Par Théo Rival (AL Orléans)
Le combat syndical est, pour les militantes et militants d’Alternative libertaire, un des caractères essentiels de leur engagement anticapitaliste. À l’exploitation et à l’oppression sur le terrain de classe doit répondre une lutte pied à pied. Parce que nous sommes révolutionnaires, nous sommes syndicalistes.
Changer profondément la société, et c’est bien là le but des révolutionnaires, nécessite de mettre en mouvement des forces colossales. Ces forces résident dans le prolétariat, c’est-à-dire toutes celles et ceux dépourvu·es de capital et qui en subissent la domination. Soit l’écrasante majorité de la population, qui, si elle prenait conscience de ce potentiel, constituerait le levier décisif qui pourrait faire basculer le vieux monde.
Au XIXe siècle, le mouvement ouvrier s’est constitué dans ce but. La forme syndicale en a été une des premières expressions, et les révolutionnaires ont pu en avoir différentes approches.
Une première approche est celle de la « courroie de transmission », dans sa variante tant léniniste que sociale-démocrate : le syndicat n’est qu’un appendice du parti politique. À ce dernier est dévolu la tâche d’émancipation, le syndicat se concentrant sur les revendications matérielles et professionnelles, et uniquement sur ça.
Il y a une seconde approche, « insurrectionaliste » : le syndicat n’est qu’une ruse de plus du système capitaliste pour enrégimenter les travailleuses et les travailleurs et leur faire perdre du temps dans des revendications quotidiennes bien peu révolutionnaires. Alors que ce qu’il nous faut, ce sont des barricades.
Et puis il existe une troisième approche, qui est la nôtre : le syndicat est un outil pour construire la conscience comme l’action de classe, il est le plus à même de donner corps à des résistances collectives et massives sur ce terrain, et donc le plus à même de contribuer à la rupture avec le capitalisme. Mais, pour cela, il doit, par lui-même, définir ses objectifs pour qu’ils soient largement partagés : c’est une conception syndicaliste révolutionnaire, qui s’appuie sur l’autonomie de l’organisation syndicale. Pas seulement dans un sens défensif (pour se prémunir des velléités de main-mise qu’elles émanent d’un parti politique ou de l’État), mais bien dans un sens offensif, pour construire des alternatives.
Cette démarche a, par le passé, prévalu au sein du mouvement syndical dans de nombreuses organisations, sur tous les continents. Dans l’Hexagone, elle a été synthétisée au congrès de la CGT de 1906 dans un texte fondamental : la « Charte d’Amiens » continue d’être revendiquée largement aujourd’hui par les syndicalistes de lutte. Liant revendications matérielles et projet anticapitaliste, elle affirme l’indépendance farouche du syndicat et promeut la grève générale.
Mais notre syndicalisme révolutionnaire n’est pas qu’un héritage. D’abord parce que transposer telle quelle la manière de faire du syndicalisme de 1906 à 2019 n’a pas grand sens. Il s’est enrichi des moments d’incandescence de la lutte des classes – 1936 par exemple a apporté la pratique des occupations d’entreprises, 1968 celle des assemblées générales. Et il se conjugue à la lutte contre toute les oppressions : un syndicalisme qui se tiendrait à l’écart des combats pour l’égalité, qui considérerait les luttes contre le patriarcat et contre le racisme comme des fronts secondaires amputerait d’autant sa portée émancipatrice.
Ce n’est pas qu’une approche théorique. Un tel syndicalisme révolutionnaire est avant toute chose une pratique, nourrie des combats et des luttes bien réelles, donc nécessairement adaptée aux coordonnées contemporaines de la contestation sociale.
Nous sommes révolutionnaires
La réalité du syndicalisme dans l’Hexagone est celle de la division [en Belgique celle du monopole des grosse structures syndicales sur la lutte capital-travail ]. Il est possible malgré ça d’avoir des pratiques syndicalistes révolutionnaires dans des organisations différentes. Mais le syndicalisme est aussi traversé de tendances à l’institutionnalisation comme au corporatisme le plus étroit. Et même avec de « bonnes intentions » il est parfois difficile d’y résister : disons le clairement, aucune organisation n’en est à l’abri aujourd’hui.
Les militantes et militants libertaires investi·es dans le syndicalisme ont, dans cette situation, la responsabilité politique de contribuer à défendre et à faire partager le projet syndicaliste révolutionnaire, dans et hors de leurs syndicats.
En faisant vivre la démocratie syndicale dans leurs organisations, à l’écart de tout esprit fractionniste. En se faisant garant·es de l’auto-organisation des luttes, déjouant les pièges de l’avant-gardisme comme du spontanéisme. Mais aussi en débattant publiquement des orientations et des stratégies syndicales, en mutualisant les expériences positives, par delà les sectarismes et les esprits boutiquiers.
Réfléchir au rôle et au sens des caisses de grève ; à la question de l’unification du syndicalisme ; dénoncer le « dialogue social » qui gangrène nos organisations, en dévoiler les ressorts… : voilà quelques exemples de débats, appuyés sur leurs engagements syndicaux – mais politiques, au sens noble du terme –, que les libertaires ne doivent pas craindre de mener publiquement.
C’est en cela qu’avoir un espace politique commun pour les « libertaires lutte-de-classe », une organisation commune, reste un enjeu.
D’autant que nous ne sommes pas les seul·es à en faire, de la politique ! D’autres forces agissent au sein du champ syndical, certaines souhaitant réactiver la « courroie de transmission » à leur profit. Mélenchon par exemple n’a pas hésité à remettre en cause les principes de la Charte d’Amiens l’an passé. La France insoumise semble vouloir travailler à l’émergence d’une sorte de « travaillisme de lutte » qui échouerait fatalement dans le cul-de-sac institutionnel. D’autres encore s’égarent dans le clinquant éphémère des affrontements de rue, dans l’attente d’une insurrection qui, décidément, tarde à venir.
Nous avons pour nous l’atout inestimable de nous tenir à l’écart des illusions du parlementarisme, de ne pas nous y égarer ni d’y perdre un temps précieux. Nous n’en avons que davantage pour promouvoir l’intervention directe des exploité·es et des opprimé·es, expérience régulière et quotidienne de leur capacité politique. C’est la condition nécessaire à l’émergence d’un pouvoir populaire. Libertaires, organisé·es, c’est ainsi que nous sommes révolutionnaires.