Propos recueillis par Clémence (AL Paris Nord Est)
Sisterhood (« sororité » en français) est un collectif féministe non mixte de Montréal qui, depuis cinq ans, milite pour faire du milieu militant et particulièrement antifasciste un espace non sexiste.
AL : Comment le collectif s’est-il créé, dans quel contexte et sur quels constats ?
Le Montréal Sisterhood est un collectif non mixte qui s’est formé il y a environ cinq ans à l’initiative de quelques filles militant dans le milieu antifasciste radical, mais aussi issues des mouvances contre-culturelles (punk, skin, hardcore, hip-hop, etc.) qui y sont reliées. À l’époque, le principal constat était que bien que le milieu prônait l’égalité et la solidarité entre tous et toutes, force était d’admettre qu’il y avait encore du sexisme. Par exemple, nous étions souvent reléguées dans des rôles de second plan, voire carrément mises de côté dans certaines actions ou tâches. Les blagues sexistes et les jugements sur le physique ou la sexualité des femmes étaient fréquents, et les enjeux féministes étaient globalement peu abordés. D’un autre côté, nous pouvions bénéficier de l’expérience de militantes plus âgées et/ou expérimentées, qui avaient réussi à se faire une place et nous avaient ainsi légué une certaine force.
Le collectif s’est bâti, petit à petit, au fil des expériences vécues. À ce moment, il y avait cette idée que c’était aux filles de faire leur place, sans prendre en compte réellement les difficultés que cela comprenait. Parfois, nous avions l’impression qu’on nous donnait la responsabilité de notre propre sort, parce que nous n’étions pas assez fonceuses, pas assez impliquées, pas assez revendicatrices, etc. On a donc décidé de s’imposer en s’organisant ensemble. « Ne me libère pas, je m’en charge » est devenu une espèce de slogan pour nous.
Il y a aussi eu beaucoup de réactions par rapport à notre mode d’organisation, la non-mixité. Certains, surtout des gars, ne comprenaient pas notre désir de s’organiser de cette façon, nous accusant de diviser le mouvement. Des gars étaient déçus d’être « exclus » de notre groupe car ils voulaient militer à nos côtés. Certains ont aussi dit de nous que nous n’étions qu’un club social qui passait son temps à potiner, ce qui montre bien le sérieux qu’on accordait à notre démarche politique. Aujourd’hui, notre non-mixité est beaucoup mieux acceptée et nous avons vu plusieurs changements positifs dans les attitudes de nos camarades.
Quelles lignes ont pu évoluer depuis cinq ans ?
En relisant nos écrits et en se rappelant nos débuts, nous voyons comment nous avons évolué. Dans un premier temps, on pourrait dire qu’on s’est pas mal théorisées. Bien que nous nous proclamions déjà féministes radicales, nous n’étions pas très portées sur les grandes discussions intellectuelles.
Pour nous, la pratique est souvent venue avant la théorie ; on commençait à aborder certains sujets ou à se poser des questions au fil des situations vécues (violence conjugale, rapport au mouvement queer, rapport à la violence politique, etc.). Sur certaines questions, nous n’avons toujours pas de position « officielle » car pour nous, c’est un peu contre-productif de discuter longuement d’enjeux sur lesquels nous ne comptons pas agir à court terme. Ensuite, on pourrait dire que s’organiser nous a fait mieux prendre conscience de l’oppression patriarcale.
Par exemple, nous avons réalisé qu’il y avait beaucoup de compétition entre les filles, créée par la nécessité de faire sa propre place dans un milieu masculin. Nous avons aussi pris beaucoup de force collectivement, ce qui nous permet de mieux réagir aux situations d’injustices : nous avons ainsi dénoncé des agressions sexuelles qui se sont produites dans nos milieux, et mis en place des stratégies pour améliorer la situation. D’ailleurs, nous ne prétendons pas que cela est le résultat de notre groupe seulement, mais il nous semble que la présence des femmes dans le milieu a augmenté. Bien que nous demeurions un groupe affinitaire, nous sommes plus politiques qu’avant. Cependant, on peut dire qu’en cinq ans, malgré certaines évolutions, nous sommes restées assez fidèles à nos objectifs de départ. Bien que cela n’ait pas été toujours facile, nous avons continué notre travail dans notre milieu et les contre-cultures qui y sont associées, aussi « machos » soient-elles, car c’est ce qui fait l’essence de notre groupe.
Sur l’intersectionnalité, qui pose parfois encore question en France, cela fait partie de vos bases théoriques ?
Nous adhérons totalement au concept d’intersectionnalité, qui pour nous signifie l’importance de comprendre comment les différentes oppressions se nourrissent et se renforcent.
Nous avons beaucoup d’admiration pour les femmes qui tentent ou ont tenté dans le passé de créer des alliances entre les différentes luttes, que ce soit les black feminists qui ont pensé la question des rapports « race » et genre, les féministes syndicalistes qui ont mis en avant l’imbrication entre la classe et le genre, etc.
Dans une perspective révolutionnaire, nous devons penser notre lutte de façon globale et faire en sorte qu’elle soit inclusive pour toutes et tous. Bref, nous ne pouvons pas, en tant que féministes radicales, lutter que pour notre propre gueule. Ceci dit, cela est plus facile à dire qu’à faire. Si nous avons été plutôt actives dans les luttes anticapitalistes ou les luttes autour du travail, nous devons admettre qu’à part des appuis plutôt symboliques, nous n’avons pas encore réussi à créer des alliances solides avec d’autres groupes de dominé-e-s. C’est pourquoi nous devons continuer de poser ces questions et de réfléchir à nos privilèges en tant que femmes blanches, hétérosexuelles ou non handicapés, etc.
Vous réalisez des ateliers sur l’antisexisme en milieu militant, comment ça se passe ?
Ça se passe plutôt bien. C’est certain que les gens qui y assistent ont déjà, en général, une sensibilité à nos revendications. Comme on essaie d’avoir une approche plutôt populaire, nos ateliers sont assez accessibles, ce qui donne souvent lieu à des échanges intéressants. C’est le fait de s’organiser en non-mixité qui nous a permis de gagner en confiance en nous et ensuite, de pouvoir organiser ces ateliers. D’ailleurs, nous avons réalisé une série de conférences en France et en Allemagne, lors de la tournée européenne de nos camarades du groupe de musique Action sédition l’hiver dernier. Nous avons pu constater que partout, ce sont à peu près les mêmes constats qui reviennent, démontrant ainsi que l’oppression des femmes est une réalité constante.