Par San Vincente (AL BXL)
Texte publié initialement sur Quartiers Libres.
Les événements qui se sont déroulés samedi 2 avril 2016 sont intéressants sur bien des points. Pour celles et ceux qui n’auraient pas suivi, le Greenpeace de l’extrême droite (comme l’a si sympathiquement appelé Philip De Winter, président du Vlaams Belang, formation d’extrême droite flamande), Génération Identitaire, avait appelé à nettoyer Molenbeek de ses hab… des islamistes. Nos défenseurs de la race blanche, n’écoutant que leur courage, s’élancèrent donc vaillamment vers leurs trous à rats et n’en sortirent pas ce samedi.
Cependant, leur appel fit écho dans l’ensemble de l’Europe. Des groupes d’extrême droite, adeptes du combat de rue, déclarèrent vouloir se rendre à Molenbeek et ce, même lorsque G.I. retira son appel à manifester. Divers groupes antiracistes décidèrent d’organiser une réponse face à cette menace en organisant un rassemblement place de la Bourse contre l’islamophobie et l’extrême droite, au cours duquel devaient prendre la parole des musulmanes et musulmans de Bruxelles. En tout cas, tel était le projet avant l’interdiction de manifester.
La suite est connue : on a laissé l’extrême droite déambuler tranquillement. Plusieurs groupes ont ainsi mené des actions dans Bruxelles durant la journée, des militant.e.s s’affichaient clairement par des t-shirts ou tatouages dans le centre-ville. En dehors des 7 fascistes (dont 2 trouvés en possession d’armes à Molenbeek), plus d’une centaine d’arrestations menées ce samedi ont concerné des militant.e.s politiques antiracistes et de simples passants place de la Bourse, ainsi qu’une trentaine de jeunes de Molenbeek qui voulaient se défendre face aux apprentis croisés. Nous pourrions bien sûr jouer les naïfs et s’étonner de ce deux poids, deux mesures, ou au contraire dénoncer ici le caractère historique de cette partialité.
L’exception du 2 avril 2016 ?
La montée du fascisme est-elle possible sans le soutien passif de l’appareil répressif de l’État, voire sa complicité active ? L’histoire a plutôt tendance à nous démontrer l’inverse : sans ce concours matériel, les partis fascistes historiques ne seraient jamais parvenus à s’emparer du pouvoir. Les chemises noires de Mussolini se sont attaquées avec succès au mouvement ouvrier Italien car la police et la justice fermaient les yeux, voire mettaient leurs moyens (camions, armes et hommes) à la disposition des fascistes pour leurs expéditions. La « prise » de pouvoir de Mussolini a été rendue possible par la bienveillante passivité de l’État italien lors la fameuse Marche sur Rome. De même, dans son livre « Le fascisme en action », l’historien Robert Paxton parle de « conspiration de l’escalier de service » pour qualifier la prise de pouvoir par Hitler en 1933. Il fait référence aux nombreuses complicités étatiques dont ont bénéficié les nazis dans leur ascension au pouvoir. En Grèce aujourd’hui, les nombreux liens entre l’Aube Dorée et la police sont de notoriété publique1. L’Aube Dorée a donc vu ses succès dans la rue réduits à néant avec l’arrivée de Tsipras au pouvoir et la fin de l’impunité pour les fascistes2. Sans la protection de la police, ils se sont avérés incapables, par exemple, de maintenir leur politique d’agression des migrants ou des centres sociaux. Pire, le contrôle de leur fief historique a été mis à mal par l’ouverture d’un squat antifasciste en son centre.
http://www.youtube.com/watch?v=c1x2FJdejQE
Pour qui connaît un tant soit peu l’histoire des fascismes et de leurs succès, l’attitude de la police bruxelloise durant les événements de ce samedi entre dans cette logique historique. On ne doit donc pas s’étonner outre mesure de cette sympathie de l’uniforme officiel pour l’uniforme officieux. En effet, qu’est-ce que le fascisme sinon la prolongation de la défense de l’ordre par d’autres moyens ? La même logique de caserne, d’amour de la nation et de haine du subversif anime ces gens. On a pu le voir lors des élections en Grèce ou en France, les bureaux de vote spécialement réservés aux militaires ou aux forces anti-émeutes étant systématiquement ceux où les partis fascistes faisaient des scores importants. À titre d’indication, on estime que dans les bureaux de vote réservés aux membres du MAT (police anti-émeute), la moitié des votes allaient à l’Aube Dorée3.
Toutefois, nous ne sommes bien entendu pas à l’heure d’une Marche sur Bruxelles. D’autres éléments sont sans doute à prendre en compte dans le zèle policier envers les militant.e.s progressistes. Il existe en effet un passif entre Vandersmissen (commissaire en charge de la gestion des manifs à Bruxelles) et nos mouvements, comme par exemple ses exactions durant le dernier no-border camp à Bruxelles4. Par ailleurs, la guerre entre Mayeur (bourgmestre de la commune de Bruxelles-ville) et « sa » police – ou plutôt la police de la zone Bruxelles-Ixelles, court depuis quelque temps. Pour rappel, il avait promis durant sa prise de fonction de nettoyer la police de Bruxelles de ses éléments les plus problématiques, ce qui n’avait évidemment pas plu5. Tout ceci prouve qu’une partie du corps répressif ne veut plus se contenter d’être l’exécutant du personnel politique. Si un parti, un mouvement ou une organisation se faisait le réceptacle des intérêts policiers, il ne faudrait pas sous-estimer le potentiel de soutien que représente l’autonomie politique et d’action dont dispose la police.
Les véritables héritiers de Cable Street
Ce samedi, les mouvements progressistes ont été désorganisés et mis hors jeu dès le début de la répression, se montrant bien incapables d’offrir une quelconque opposition. Il est clair que nous avions sous-estimé la capacité de répression de l’État, mais plus particulièrement sa volonté d’empêcher notre rassemblement. Néanmoins, si nous avions eu ces données en mains, cela n’aurait changé en rien le cours des événements.
Cependant, si certains n’ont pas été à la hauteur de la situation, il faut reconnaître que d’autres s’en sont beaucoup mieux sortis que les organisations. Différent.e.s militant.e.s de Molenbeek rapportaient comment les habitant.e.s avaient réussi à transformer leur commune en un traquenard mortel pour islamophobes: de la vieille machine à laver sur les toits, prête à être lancée sur les assaillants, aux guetteurs à chaque coin de rue, les habitant.e.s étaient fin prêt.e.s. Ceci n’est pas sans rappeler la préparation des quartiers populaires londoniens face à la menace du BUF (British Union of Fascists), qui voulait nettoyer la banlieue de Londres de ce que les fascistes d’alors appelaient la « vermine judéo-communiste »6.
Cette puissance sociale émanant de Molenbeek n’a pas échappé à l’État, qui a dû mobiliser toute sa puissance répressive – par sa police – et de persuasion – par ses éducateurs de rue ou autres agents de pacification7– pour tenter de contenir ces quartiers. Magré tout cela, les habitant.es étaient dehors. La différence d’attitude du fameux commissaire Vandersmissen entre la Bourse et Molenbeek est assez révélatrice de qui impressionnait l’Etat ce jour-là : agressif et arrogant face aux militant.e.s ; humble face aux habitant.e.s de Molenbeek, à tenter péniblement de les persuader que lui et ses flics étaient là pour les défendre face à l’extrême-droite. En réalité, si les fascistes étaient arrivés jusqu’à Molenbeek, il ne faut pas douter un seul instant que ce sont eux qui auraient dû être escortés par la maréchaussée pour espérer sortir de la commune en un seul morceau.
Le commissaire à la bourse :
https://www.facebook.com/bilal.robin/videos/10207655188371699/
Et le commissaire à Molenbeek:
On voit ici toute la différence entre une gauche qui se voudrait la dépositaire de la mémoire du mouvement ouvrier, de ses luttes antifascistes et donc de sa tradition d’auto-défense, et ceux qui incarnent cette réalité. La différence entre les organisateurs-trices du rassemblement de la Bourse et la mobilisation spontanée à Molenbeek provient du fait que les habitant.e.s de Molenbeek ne jouaient pas aux antifascistes, ils l’étaient. Se défendre contre l’extrême droite n’est en effet pas pour eux une question de choix politique (aussi louable soit-il), mais une question de survie face à des organisations qui en veulent à leur vie. Ce qu’il s’est passé samedi et les réactions qui ont suivi, avec la focalisation sur l’arrestation du président de la Ligue des Droits de l’Homme place de la Bourse, est une nouvelle preuve de la déconnexion d’une gauche qui n’est plus populaire par sa base sociale mais uniquement par les souvenirs qu’elle peut invoquer d’une classe dont elle a autrefois fait partie.
1http://www.humanite.fr/grece-enquete-ouverte-sur-des-liens-entre-la-police-et-aube-doree ou encore http://www.courrierinternational.com/breve/2013/09/24/la-police-proche-des-neonazis-d-aube-doree
2Discussion avec un militant anarchiste grec
3Pour l’Aube dorée voire l’article suivant http://www.okeanews.fr/20120620-un-policier-sur-deux-a-t-il-vraiment-vote-pour-laube-doree , Pour le FN, un article d’analyse du vote des Gendarmes https://paris-luttes.info/le-fn-fait-carton-plein-dans-les-4468?lang=fr
4Quelques aperçus des exploits du commisaire : http://www.dailymotion.com/video/x2urkug
5http://www.rtbf.be/info/regions/bruxelles/detail_le-torchon-brule-entre-yvan-mayeur-et-sa-police-qui-se-sent-desavouee?id=9260604
6http://www.failfaf.antifa-net.fr/cable-street-lier-radicalite-et-action-antifa-de-masse-win/