn, Premier ministre hongrois, décrivait en ces termes son projet politique : « La nation hongroise n’est pas une simple addition de personnes, mais une communauté qui doit être organisée, renforcée et construite. En ce sens, le nouvel État que nous construisons en Hongrie est illibéral. »

Orbàn défendait par ces termes l’idée que l’avenir – en tant que recours ultime dans un contexte de crise économique – était aux États autoritaires, et citait comme exemples la Chine, l’Inde, Singapour, la Russie et la Turquie. Un an après, nous pouvons faire un état des lieux de la façon dont le parti d’extrême-droite au pouvoir – le Fidesz – construit progressivement un État fasciste.

Mue conservatrice et nationaliste

Le Fidesz a été fondé dans les années 1980, à la faveur de l’ouverture du régime socialiste, qui permit la création de partis d’opposition. Le Fidesz, dont l’acronyme signifie « Alliance des jeunes démocrates », était un parti jeune, à l’image dynamique, centré sur la défense du libre marché et de la démocratie représentative.

Au cours des années 1990, face aux échecs électoraux répétés, le parti entame une mue conservatrice et nationaliste qui le portera une première fois dans un gouvernement de coalition entre 1998 et 2002. L’étape décisive a lieu en 2006, lorsque le Premier ministre socialiste, Gyurcsàny, est filmé à son insu, dans une conférence donnée aux cadres de son parti, déclarant que son parti avait depuis 2002 « menti le matin, menti le midi, menti le soir ». Se sont ensuivis plusieurs jours de manifestations et d’émeutes, menées en grande partie par des groupes fascistes, prétendant – signe de la confusion extrême de la vie politique hongroise – célébrer octobre 1956, devenue opportunément une lutte patriotique de libération nationale ! Si Gyurcsàny démissionne, le parti socialiste reste toutefois au pouvoir jusqu’en 2010.

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Manifestation du Fidesz A Budapest, en mars 2007. cc Habeebee

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En 2010, le Fidesz remporte sans surprise les élections législatives, acquérant une majorité de plus des deux tiers des voix, ce qui lui donnait notamment le pouvoir de modifier la Constitution. Concernant le jeu parlementaire, la nouvelle Constitution – appelée loi fondamentale et adoptée en avril 2011 – verrouille tout processus législatif ultérieur, en réduisant les compétences de la Cour constitutionnelle, mais surtout en ajoutant à la Constitution trente-neuf lois fondamentales organisant la vie publique du pays, modifiables uniquement aux deux tiers de l’Assemblée nationale.

Le Fidesz s’assure ainsi, en jouant sur ses contradictions, une mise au pas du parlementarisme bourgeois. Sur les nouvelles instances technocratiques, le Fidesz met en place, à travers ces lois fondamentales, divers commissions ou bureaux – Bureau judiciaire national, Autorité des médias, par exemple – peuplées de technocrates choisis sur le seul critère de la loyauté à Orbàn. Verrouillage du parlementarisme, promotion d’institutions technocratiques toutes-puissantes et partisanes : nul besoin de s’attaquer de front à un adversaire aussi factice que la démocratie bourgeoise, il suffit, pour construire un État fasciste, de vider ses institutions de leur sens.

Mystique nationale

L’idéologie portée par le Fidesz est explicitée dans le préambule de la nouvelle loi fondamentale. Son adresse, « Que Dieu préserve les Hongrois ! », est explicite. Un rappel historique naturalise ensuite la communauté hongroise, évoquant notamment « les valeurs du bassin des Carpates que la nature a donné et que l’homme a conçu ». Dans le même ordre d’idée, on peut noter la promotion d’un langage hongrois « originel », en réalité une invention d’un pseudo-scientifique hongrois de la fin du XIXe siècle, censé avoir été la langue des premiers Magyars arrivés dans le bassin des Carpates au VIIIe siècle : on peut ainsi voir, à l’entrée de villages tenus par la droite, le nom de la localité écrite en alphabet latin et… en runes, alphabet appelé rovàsiràs !

Il faut noter ensuite la réhabilitation de figures majeures de la période Horthy, maréchal autoritaire proto-fasciste des années 1930 qui fit le lit des nazis hongrois : c’est ainsi que le gouvernement soutient l’entrée post-mortem à l’Académie des sciences de l’historien Bàlint Homàn, ministre sous Horthy et qui poussa son antisémitisme typique des milieux aristocratiques jusqu’à soutenir ouvertement et publiquement les Croix fléchées, nazis hongrois installés par les Allemands en 1944.

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Le maréchal Horthy avec Adolf Hitler, à Berlin, en 1938.

Politique de la différence

Cette mystique nationale s’articule nécessairement avec la désignation de boucs émissaires. Le bouc émissaire traditionnel en Hongrie est la communauté tsigane. Avant même l’arrivée du Fidesz au pouvoir, six Tsiganes ont ainsi été assassinés en Hongrie entre janvier 2008 et août 2009. En 2011, la milice fasciste Garde hongroise organisait des défilés en habits paramilitaires dans divers quartiers tsiganes, dont une occupation de pas moins de deux semaines dans le village de Gyöngyöspata.

Le Fidesz a mis des semaines à condamner les défilés. Mais les proches du régime n’en pensent pas moins : début 2013, un des fondateurs du parti, le journaliste Zsolt Mayer, appelait dans les colonnes du Magyar Hirlap à « éliminer les animaux tsiganes ».Aujourd’hui, ce sont les migrants qui concentrent toutes les attaques du gouvernement : des campagnes d’affichage les visent, et dans un discours de la fin juillet 2015, Orbàn menaçait la Hongrie de devenir « un immense camp de réfugiés, une sorte de Marseille d’Europe centrale », et matérialisait sa vision en construisant un mur de 175 km le long de la frontière hongroise pour se protéger de l’invasion « venue des profondeurs de l’Afrique ».

La vision protofasciste de la différence ayant une cohérence globale, le sexisme et les LGBT-phobies ne sont jamais loin. Le Fidesz a ainsi inscrit dans la Loi fondamentale une tirade qu’aurait appréciée Civitas : « Tout être humain a droit à la vie et à la dignité humaine, il convient de défendre la vie de l’embryon depuis la conception. » Et concernant les LGBT, le maire Fidesz de Budapest Istvàn Tàrlos a considéré dernièrement que l’homosexualité n’était rien moins que « contre-nature et repoussante ».

Propagande

Cette dynamique de construction d’un État fasciste passe par un effort de propagande accru. Une des premières mesures prises par le gouvernement, à la fin de l’année 2010, a été la création d’une Autorité nationale des médias et de la communication (NMHH). Les médias se voient obligés de corriger des informations que l’Autorité juge « erronées », sous peine de se voir infliger une lourde amende (700 000 euros pour les télévisions et radios, 91 000 euros pour la presse écrite).

Le recours judiciaire n’est possible qu’une fois l’ « erreur » corrigée ou l’amende payée. Une fois l’opposition muselée, la propagande s’est faite depuis le début de l’année 2015 plus directe, avec deux séries de campagnes d’affichage. Une première, en réaction à l’arrivée de migrants depuis janvier, disant aux migrants, en hongrois : « Si vous venez en Hongrie, ne prenez pas le travail des Hongrois. » Une deuxième, plus généraliste, vantait en juillet les réformes du gouvernement – « Le PIB hongrois a crû plus vite que celui de l’UE » – et en remettait une couche sur les migrants – « Nous ne voulons pas d’immigrés clandestins », le tout avec une esthétique de propagande 2.0, les slogans s’affichant dans des bulles façon texto.

Chemises brunes

Il n’y a pas – encore – en Hongrie de système organisé de répression envers l’opposition. En revanche, un certain nombre de milices fascistes opèrent en toute impunité, organisées par les différentes forces politiques œuvrant à la droite du Fidesz, et pratiquent l’intimidation envers la minorité tsigane surtout, mais aussi envers certains militants et militantes. La Garde hongroise, la plus forte de ces milices, a été fondée en 2007, et comporte plusieurs milliers de membres. Proche du Jobbik, parti fasciste parlementaire ayant obtenu 17% des voix aux élections législatives, il déclare vouloir« défendre la Hongrie sur le plan physique, moral et intellectuel ».

C’est l’un des organisateurs des marches paramilitaires dans des quartiers roms ces dernières années. D’autres groupes de skinheads se sont rapidement développés ces dernières années, comme le HVIM, Mouvement de jeunesse des 64 comitats, en référence au territoire de la Hongrie avant la Première Guerre mondiale, réduit par le traité de Trianon en 1919. Ce groupe a notamment organisé un rassemblement à Budapest contre les migrants, promettant ouvertement de traquer les migrants à la frontière serbe, « là où la police est moins occupée à les protéger ».

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La Garde hongroise. La milice fasciste, proche du Jobbik, lors d’un défilé le 4 avril 2011, dans le village de Hejöszalonta, pour dénoncer la « criminalité tzigane ». cc Leigh Phillips

Outre les Tsiganes et les migrants, des militants sont menacés par ces milices : ainsi Andrea Giuliano, militant italien des droits LGBT, s’est fait agresser violemment début juillet dans le centre de Budapest, après avoir provoqué lors d’une Gay pride un groupe de motards nationalistes l’année dernière, ce qui lui avait valu, avant même son agression, diverses menaces et intimidations.

Officiellement, le gouvernement Orbàn adopte une position de matamore face à l’Union européenne, aux multinationales présentes en Hongrie et à la finance internationale. Précisons, si besoin en était, que le fascisme en gestation en Hongrie s’accommode en réalité très bien des exigences de la bourgeoisie et, plus encore, se montre un agent très docile de la reproduction du capital.

Sur le plan monétaire, la Banque centrale hongroise est dirigée par un très proche d’Orbàn, György Màtolcsy, qui applique les recettes classiques du néolibéralisme : maîtrise de l’inflation, limitation des taux d’intérêts, maîtrise du déficit en deçà de 3 %.

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Viktor Orban, Premier ministre hongrois Au congrès du Parti populaire européen (PPE), auquel le Fidesz est affilié, en octobre 2012

Pour compenser cela, Orbàn se montre un fidèle serviteur des intérêts capitalistes : le gouvernement projette de privatiser 400.000 hectares de terres arables actuellement possédées par l’État, soit 10 % du total, pour 240 milliards de forint (moins de 1 milliard d’euros) ; il a également annoncé à la fin de l’été la privatisation pour 330 milliards de forint de biens d’État, sans préciser lesquels. De même, l’urbanisation de Budapest correspond à tous les canons de l’urbanisation capitaliste : gentrification des quartiers péricentraux, aménagement des docks du Danube avec des bâtiments ultramodernes, expulsions en masse dans les quartiers tsiganes.

La bourgeoisie hongroise ayant ses petites contradictions, un scandale a éclaté récemment avec la fronde d’un grand capitaliste, Simicska, milliardaire enrichi durant la période de transition postcommuniste et éminence grise du Fidesz depuis les années 1980. Ce grand patron, notamment d’un groupe de presse, n’a pas apprécié le projet de taxe de 5 % des revenus publicitaires de la presse hongroise. Ingrat, il semble avoir oublié que le gouvernement a octroyé à son groupe de BTP près de 40 % des contrats publics issus de fonds de l’Union européenne…

Quelles résistances ?

Les résistances ne sont malheureusement pas nombreuses. Cela tient à plusieurs facteurs. D’une part, le discrédit complet du Parti socialiste, lié à la politique néolibérale menée pendant ses mandats depuis 2002 et plus encore au scandale de corruption dévoilé en 2006 et à l’origine de l’ascension fulgurante du Fidesz.

D’autre part, la désagrégation du champ syndical, incapable de se structurer de manière cohérente depuis le changement de régime. Enfin, à l’absence d’alternative anticapitaliste, liée à l’expérience de socialisme autoritaire dont les effets sur les perspectives d’émancipation ne cessent de se faire sentir, plus peut-être en Europe de l’Est qu’ailleurs. Ce dernier élément limite les expressions alternatives aux thématiques de transparence, de lutte contre la corruption… bref, à des analyses plus société civile que lutte des classes.

C’est le cas pour des mouvements comme Milla (« Des millions pour la liberté de la presse »), 4K (« Pour une quatrième République ») ou pour le parti LMP (« La politique peut se faire autrement »). On peut noter deux signaux positifs, quoique ayant les mêmes contradictions : la campagne d’affichage du gouvernement a suscité une contre-campagne d’affichage de la part d’un groupe de street artists appelé Parti du chien à deux queues, qui a récolté 30 millions de forint, soit 100.000 euros, ce qui lui a permis d’afficher 400 affiches en 4 x 3 sur divers supports publicitaires classiques, dénonçant le gouvernement sur un mode humoristique.

Et en ce qui concerne les migrants, une solidarité locale, non dépourvue des contradictions liées aux réflexes humanitaristes, s’est organisée spontanément dans les lieux d’arrivée des migrants, à Budapest comme à la frontière avec la Serbie. Enfin, la contre-culture issue de la période de transition s’est largement essoufflée, et il n’y a pas vraiment de perspectives libertaires organisées, encore que cela reste à voir.

Maîtrise complète des institutions, confusion parti-État, politique du bouc émissaire, mystique nationale sur des bases ethnicistes, contrôle de l’opinion et propagande, organisation de milices : on ne peut que constater la construction en direct d’un État fasciste, même si le tableau n’est pas complet, ne serait-ce qu’en ce qui concerne l’absence de répression politique d’ampleur contre les opposants.

Sur le plan électoral, la seule alternative est incarnée par le Jobbik, un parti ouvertement fasciste. Face à la faiblesse de la réponse, deux perspectives doivent primer : la construction de solidarités populaires, ainsi qu’un effort de promotion d’un socialisme anti-étatique, autogestionnaire, pour couper court au discrédit généralisé dont l’expérience soviétique a entaché les perspectives anticapitalistes.

AL, Le Mensuel, Octobre 2015