Par Adèle (AL Montreuil)
La création d’une nouvelle organisation communiste libertaire, ce n’est pas rien. Surtout quand il s’agit à deux organisations politiques de fusionner pour créer une nouvelle entité capable de prendre le meilleur dans l’organisation et les pratiques militantes de chacun, sans renier son passé ni son histoire. Retour sur plusieurs mois intenses d’échanges et de création.
Alternative libertaire (AL) et la Coordination des groupes anarchistes (CGA) ont entamé depuis plus d’un an un processus qui doit aboutir en juin 2019 à la création d’une nouvelle organisation regroupant les communistes libertaires.
Premiers contacts
C’est en décembre 2017 qu’Alternative libertaire a reçu, un message de la CGA nous proposant une rencontre. Alternative libertaire a bien entendu répondu favorablement à cette proposition : nous sommes toujours favorables à des discussions avec les révolutionnaires et libertaires. Si les liens locaux entre AL et la CGA ont toujours existé dans les villes où les deux organisations sont présentes, à l’échelle fédérale nous n’avions plus pris le temps d’échanger « officiellement » depuis 2012. AL a donc préparé cette rencontre avec un soin particulier, d’autant plus que nous connaissions notre proximité sur de nombreux aspects avec nos camarades.
La CGA tirait alors un bilan négatif des derniers mouvements sociaux : on était peu de temps après l’échec des mobilisations contre les lois Travail 1 et 2. Mais elle pointait également de nombreuses faiblesses dans le mouvement libertaire.
Une chose était sûre : c’est par davantage d’échanges et un rapprochement concret que l’on renforcerait notre courant. Ces échanges ont montré rapidement une proximité à la fois idéologique, organisationnelle et dans les pratiques militantes. C’était particulièrement intéressant d’observer que des organisations avec des histoires bien différentes (AL est issue indirectement de l’Organisation révolutionnaire anarchiste, et la CGA de la Fédération anarchiste) sont arrivées, en 2018, à des pensées et pratiques si proches.
Il apparut alors naturel d’entamer un processus d’échanges plus soutenu, afin de décider si l’on pouvait ou non espérer à termes militer dans une même organisation.
Une « feuille de route »
AL et la CGA voulaient toutes les deux prendre le temps sans en perdre. Prendre le temps de la discussion, poser toutes les questions, même les plus inconfortables, car c’est la clef du confort ultérieur. Mais sans perdre de temps en allers-retours infernaux et stériles, qui empêchent de militer sur le terrain et dans les mouvements sociaux.
C’est la raison pour laquelle a été mise en place une feuille de route pour cadrer le processus. Ce document, approuvé par les militant.es d’AL et de la CGA, programmait une succession de réunions. Des réunions de fonctionnement, entre délégations, pour comprendre la culture de l’autre, sa politique, son fonctionnement interne, ses pratiques militantes. Des réunions locales aussi, dans les régions où les deux étaient présentes, pour apprendre à travailler ensemble. Des réunions thématiques enfin, sur l’antipatriarcat, sur le militantisme au travail, sur les lieux d’études, etc.
Cette feuille de route a été émaillée de moments de vérification où chaque organisation a pu dire « Stop ou encore ». Ceci a permis une grande efficacité dans les échanges, tout en respectant les temps démocratiques de discussion à l’intérieur des fédérations.
Le défi principal auquel nous avons été confronté.es, c’est bien sûr celui des cultures militantes distinctes. Il ne suffit pas d’avoir des analyses similaires, mais bien d’être capables de travailler ensemble au quotidien, et dans une même direction !
La première question, quand on veut réunir les membres d’un même courant, c’est de savoir de quel courant on parle. AL a pour habitude de se revendiquer du communisme libertaire. Les militant.es de la CGA optaient soit pour ce terme, soit pour celui d’anarchisme social. Mais les choses ne sont jamais si nettes. Le terme « anarchiste » par exemple, est revendiqué par certains à AL, alors qu’il est évité par d’autres. C’est une question sémantique qu’il ne nous a pas semblé fondamental de trancher.
Très vite au cours du processus, il est apparu une différence centrale : celle du fonctionnement fédéral. Si on veut caricaturer, AL a un fonctionnement souple qui essaye d’optimiser son efficacité et sa réactivité. La CGA peut parfois être plus « stricte », mettant en avant le respect de la démocratie et la culture du mandat. Passé ce constat, nous nous sommes vite aperçu.es que les camarades de la CGA recherchaient justement un fonctionnement fédéral plus consistant, et que des garde-fous démocratiques supplémentaires ne feraient pas de mal à AL. En bref, les deux systèmes étaient conciliables, et tout est question de l’endroit où l’on place le curseur !
Mais, une fois que l’on a discuté politique, une fois que l’on pense que l’on sera capable de trouver un fonctionnement commun, il reste une question centrale : celle des pratiques militantes. Vous pourrez toujours être d’accord théoriquement avec le ou la camarade en face, si vos pratiques sont divergentes, la mayonnaise risque de ne pas prendre. Un moment très important pour vérifier ce point a été les Journées d’été d’AL 2018. Lors de cet événement annuel dépourvu d’enjeux décisionnels, les militantes et militants d’AL et de la CGA ont pu se côtoyer dans un cadre convivial où l’on vit l’autogestion au quotidien. On y a constaté une belle alchimie, une belle camaraderie. Eh oui, laver les toilettes en discutant de la grève des cheminot.es rapproche…
Ne soyons pas angéliques : il reste bien entendu des questions en débat… et heureusement ! C’est ça la politique : organiser le débat démocratique, pour pouvoir prendre des décisions ensemble, qui seront mises en œuvre par un maximum de camarades, aller dans la même direction, avec efficacité. Nul doute que nous nous doterons d’outils pour faire vivre ces débats en interne.
Élargir le processus au maximum
Tout au long du processus, AL et la CGA ont gardé en tête une chose : nous ne fusionnons pas simplement deux organisations proches. Nous créons une nouvelle organisation, avec son fonctionnement propre, inspiré du meilleur des deux, mais aussi d’idées nouvelles. Nous voulons dépasser les deux entités. Car le but est de réunir largement les personnes qui veulent militer dans une organisation ancrée dans les mouvements sociaux, dans une organisation anticapitaliste, féministe et antiraciste, dans une organisation libertaire, qui se donnera les moyens pour faire progresser ses idées. Rendez-vous en juin prochain au congrès pour l’acte final !
Quelques dates pour la suite du processus
27 avril à Paris : une dernière rencontre fédérale aura lieu entre AL et la CGA afin de valider les textes et amendements soumis au congrès.
Du 8 au 10 juin dans l’Allier aura lieu le congrès de fondation de la nouvelle organisation. Nous nous doterons d’un nouveau nom, d’un nouveau manifeste et de nouveaux statuts. Nous mandaterons aussi les camarades aux différentes tâches à assurer. À la suite immédiate de ce congrès, les militant.es d’AL et de la CGA se réuniront (ou non) séparément pour dissoudre leurs organisations respectives, si la nouvelle les satisfait !
Par la suite, pendant quelques mois, nous déciderons, selon des modalités votées lors du congrès, de ce que nous faisons de notre héritage politique : les dizaines de textes écrits, votés et publiés par AL et la CGA depuis des années. Pas question de faire table rase du passé ! Nous avons une histoire, ou plutôt des histoires, et nous les conservons, ou pas. Tout en en écrivant un nouvelle page …