Par Anne (UCL Montpellier) Louise (UCL Saint-Denis)
Il y a cent ans, le 8 mars 1917, les ouvrières de Saint-Pétersbourg (Russie) se mettaient en grève, manifestaient pour réclamer du pain et la paix et initiaient ainsi un mouvement révolutionnaire historique. Aujourd’hui, dans plus de 50 pays les femmes participent à un mouvement de grève internationale.
Nous, les femmes dans le monde, nous nous organisons en une épreuve de force et en un cri commun : la grève internationale des femmes. Nous nous arrêtons. Nous faisons grève, Nous mettons en pratique le monde dans lequel nous désirons vivre » [1].
En 2017, l’appel international #NosotrasParamos (#Onarrêtetoutes) en Argentine lance la première grève internationale des femmes suite au féminicide d’une jeune fille de 16 ans Lucià Perez, violée et assassinée.
La lutte féministe est internationale
En faisant la grève internationale le 8 mars, du travail salarié et domestique, les femmes permettent de rendre visible, de dénoncer et d’affronter la violence sociale économique et politique qui ne se réduit pas à une question privée ou domestique [2].
Dès 2018, des millions de femmes ont fait grève à travers le monde : en Espagne (cinq à six millions dans les rues), en Argentine, au Chili, en Pologne, et dans plus de 50 pays, elles étaient des centaines de milliers.
En 2019, la grève féministe gagne encore du terrain et touche tous les continents [3]. En Espagne un millier de rendez-vous ont été planifiés pour revendiquer la fin des violences sexistes et l’égalité salariale. En Italie, 50 000 manifestantes à Rome et plusieurs milliers à Milan, Naples, Gênes, Bologne ou Palerme se sont regroupées. L’association Non una di Meno [4] appelait à une grève féministe le 8 mars pour lutter contre toutes les violences et discriminations (famille, travail, rue, hôpitaux, écoles…), mais aussi la liberté des femmes dans un contexte d’attaques contre l’avortement et de retour aux valeurs de la famille.
Pour la première fois, les Belges ont été appelées à une grève totale à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes : grève du travail salarié, du soin, de la consommation et des études. Le mouvement des femmes constitue le moteur des mouvements sociaux partout dans le monde : partout le mouvement des femmes se lève, fait masse et fait front.
Violences et avortement : des sujets déterminants
Si les grèves internationales des femmes sont nées en Argentine puis dans toute l’Amérique latine, de la lutte contre les féminicides, elles se sont rapidement étendues à d’autres continents et d’autres thématiques : aux États-Unis (Women’s March et #MeToo), en Islande (grève pour l’égalité salariale), en Espagne et en Pologne (droit à l’avortement), en Italie (Non Una di Meno).
Les récentes attaques contres l’avortement (fermetures des centres d’interruption volontaire de grossesse, coupe budgétaire des plannings familiaux, offensive médiatique des anti-IVG) en font un enjeu majeur de cette grève.
Une situation internationale qui résonne en France
Un an après #MeToo, les marches organisées en France à l’occasion de la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes ont rassemblé 50 000 personnes sur l’ensemble du territoire [5].
En 2019, les mobilisations entamées dès le mois de juillet contre les féminicides et la date du 28 septembre pour le droit à l’avortement, ont préparé les mobilisations historiques du 23 novembre où 150 000 personnes sont descendues dans la rue sur tout le territoire.
La lutte contre la loi El Khomri et les Nuits debout ont été de formidables accélérateurs politiques pour le féminisme. De nombreux collectifs féministes, des femmes syndicalistes ont alors élaboré des analyses, des axes de revendications et du matériel spécifique à l’exploitation et à l’oppression des femmes, lutte contre la paupérisation des femmes, refus des temps partiels imposés, charges mentales liées au travail domestique, harcèlement au travail et analyse portée au sujet des secteurs dit « féminins » particulièrement touchés par la précarité.
Le soulèvement des femmes dans le mouvement des gilets jaunes est aussi un révélateur de cette dynamique. Une plate-forme revendicative féministe est née de ces mobilisations dès la première assemblée des assemblées de Commercy, dénonçant les inégalités de salaires, temps partiels imposés, réclamant des aides aux situations de handicap, la nécessité de crèches sur les lieux de travail, la fin de l’impunité sur les violences.
Aujourd’hui, le mouvement contre la réforme des retraites ne fait que confirmer ce mouvement d’ampleur et a mis en exergue l’instrumentalisation gouvernementale du travail des femmes. Cette réforme leur nuit, en effet, gravement : baisse des pensions de réversion et baisse des pensions généralisées pour les femmes, suppression de la majoration de la durée d’assurance, etc.
La bataille contre la réforme des retraites est devenue une bataille féministe dénonçant la double exploitation des femmes : sous-payées et précarisées, c’est pourtant sur elles que repose la vie des cellules familiales. Partout en France, des mobilisations se préparent. Rejoignant l’appel du collectif #Onarrêtetoutes pour la grève féministe, avec ou sans appels spécifiques en fonction des réalités locales ou des secteurs, les femmes se mobilisent.
À Rennes, une manifestation axée sur la grève du travail du dimanche (soin, vente, aide à la personne…) et domestique semble se dessiner. À Brest et à Montpellier, c’est une inter-organisations très large qui met en place cette mobilisation, avec une reprise du texte national élaboré par #Onarrêtetoutes, complété avec les attentes locales.
Quand les femmes se lèvent, le peuple avance
En lien direct avec la lutte contre le projet de réforme des retraites, un autre appel national réunissant des syndicats et des collectifs féministes appellent le 8 mars à une « Marche des grandes gagnantes », reprenant finalement bon nombre des axes revendicatifs proposés par le collectif #Onarrêtetoutes.
Cette grève féministe du 8 mars participe à créer les contre-pouvoirs féministes indispensables à l’émergence d’une société égalitaire et solidaire, débarrassée du système patriarcal, de l’État et de ses relais institutionnels, du capitalisme et du racisme.