Nara (AL Toulouse)

Plongé dans la misère par l’échec économique et politique de la « Révolution bolivarienne » initiée par Hugo Chavez, le peuple vénézuélien n’a rien à gagner dans le remplacement du pouvoir autoritaire Maduro par l’autoproclamation du politicien bourgeois Juan Guaido à la tête de l’État, appuyé par la menace d’une intervention militaire américaine.

La situation que traverse le Venezuela est dramatique  : inflation de 24 571 % en 2018, chute de 85 % du revenu minimum légal et du revenu moyen, salaires qui ne couvrent même pas le trajet domicile-travail, augmentation de la mortalité infantile, pénurie alimentaire et de médicaments, exode de trois millions de vénézuéliens, répression quotidienne [1], possible invasion étasunienne et risque de guerre civile.

Face à cela, deux positions s’affrontent mais ne répondent pas aux besoins populaires de démocratie et de bien-être  : pour le chavisme, il y a un processus révolutionnaire et les failles sont dues à un coupable externe ayant provoqué une crise économique, financière, culturelle, politique et sociale, conspirant sans cesse contre la «  révolution  ». Pour l’opposition traditionnelle, il faut remettre l’économie et les finances sur les «  bons rails  » du capitalisme, avec l’aide des États-Unis et rétablir l’ancien régime tout en appelant à des élections.

Le gain des luttes sociales a pétri la Constitution bolivarienne comme projet transformateur, bien au-delà de la diminution de la pauvreté. Mais les bouleversements n’ont pas eu lieu  : pas de société postcapitaliste et pas de processus révolutionnaire. Il n’y a eu aucun changement du système de production, de la structure de la propriété, des pouvoirs sociaux ni de destruction du vieux système politique. Tout projet de transformation a été abandonné au profit de projets de «  modernisation  », par ailleurs très réussis, dans les relations capitalistes et dans l’insertion au sein marché mondial.

Le choix politique de l’extractivisme [2] fait par les gouvernements de Chavez et de Maduro [3], avec juste le financement de plans sociaux et sans aucune remise en cause de la structure productive, a perpétué le schéma néocolonial de division internationale du travail et de la nature. Il l’a même approfondi puisque le pétrole représente aujourd’hui 96 % des exportations du pays, la plus forte dépendance de son histoire.

L’essoufflement du «  socialisme pétrolier  »

La «  maladie hollandaise  » [4] a démantelé la capacité productive industrielle et agricole  : importer était «  moins cher  » que produire. Le Venezuela est devenu en quinze années importateur de pratiquement tous les produits alimentaires, dont le riz et le café dont il était traditionnellement exportateur. L’industrie automobile a réduit sa production de 89 % entre 2007 et 2015, revenant au niveau de 1962, à la naissance de l’industrie nationale vénézuélienne.

C’est l’État qui récupère et gère la manne des rentes dues à l’exportation du pétrole  ; c’est la source d’un clientélisme quasi institutionnel, seul biais par lequel la population parvient à bénéficier des programmes sociaux dont le déblocage est aux seules mains des fonctionnaires du PSUV. [5] Après la crise financière de 2014, les budgets des dépenses sociales ont été réduits  ; ce sont les moyens de subsistance d’une grande partie de la population qui ont ainsi été remis en cause. Par ailleurs, cela a renforcé la dépendance vis-à-vis des comités locaux d’approvisionnement et de production, seules sources de denrées alimentaires.

En réponse à cette crise économique de grande ampleur, le gouvernement de Maduro s’est embourbé dans l’extractivisme. Le 24 février 2016, il créait l’arc minier de l’Orinoco, couvrant 12,2 % du pays, une «  zone de développement stratégique national  » où les garanties constitutionnelles ne s’appliquent plus bafouant un décret de 1989 instituant la «  réserve de la biosphère du Alto Orinoco  ». Cette politique s’applique sans la moindre consultation des villages et communautés indigènes ni étude sur son impact social et environnemental. L’arc minier, avec son précieux sous sol en or, cuivre, diamants, fer, bauxite, coltan entre autres minerais, diversifie l’offre alléchant toutes les multinationales de la planète. C’est aux capitaux russes et chinois que revient l’aubaine de la plupart des concessions, au détriment des États-Unis.

Les communautés indigènes ne veulent pas d’exploitation minière sur leurs territoires car les conséquences sont irréversibles pour l’écosystème et l’organisation sociale de ces peuples. Leur principale revendication est la démarcation des terres et leur protection.

Résistances ouvrières

Ces dernières années plusieurs luttes sociales ont pu fissurer l’encadrement chaviste de la classe ouvrière. En 2011, au sein de la compagnie d’État d’extraction de minerai Ferrominera del Orinoco, les travailleurs et travailleuses ont essayé de s’organiser indépendamment du syndicat officiel dont le délégué, Hector Maican, membre du PSUV, a tiré plusieurs coups de feu tuant l’ouvrier Renny Rojas. Ce délégué officiel a été arrêté en flagrant délit, puis libéré au bout de quelques heures sous la pression du PSUV tandis que Rodney Alvarez syndicaliste était incarcéré sans jugement et ce depuis sept ans et demi.

D’autoproclamation en autoproclamation

Le 29 novembre dernier, le collectif de travailleurs Intersectorial de los trabajadores appelait à une marche pour la défense des conventions collectives, un salaire équivalent au panier de base et pour la réintégration des travailleurs licenciés. Au retour de ces marches, Ruben Gonzalez, secrétaire général du syndicat SintraFerrominera, a été arrêté. Il avait déjà purgé une peine d’un an et demi de prison sous Chavez, pour avoir mené des luttes en défense des droits des travailleurs et travailleuses. Les ouvriers de Venalum (aluminium) à La Pica au nord-est du pays, avaient décidé de prendre le contrôle sur la production  : le 12 décembre, la direction générale du contre-espionnage militaire a envahi les lieux et arrêté plusieurs ouvriers et militants syndicaux.


Au Venezuela, toutes les actions de résistance ou de défense des droits élémentaires sont accusées d’être violentes et au service de l’impérialisme yankee. Sous le gouvernement Maduro, ces « délits » sont jugés par la justice militaire.

Les infirmiers et infirmières ont quant à eux mené une lutte longue et massive, dénonçant le manque absolu de moyens. Ils et elles ont été victimes en retour de multiples procès et d’une criminalisation de leurs actions. Au sein de la Compagnie du métro de Caracas, on compte plus d’une centaine de licenciements illégaux. La liste est longue, de la répression antisyndicale.

L’État représentant «  l’intérêt national  », toutes luttes, manifestations ou critiques sont présentées et traitées comme des menaces. Toutes les actions de résistance ou de défense des droits élémentaires sont accusées d’être «  violentes  » et «  au service de l’impérialisme yankee  ». Sous le gouvernement du «  camarade  » Maduro, ces «  délits  » sont jugés par la justice militaire.

Suite à la victoire de l’opposition aux élections législatives de 2015, l’Assemblée nationale est à 75 % anti-Maduro. Même si ce dernier, «  conseillé  » par l’armée, reconnait sa défaite, il empêche la réalisation du référendum présidentiel révocatoire en 2016, repousse inconstitutionnellement les élections des gouverneurs des états et usurpe les attributions de l’Assemblé nationale en faveur du tribunal suprême de justice et du pouvoir exécutif. À partir de février 2016, Maduro gouverne en décrétant l’état d’urgence. Sans respecter la Constitution, il appelle à des élections pour une autre Assemblée nationale appelée Constituante, verrouillant le mécanisme électoral afin de garantir le contrôle absolu de cette nouvelle assemblée. Une fois élu.es, les 545 membres, au lieu de s’affairer à bâtir un nouveau projet de Constitution, soutiennent le gouvernement, s’autoproclamant comme assemblée supra constitutionnelle et disposant des pleins pouvoirs. Elle destitue des fonctionnaires, et approuve des lois rétroactives interdisant des partis politiques.

Le président de l’Assemblée nationale, Juan Guaido, s’est autoproclamé président par intérim le 23 janvier 2019, déchaînant ainsi une escalade de la crise. Prétextant la défense de la démocratie et de la liberté, les pays membres du Groupe de Lima [6] et les États-Unis ont immédiatement reconnu cet État parallèle centré sur l’Assemblée nationale et le Tribunal suprême de justice en exil. Les États-Unis n’ont jamais défendu la liberté et la démocratie dans le monde. Tout particulièrement sur le continent américain, la liste des dictatures criminelles mises en place et soutenues activement par Washington est très longue. Par conséquent, les raisons de ce soutien sont à chercher du côté d’un Oncle Sam en crise d’hégémonie politique et économique. La Russie de Poutine et la Chine de Xi Jinping soutiennent Maduro, qui leur garantit, entre autres, l’exploitation de l’Arc minier d’Orinoco, et de juteux contrats de ventes d’armes depuis quinze ans. Les russes ont investi autour de 17 millions de dollars principalement à travers l’entreprise pétrolière d’État Rosneft. Pékin a investi 62 millions de dollars achetant notamment les 23 millions de la dette externe du Venezuela. Un gouvernement plus proche du Capitole que du Kremlin et du Zhongnanhai risque de compliquer leur retour sur investissement.

L’organisation populaire, seule source d’optimisme

On peut espérer que la profonde violence de cette crise aide à dissiper l’imaginaire de la manne pétrolière sans limite mettant sous projecteur la fin d’un cycle historique. La Cecosesola 10 est un ancien réseau de coopératives qui met en rapport les producteurs agricoles et artisanaux avec les consommateurs urbains. Avant la crise, les graines de tomates utilisées étaient importées hybrides et par conséquent stériles. Avec la crise il est devenu impossible d’en importer. Des paysans se rassemblent à la recherche de graines autochtones préservées dans de toutes petites exploitations. Ainsi, des échanges de graines de pomme de terre, de tomates ont lieu et petit à petit on se réveille de ce cauchemar.

Des espaces ruraux et urbains d’expérimentation sociale, de réappropriation des savoirs, des outils de lutte comme les syndicats, des moyens de production dans lesquels les décisions sont prises par ceux et celles qui créent les richesses au service du bien commun peuvent émerger de la crise politique et sociale.

AL, Le Mensuel mars 2019