Par Lulu (AL Nancy)

En Italie, dans les années 1980, se sont développés des syndicats dits «  de base  », en opposition à la ligne très modérée des trois grands syndicats majoritaires. Un état des lieux de cette dynamique, entre perspectives anarcho-syndicalistes et verrouillage institutionnel, avec Sandro et Giovanni, deux camarades de l’USI.

En Italie, il existe trois syndicats majoritaires. Le premier, la Confederazione Generale Italiana del Lavoro (CGIL), est le principal syndicat italien, lié dans le passé à l’ex-Parti communiste italien, et qui revendique aujourd’hui 5,5 millions d’adhérents. Ensuite vient la Confederazione Italiana Sindicati Lavoratori (CISL), 4 millions d’adhérents et adhérentes, fondée en 1948, suite à la scission du courant catholique de la CGIL. Enfin, l’Unione Italiana del Lavoro (UIL), créée en 1950, suite à une nouvelle scission, cette fois des sociaux-démocrates (2,2 millions d’adhérents).

Régression sociale et bureaucratie syndicale

La bureaucratie syndicale, dès la fin des années 1970, a adopté une ligne modérée qui a conduit en 1980 à la défaite dramatique des travailleurs de la Fiat, inaugurant une période de régression, avec l’acceptation passive des restructurations de la production, provoquant un affaiblissement progressif des structures syndicales majoritaires. Pour contester leur hégémonie, le mouvement des syndicats de base s’est développé en Italie à partir de la fin des années 1980, en dehors du syndicalisme confédéré, en particulier à la suite des grèves dans l’enseignement en 1986-1987. Par la suite, d’autres syndicats de base sont apparus dans la santé, les chemins de fer, les aéroports… mais également dans quelques entreprises industrielles comme Fiat, où ils restent cependant très minoritaires. Ce mouvement est éparpillé et non exempt de sectarisme et de concurrence entre les différents sigles.

L’Unione Sindacale di Base (USB), qui revendique 250 000 adhérents, est née il y a 8 ans. Les principales luttes menées l’ont été dans la sidérurgie mais surtout dans la compagnie Alitalia. Elle est présente dans l’industrie (Piaggio, FCA qui est la nouvelle Fiat) et dans les transports publics, et occupe aussi une place importante dans l’ASIA (une association pour le droit au logement). En dehors de l’USB, on doit mentionner lesComitati di Base (Cobas), et notamment le CIB-Unicobas (dont l’Altrascuola-Unicobas fait partie), qui est une organisation libertaire importante couvrant différents secteurs (Santé, Éducation, Administration publique) fortement représentée au sein du secteur éducatif ainsi que parmi les fonctionnaires et les services de santé. On compte 21 sections opérationnelles avec 5 000 adhérents dans 40 villes. En ce qui concerne particulièrement l’enseignement public, CIB-Unicobas a combattu l’inefficacité des évaluations de poste pour les professeurs, fondées essentiellement sur des questionnaires (Concorsone). En 2000, ce système a été rejeté après une grève lancée à l’appel de Unicobas et Cobas puis très largement suivie par plus de 50 000 professeurs  : à cette même occasion, le ministre Luigi Berlinguer démissionna de son poste de ministre de l’Éducation. Par ailleurs, on peut noter l’existence de l’Unione Sindacale Italiana (USI), un syndicat anarcho-syndicaliste qui est en expansion progressive dans le secteur public et privé, qui a des sièges à Rome, Milan, Udine, etc. et est présente dans une trentaine de provinces avec ses syndicats nationaux.

Pour mieux comprendre l’état du syndicalisme italien et cette dynamique des syndicats de base, ce sont deux syndiqués, Sandro de l’USI-AIT de Milan, et Giovanni de l’USB de Livourne, qui témoignent pour AL.

À la différence des syndicats de base dont l’image complexe n’est pas très positive, et dont les phénomènes de bureaucratisation ont pris de l’ampleur selon Sandro – favorisant des luttes de pouvoirs, des scissions – l’USI-AIT s’est créé grâce à des sections locales afin de mettre en œuvre l’autonomie dans les pratiques syndicales. L’USI refuse le principe des permanents, ce qui l’oppose aux autres syndicats de base. La pratique des rotations tous les trois ans est inscrite dans les statuts.

Une pratique de rotation inscrite dans les statuts

Le contexte, pour Giovanni, est celui-ci. Il existe depuis janvier 2014, un accord sur la représentativité unique des travailleurs entre les trois gros syndicats confédérés et le patronat. Cet accord tente de limiter la présence d’autres syndicats dans les entreprises. Le principe est de donner la représentativité aux délégué.es appartenant aux trois gros syndicats signataires de l’accord qui supportent la représentativité unique. Depuis, si la majorité des représentants d’une entreprise signe un accord avec la majorité des syndicats confédérés, il est impossible de le contester ni de faire grève. La menace est claire  : ou un syndicat accepte l’accord imposé par les autres, ou il se voit sans droit de représentation. Cet accord veut dire que les procédures de négociations dans l’entreprise doivent être acceptées. On parle clairement de clauses anti-grèves car le syndicat signant l’accord se servira de son influence pour éviter une contestation des travailleurs sur ce même accord. La majeure partie des syndicats de base a bien sûr dénoncé cet accord imposé par les syndicats confédérés pour tenter de les éliminer. «  Un des plus gros problèmes que nous connaissons actuellement, est l’attaque du droit de grève dans certains secteurs  » explique Giovanni. Cette attaque est menée de front par le nouveau gouvernement et les trois gros syndicats confédérés. En Italie, il existe une loi, la 146 datant de 1990, qui limite le droit de grève dans les secteurs publics (musées, transports et la santé). En raison de cette loi, avant de déclarer une grève, le syndicat doit activer une procédure en demandant une rencontre avec l’entreprise ou le patron. Si l’accord ne se fait pas, il y a une deuxième rencontre à mettre en place avec la préfecture et si il n’y a toujours pas d’accord, une demande doit être faite à la commission de garantie nationale. De fait avec cette loi, il n’y a quasiment jamais de grève dans les secteurs publics. Si une syndicat prend l’initiative d’une grève sans l’accord, il devra payer une amende s’élevant jusqu’à 20 000 ou 30 000 euros. De plus, en ce moment le gouvernement est en train de discuter encore une nouvelle loi afin de limiter encore plus le droit de grève. Il semblerait que les grèves ne puissent être proclamées que par les syndicats majoritaires. Les autres syndicats n’ayant pas assez d’inscrits, ils se verraient refuser le droit de grève. Ce serait la pire attaque du droit de grève jamais vue depuis l’après guerre. Si la loi passe, tous les syndicats de base seront balayés.

Une phase de reconstruction du mouvement ouvrier

«  On peut certainement continuer à penser en terme de trahison des dirigeants de la CGIL ou de l’incapacité du syndicalisme de base  » pour Sandro et Giovanni. Pourtant, il est certain que les syndicats de base se trouvent limités dans leur possibilité d’intervenir. Il faut voir ça comme une phase de reconstruction car le mouvement ouvrier aujourd’hui se retrouve confiné. Le problème n’est pas seulement l’adaptation des syndicats, mais l’adaptation des travailleurs  : leur liberté, leur droit à s’organiser. «  Il faut trouver le moyen de s’organiser sur le terrain de la représentation et c’est pour cela que nous parlons aujourd’hui de reconstruction des syndicats à partir des travailleurs sur les lieux de travail  », concluent les syndicalistes.

AL, le mensuel, octobre 2017