À l’occasion de la Journée internationale des droits des paysan·nes du 17 avril et dans le contexte de la crise du Covid-19, les paysan·nes et travailleur·ses agricoles de l’Union communiste libertaire affirment qu’il est grand temps de changer la place de l’agriculture dans notre société.

La crise du coronavirus nous montre, encore une fois, que les États et les organisations internationales soutiennent sans vergogne l’agro-industrie et la grande distribution. Sous prétexte sanitaire, de nombreux pays restreignent ou interdisent les marchés de plein vent, la vente ambulante ou de rue, alors que les grandes et moyennes surfaces restent ouvertes et font figure de lieux sécurisants et sécurisés. Ces mêmes grandes surfaces où les travailleuses et travailleurs sont mis en première ligne et risquent leur vie face aux contaminations afin d’assurer le fonctionnement de lieux de consommation à grande échelle.

Les petit·es producteur·es, capables d’assurer une vente directe et de proximité prennent donc de plein fouet la restriction de leurs circuits de commercialisation et doivent faire face à de nombreuses difficultés de par le monde.

En parallèle, alors que les frontières sont fermées, les exploitations industrielles ou semi-industrielles se plaignent de ne plus avoir recours à la main d’œuvre sous-payée qu’elles exploitent chaque année : travailleuses et travailleurs étrangers qui débarquent en bus pour le besoin des patrons et doivent subir bien souvent des conditions de travail déplorables, humiliations et violences. Le récent procès d’Arles intenté pour servage moderne par des travailleuses et travailleurs détachés contre huit entreprises agricoles françaises ne fait que dévoiler un modeste pan de cette triste réalité. Aujourd’hui, pour répondre à ce manque de main-d’œuvre, le gouvernement français a une solution toute trouvée : étudiant·es et chômeurs·es désœuvré·es iront bénévolement dans les champs et, sinon, les sans-papiers qui sont d’habitude exploité·es illégalement pourront être autorisé·es à travailler… Une manière on ne peut plus cynique de délivrer un permis d’exploiter à l’industrie agricole française.

Paysan sud-africain. cc Antoine Jomand

Accaparement des terres

Dans le même temps, la spéculation mondiale sur les produits alimentaires de première nécessité continue, brisant les prix, affaiblissant les petit·s producteur·es et par là-même empêchant une partie de l’humanité de manger à sa faim et d’accéder à une nourriture de qualité. L’accaparement des terres par des propriétaires terriens ou des fonds d’investissements, la destruction des savoirs paysans, l’introduction à outrance des outils numériques dans les pratiques agricoles et les pratiques de contrôle qu’ils amènent, ne cessent de se développer et de faire reculer la population paysanne.

Ce productivisme et cette industrialisation de l’agriculture ne sont que le miroir du monde que le capitalisme nous propose comme modèle social globalisé.

Nous ne pouvons nous résoudre à ce que ce système agricole et social perdure. Cette crise nous place de force devant le défi, primordial, de remettre l’autonomie alimentaire au centre de notre société. C’est en effet fondamental pour garantir une alimentation de qualité, en abondance et une égalité dans l’accès à celle-ci. Or aujourd’hui, la population confinée, face à la peur et aux difficultés d’approvisionnement se tourne vers les paysannes et paysans locaux et leur demande de les approvisionner. Mais la réalité est cruelle : dans l’état actuel de la paysannerie, nous ne pourrons nourrir tout le monde si nous ne développons pas l’agriculture locale et paysanne, si nous ne récupérons pas les terres qui s’évaporent chaque année pour des projets d’artificialisation, si nous ne soutenons pas les paysannes et paysans en place et l’installation de nouvelles et nouveaux, si nous ne dynamisons pas les savoirs paysans, en somme si nous ne changeons pas radicalement notre système agricole.

cc Laurent Zeller

Pour des alliances entre classes dominées des villes et des campagnes

Au delà de la crise et d’un recours momentané aux productrices et producteurs locaux nous souhaitons que des alliances se créent entre les classes dominées des villes et des campagnes, que la nourriture de qualité puisse être accessible à toutes et à tous, que le prix des aliments soient à la fois justes pour celles et ceux qui les produisent comme pour celles et ceux qui les consomment. La vente directe et l’implication des non-paysan·nes dans la production et la distribution de l’alimentation permet des rapports plus justes et plus égalitaires, plus d’autonomie pour les producteurs et productrices et plus d’autogestion dans la répartition alimentaire.

Nous sommes certain·es qu’il ne peut y avoir de changement structurel du système agricole actuel sans la destruction du capitalisme et des rapports de domination et de marchandisation qu’ils induisent. Notre agriculture doit être pensée au niveau local, pour une production diversifiée en fonction des besoins de la population à proximité. Nous souhaitons la réalisation d’une agriculture symbiotique et cohérente, entre les travailleurs et travailleuses de la terre et leur environnement, animal et végétal, ainsi qu’avec les autres composantes de la société qui entourent cette activité.

Paysan sans terre brésilien. cc Marie-Noëlle Bertrand

Pour une refonte profonde des pratiques agricoles et alimentaires

Nous pensons que la concurrence entre les paysan·nes de la planète, engendrée par le néolibéralisme, doit être remplacée par des relations d’entraide et de solidarité. Un internationalisme des luttes et des pratiques agraires !

La question de l’agriculture est une question qui ne peut pas être laissée à la marge par les mouvements progressistes. Une révolution sociale, libertaire et écologique ne pourra être réussie sans une refonte profonde des pratiques agricoles et alimentaires.

Nous devons mener une réflexion politique et agir concrètement et radicalement en tant que paysannes et paysans libertaires sur la place de l’agriculture au sein de la société que nous voulons demain et amener les personnes non-issues du « monde agricole » à la mener avec nous.

Que fleurissent les luttes et les résistances paysannes et que triomphent les luttes sociales !

Le groupe de travail Agriculture de l’Union communiste libertaire

Paysanne chinoise du Yunnan. cc Albert Tan