Propos recueillis par Jérémie Berthuin (AL Gard)

Herbert Claros, 37 ans, est métallurgiste et secrétaire aux relations internationales de la CSP-Conlutas  [2] . Nous l’avons rencontré en début d’année à l’occasion de sa venue en Europe lors d’une tournée de meetings pour faire le point sur la situation depuis l’arrivée au pouvoir du néofasciste Jair Bolsonaro en octobre 2018, évoquer les responsabilités du Parti des travailleurs (PT), au pouvoir de 2003 à 2016, dans cette catastrophe ainsi, que les perspectives de riposte du mouvement social, syndical et féministe.

Alternative libertaire : Quel est le contexte de l’élection de Jair Bolsonaro à la tête du Brésil ?

Herbert Claros  : Les élections ont montré la grande insatisfaction de la classe ouvrière et de la majorité de la population à l’égard de la classe politique et de leurs partis. Mais le manque de perspectives face à la crise économique et la désillusion suscitée par les gouvernements PT de Lula (2003-2011) et de Dilma Rousseff (2011-2016), et leur adaptation à la logique d’un système pourri, ont renforcé l’option d’extrême droite. Un des facteurs de la victoire de Bolsonaro est l’approfondissement de la crise économique et sociale depuis de nombreuses années. Pour bien comprendre comment la crise a pu toucher les travailleurs et travailleuses, il faut revenir sur les conséquences de la politique du Parti des travailleurs lorsqu’il était au pouvoir.

Pendant les premiers mandats du PT, il y a eu une croissance des exportations des matières premières, qui sont un des piliers de l’économie brésilienne. Dans ce cadre, le PT a pris des mesures qui permettaient aux Brésilien.ne.s d’emprunter plus facilement pour acheter une maison («  Ma maison, ma vie  »), s’inscrire à l’université («  pro uni  ») ou plus largement avoir accès à des crédits à la consommation. La loi a été modifiée pour que, même sans deuxième salaire, de gros emprunts soient possibles. Quand la crise économique s’est intensifiée, à partir de 2007, beaucoup de familles n’ont pas pu rembourser leurs emprunts et les banques ont directement puisé à la source, sur les salaires. Depuis lors, la crise n’a fait que s’accentuer, ainsi que ses corollaires  : misère sociale et criminalité.

Au Brésil, le taux de chômage est de 25 % et le salaire minimum est de 253 euros, et c’est ce que gagne 70 % de la population. La violence et la criminalité ont augmenté, avec un taux d’homicides de 30 % supérieur à celui de l’Union européenne. En 2017, il y a eu 63 880 homicides, dont 58 % des victimes sont des jeunes. Ces dix dernières années, il y a eu 500 000 morts violentes. Ces éléments aident à comprendre comment le discours sécuritaire d’un candidat comme Bolsonaro a trouvé un écho favorable auprès de la population.

La présidence PT et les nombreux cas de corruption ont aussi contribué à lui dérouler le tapis rouge.

La corruption n’est pas nouvelle. Elle remonte à la colonisation portugaise. Elle était courante sous la dictature. Mais au cours de la présidence PT, elle a explosé, éclaboussant le parti de Lula, et plus généralement tous les partis institutionnels.

L’organisation de la Coupe du monde de football en 2014 et des Jeux olympiques de 2016 ont été émaillées de cas de corruptions dans l’attribution de chantiers gigantesques. D’immenses infrastructures, comme des métros, ont dû être construites. Un bon exemple est le nouveau stade de São Paulo qui a coûté trois fois plus cher que prévu  ! Des entreprises de construction civile comme Odebrecht, impliquées dans cette corruption immobilière ont financé d’ailleurs, ce qui n’est pas un hasard, la campagne des deux grands partis, le PT et le PMDB (parti de la droite néolibérale).

Sans surprise, dès le début de sa présidence Bolsonaro a été à l’offensive. Tu peux en dire quelques mots ?

Une de ses premières mesures a été de transférer la Fondation nationale de l’Indigène vers le ministère de l’Agriculture. Ce dernier étant aux mains des grands propriétaires terriens, une grande menace pèse désormais sur les terres amérindiennes, car l’intérêt du secteur de l’agrobusiness est, bien sûr, opposé à la protection de l’environnement et des populations locales. Actuellement les grands propriétaires utilisent des mercenaires pour former des milices qui envahissent les terres des populations indigènes. Un projet d’autoroute qui traverserait de part en part la forêt amazonienne est dans les tuyaux  ! Une autre mesure en projet est la suppression de ministères comme celui des Sports et du Travail. Supprimer le ministère du Travail, c’est en substance la fin des locaux municipaux permettant aux populations de faire valoir leurs droits. C’est la fin, aussi, des inspections du travail. Bolsonaro rend possible le rêve de tous les patrons !

De quels secteurs de la population peut naître la résistance au gouvernement  ?

Le gouvernement a l’intention de privatiser la poste, les aéroports, l’électricité, la compagnie nationale de pétrole (PetroBras), et de poursuivre la vente de la compagnie nationale d’aviation (Ambraer) à Boeing, déjà initiée sous les gouvernements PT. Toutes ces mesures sont un défi pour le mouvement syndical et populaire. Il va falloir s’unir pour combattre le gouvernement dans la rue, car c’est sur ce terrain-là que nous devons l’affronter, et non pas au Parlement. Mon syndicat assumera ses responsabilités pour aller vers cette unité d’action.

Une première étape a d’ores et déjà été franchie le 20 février, avec des manifestations monstres à l’appel d’une «  Assemblée nationale des classes laborieuses pour la défense des caisses de retraite  » qui regroupe toutes les confédérations syndicales du pays. Un projet du gouvernement veut, en effet, casser le financement des retraites par répartition, au profit d’un système par capitalisation, excluant le principe de solidarité entre les actifs et ceux qui ont cessé de l’être, et donnant aux caisses de prévoyance et d’assurances privées un blanc-seing total.

Le féminisme est un autre front de lutte à la pointe de la mobilisation  : en réaction à l’élection de Bolsonaro, un mouvement de femmes, inédit et sans précédent, est né au Brésil  : #ELE NAO (Pas lui)  ! Ce mouvement a popularisé le féminisme avec, au cours de la campagne électorale, des manifestations immenses avec 4 millions de femmes dans la rue et ce, dans plus de 114 villes  ! Ce réveil féministe est très important, car au Brésil les droits des femmes sont souillés. C’est le 5e pays avec le plus haut taux de féminicides  ; le premier pays quant à la mortalité des personnes LGBT  ; 45% des femmes vivent sous le seuil de pau­vreté. Dans le Nord-Est du Brésil, l’avortement est un crime, de même que l’usage de la pilule contraceptive. Autre exemple de cette violence sexiste  : il existe ce qu’on appelle la «  bourse à la natalité  », c’est une allocation accordée à toute femme victime d’un viol et enceinte, afin de la convaincre de garder son bébé.

Le mot de la fin ?

Dans un contexte d’attaque contre les droits de notre classe au niveau international, c’est important de pouvoir avoir des contacts et d’être solidaires. La CSP Conlutas a par exemple fait un rassemblement devant l’ambassade de France à São Paulo, lors de la journée d’action et de grève du 5 février en France. C’est important de développer cette solidarité internationale, car cela nous rend plus forts. Au Brésil, nous aurons besoin de votre soutien lors des mobilisations à venir contre le gouvernement de Jair Bolsonaro. Le terrain principal pour vaincre les projets dictatoriaux et les attaques contre les droits du peuple est celui de l’action directe, basé sur l’indépendance de classe et sur la démocratie ouvrière. Le combat ne fait que commencer. L’heure de la résistance et de la lutte a sonné !

AL, Le Mensuel, mai 2019