Propos reccueillis par Jérémie Berthuin (AL Gard)

Jordi Martí Font est enseignant à Tarragone. Auteur de nombreux ouvrages sur le mouvement libertaire, il milite, en tant qu’antimilitariste et anarcho-syndicaliste, au sein de la CGT. Indépendantiste, il est membre de la CUP (parti de l’extrême gauche catalaniste). Il répond à nos questions sur les événement qui ont précédé le référendum d’autodétermination en Catalogne.

Alternative libertaire : Peux tu revenir sur le contexte de ces dernières années, qui a conduit à l’organisation du référendum du 1er octobre en Catalogne ?

Jordi Martí Font : Ces dernières années des millions de personnes sont descendues dans la rue, pour réclamer l’indépendance, chaque 11 septembre [1].

L’expression d’un mouvement indépendantiste, lié à la gauche sociale, existe depuis les années 1970. Il est postérieur au catalanisme, en tant que tel, qui date de la fin du XIXe siècle. Néanmoins, cette expression de masse en faveur de l’indépendance est relativement récente. Il s’agit d’un mouvement, certes, interclassiste. Il recouvre cependant une véritable dimension sociale avec des propositions en profondeur, tant au niveau de la vie quotidienne qu’au niveau de la structure sociale de la Catalogne. C’est cette dimension sociale et alternative, et en partie anticapitaliste, qui fait que ce mouvement est aussi massif aujourd’hui avec de vraies racines au sein des classes populaires.

Ton syndicat, la CGT catalane, est une des organisations qui est à l’initiative de la grève générale du 3 octobre. Quel bilan dresses-tu de cette journée d’action ?

Jordi Martí Font : La grève a été très suivie. Elle était, en fait, la réponse naturelle des organisations du mouvement social face à la répression perpétrée par le gouvernement de Madrid la semaine précédent le référendum.

Une répression qui aura revêtu différentes formes : transfert sur place de 10.000 policiers venant de tout l’État espagnol ; détention de responsables du gouvernement catalan ; fermeture arbitraire de plus de 140 pages web pro-indépendantistes ; tentative d’intrusion des forces de police dans les locaux de la gauche radicale catalane, la CUP – une tentative avortée grâce à la mobilisation des gens qui firent bloc pour protéger le siège de la CUP.

Un élément a, aussi, particulièrement ému l’opinion publique : c’est l’extrême violence de la police nationale et de la Guardia civil (gendarmerie) à l’égard des personnes de tous âges présents dans les collèges où avaient lieu les votes le 1er octobre.

En dépit de cette brutalité, qui a fait plus de 900 blessé.es, plus de 2 millions d’habitantes et d’habitants de Catalogne ont réussi à voter « oui » à l’instauration d’une « République catalane ».

La grève s’inscrit dans ce contexte et était appelée par la CGT, mais aussi par les syndicats indépendantistes (IAC et COS), des syndicats de branche (pompiers, agriculteurs et agricultrices, dockers) ainsi que par nombre d’organisations du mouvement libertaire (CNT, Solidaridad Obrera, Embat, entre autre).

Après les manifs de Barcelone et de Madrid, le dimanche 8 octobre, contre le processus d’indépendance, mais aussi les menaces gouvernement du Premier ministre, Mariano Rajoy, de mise sous tutelle de la Catalogne, comment penses-tu que la situation va évoluer ?

Jordi Martí Font : Si la pression de la rue demeure, il est évident que tous les espoirs sont permis. Si, par contre, celle-ci baisse, et que la colère populaire se fait détourner (comme ce fut le cas dans le passé) par le PDCAT, le parti de la droite libérale, dont est issu Carles Puigdemont, le président du gouvernement catalan, je suis moins optimiste.

La droite libérale nationaliste conclura alors, à n’en point douter, un accord avec le gouvernement de Madrid, qui satisfera les élites espagnoles et catalanes. J’ose malgré tout espérer que c’est la première option qui prévaudra, tant la détermination du peuple paraît marquée par leur intransigeance. Le 1er octobre, alors que la Guardia civil attaquait les bureaux de vote, des milliers de personnes ont fait front avec leurs corps, appliquant les principes de non-violence.

On a reçu des coups de matraque, ils nous ont frappé à l’aveugle. Femmes, hommes, vieux, enfants ont été violentés. Mais personne n’a reculé.

Dans mon bureau de vote, à Tarragone, avant l’assaut, nous avons prévenu les gens présents que les coups allaient pleuvoir. Nous avons conseillé aux plus vulnérables de se mettre en retrait pour se protéger. Refus catégorique des plus anciens : ils et elles voulaient rester là en première ligne.

Nous avons la conviction que ce mouvement peut fissurer le mur du pouvoir. Et nous pousserons jusqu’à ce qu’il cède. Ce type de situation où l’on a le sentiment que l’on peut changer le cours de l’Histoire, la vie, n’arrive qu’une fois tous les 100 ans. Aujourd’hui c’est en Catalogne que cela se passe et nous ne laisserons pas passer cette chance historique.

Vu de l’extérieur cela peut paraître étrange que des libertaires, anti-étatsites comme nous, puissent être au coude à coude avec des personnes qui se mobilisent pour une Catalogne indépendante. Je vous invite à venir mettre un pied sur notre terre, et vous comprendrez assurément la profondeur de notre combat. Un combat marqué du sceau de l’auto-organisation, de rues qui vivent et crient leur désir de liberté.

AL, Webéditos 2017