Aux confins du marxisme et de l’anarchisme, le conseillisme

Wil (AL Paris nord-est)

Apparu il y a un siècle, ce courant d’idées prône une forme de démocratie directe assez proche de celle du communisme libertaire.

Le conseillisme renvoie à une conception du processus révolutionnaire explicitement opposée à celle autoritaire et étatique de Lénine. Le « conseil » est considéré comme l’organe politique et social privilégié de la révolution, en lieu et place de l’État. Cette forme est directement inspirée des « soviets » russes qui correspondaient, en ville, à des assemblées de délégués ouvriers (et de soldats) et, à la campagne, à des assemblées paysannes.

Aux yeux des théoriciens du conseillisme, le conseil n’est pas une panacée puisqu’il peut être dominé par des forces politiques – social-démocrates (Révolution allemande de 1918) ou autoritaires (Révolution russe de 1917) – qui y font prévaloir des principes d’organisation fondés sur la délégation de pouvoir et récusant formellement la démocratie directe.

Or, au-delà de la forme-conseil, la démocratie directe constitue bien une marque décisive du conseillisme. Les courants ayant revendiqué cette filiation ont été plutôt marxistes mais ils ont compté nombre d’anarchistes à leurs côtés au cours de divers combats. Ainsi, Marinus van der Lubbe, syndicaliste néerlandais, auteur présumé de l’incendie du Reichstag après la nomination de Hitler en 1933, fréquentait les milieux anarchistes et conseillistes.

Pour la petite histoire, en France, avant le PCF officiel, un « premier Parti communiste » avait été créé en mai 1919 par des syndicalistes révolutionnaires, des anarchistes et des socialistes de gauche ayant convergé vers des positions de type conseilliste. Le principe de démocratie directe explique naturellement cette proximité, et du reste, même à cette époque, les anarchistes n’étaient pas unanimement anti-marxistes.

Les organisations les plus réputées se réclamant de ce communisme de conseils ont été, à l’aube des années 1920, le Parti communiste ouvrier d’Allemagne (KAPD) et le Parti communiste ouvrier des Pays-Bas (KAPN). Le KAPD, fondé en avril 1920, a regroupé jusqu’à 50 000 adhérentes et adhérents. Il était issu d’une scission antiléniniste et anti- électoraliste du Parti communiste allemand. Les principaux théoriciens du conseillisme sont cependant néerlandais, avec Anton Pannekoek et Herman Gorter. Paul Mattick constitue une grande référence théorique de ce courant et du marxisme en général, notamment en ce qui concerne les questions de théorie économique. On pourrait aussi citer Karl Korsch pour un angle plus philosophique.

Le conseillisme est apparu vigoureusement à la faveur de la crise révolutionnaire qui a secoué l’Europe entre 1917 et 1921. Il s’est désagrégé presque aussitôt la situation révolutionnaire passée, son opposition à la fois au parlementarisme et au syndicalisme l’ayant privé d’une action adaptée à une période non révolutionnaire. L’idée conseilliste a néanmoins survécu dans des revues et des cercles intellectuels tels que, dans les années 1950-1960, L’Internationale situationniste, avec Guy Debord, ou la revue Socialisme ou Barbarie, avec Cornélius Castoriadis.

L’idée des conseils, elle, n’est nullement périmée. Ne la retrouve-t- on pas dans le principe des assemblées locales unissant différents secteurs de lutte, qui peuvent revenir au goût du jour dans les périodes de remontée de la lutte des classes  ? L’époque actuelle s’y prête, alors que la crise économique est aiguë, que les luttes syndicales, mises en difficulté, doivent éviter l’isolement, et que d’autres formes de contestation de la société marchande prennent une place croissante. Alors vivement que revienne le temps des conseils !

AL, Le Mensuel, janvier 2018

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