Par Ermon (AL Lorient)
Salutaire est l’ouvrage de Xavier Vigna sur le rôle des ouvriers pendant mai 68, alors que les réactionnaires de tous bords entendent liquider l’héritage de 68 et la gauche bobo en réduire sa portée à la libération des mœurs.
L’auteur rappelle que les ouvrières et les ouvriers furent les principaux acteurs de Mai 68, évènement présenté comme fondateur et ouvrant une décennie de contestation dans les usines. Une période ouvrière qualifiée d’insubordination généralisée face au patronat, à l’État et à toutes les oppressions. Une décennie de luttes marquée par l’illégalité des moyens d’action : grèves avec occupations des usines, séquestrations de cadres et de PDG, sabotage, remise en route d’usines sous le contrôle des travailleuses et des travailleurs. Mais aussi et surtout une formidable irruption dans les usines d’une parole ouvrière longtemps étouffée, où d’autres catégories du monde ouvrier entrent en scène telles que les femmes et les travailleurs immigrés. L’auteur achève cette décennie de luttes en 1979, année de la défaite des sidérurgistes lorrains de Longwy et Denain. 1979, année symbole du reflux des luttes initiées dès 1974, sous le coup des restructurations industrielles ; l’unique perspective des luttes ouvrières se muant alors en celle du débouché électoral.
Radicalisation de la base
Cet essai montre comment s’est constituée la gauche ouvrière des années 70, c’est-à-dire une fraction radicalisée, qui anima des sections syndicales (souvent CFDT, mais aussi CGT) et les comités de lutte d’usine. C’est une nouvelle génération militante qui naît à cette occasion, une génération qui n’a pas connu 1936 et la Seconde Guerre mondiale, dont le passé est plus proche du traumatisme de la guerre d’Algérie.
L’ouvrage montre clairement l’évolution des stratégies de la CGT et de la CFDT. Si la CFDT semble épouser dans un premier temps la révolte ouvrière et la logique d’actions directes qui en découle, elle adopte progressivement une stratégie syndicale d’accompagnement de la crise économique. Dans ce sens, la grève de Lip en 1973 montre bien que cette logique autogestionnaire et de luttes de classe au plan syndical était surtout portée par une partie de la base. Elle ne fut jamais partagée par l’ensemble de l’organisation cédétiste, et encore moins par sa direction confédérale. En effet, cette même direction mena une politique opportuniste dont les positionnements furent largement dépendants du processus politique d’union de la gauche, et de ses multiples rebondissements, jusqu’à soutenir le Parti Socialiste.
La « gauche de la gauche », des lendemains qui déchantent
La CGT joua le rôle de gardien de l’ordre dans les usines de 1968 à 1975, se refusant à alimenter cette révolte de fond, faisant de la lutte contre les « gauchistes » une priorité syndicale. Cependant, les choses étaient souvent bien différentes à la base. L’auteur rappelle combien la politique de la CGT était dépendante de celle du PCF et comment la CGT était capable d’incarner l’aile combattante dans les usines pour peu que son correspondant politique le lui ordonne. Ainsi en fut-il après les élections législatives de 1976 où le PCF rompit l’union de la gauche du fait des scores en progression du Parti socialiste.
Cette partie de l’ouvrage devrait interpeller toutes celles et ceux qui fondent aujourd’hui à la gauche de la gauche leurs espoirs de transformation sociale dans une conquête des institutions avec une « vraie gauche » qui respecterait ses engagements. Cet essai nous rappelle qu’une authentique politique de libération sociale doit se fonder sur le développement de la capacité autonome des exploité-e-s à changer leur quotidien et à prendre le pouvoir. Faute de le faire, on s’expose à des lendemains qui déchantent illustrés par les années qui suivirent la victoire de l’union de la gauche en 1981.
Xavier Vigna, L’Insubordination ouvrière dans les années 68, Essai d’histoire politique des usines, Édition des Presses Universitaires de Rennes, 2007, 378 pages, 22 euros.