Dans cette interview, réalisée entre août et octobre de 2010, la Fédération Anarchiste de Rio de Janeiro (Federação Anarquista do Rio de Janeiro – FARJ) évoque son interprétation de concepts tels que le spécifisme (especifismo), le dualisme organisationnel, l’insertion sociale et le rôle de l’organisation politique anarchiste par rapport aux mouvements sociaux et à la lutte des classes.

Fondée le 30 août 2003, la FARJ a ses origines dans le travail de militant-e-s tel-le-s que Peres Idéal (1925-1995), son père Juan Perez Bouzas (ou João Peres) (1899-1958) et José Oiticica (1882-1957), parmi d’autres. Elle se réfère également à des organisations politiques comme l’Alliance Anarchiste (Aliança Anarquista), fondée en 1918 et le Parti communiste libertaire (Partido Comunista), fondé en 1919 (à ne pas confondre avec le Parti communiste réformiste et électoraliste fondé en 1922). Elle trouve également ses références historiques dans les syndicats sous l’influence des anarchistes au début du vingtième siècle, tels que la Fédération ouvrière de Rio de Janeiro (Federação Operária font Rio de Janeiro – FORJ), fondée en 1906, dans toute la recherche du « vecteur social de l’anarchisme » au cours des années 1940 et 1950 et dans les activités postérieures à la dictature militaire.

Jonathan Payn. — Pour les lecteurs qui ne sont pas familiers avec le concept de dualisme organisationnel, pouvez-vous expliquer s’il vous plaît le besoin de construire une organisation politique anarchiste à Rio de Janeiro ? Par quelle sorte de processus deviez-vous passer pour arriver à cette conclusion et former la FARJ ?

FARJ : Le terme « dualisme organisationnel », tel qu’il est utilisé en anglais, sert à expliquer la conception d’organisation que nous promouvons, ou ce que l’on a appelé classiquement la discussion sur « le parti et le mouvement de masse ». Bref, notre tradition spécifique a ses racines dans Bakounine, Malatesta, Dielo Trouda, la Fédération anarchiste uruguayenne (FAU) et d’autres militant-e-s ou organisations qui ont défendu cette différentiation entre les niveaux d’organisation. C’est-à-dire, un large niveau que nous appelons le « niveau social » et qui est composé des mouvements populaires ; et de ce que nous appelons le « niveau politique », composé des militant-e-s anarchistes qui sont groupé-e-s autour d’une base politique et idéologique définie.

Ce modèle est basé sur quelques principes : les mouvements populaires ne peuvent pas être confinés à un camp idéologique défini – et, à cet égard, nous nous différencions de l’anarchosyndicalisme, par exemple – parce qu’ils devraient s’organiser autour des besoins (la terre, l’abri, les emplois, etc.) qui groupent de larges secteurs de personnes. C’est cela, le niveau social ou le mouvement de masse, comme on l’a appelé historiquement. Le modèle implique aussi que, pour travailler dans les mouvements, il n’est pas suffisant de s’y dissoudre – ou de s’y insérer – même si on est reconnu-e-s comme anarchistes. Il est nécessaire que nous soyons organisé-e-s, en constituant une force sociale significative qui facilitera la promotion de notre programme et aussi la défense contre les attaques des adversaires qui ont d’autres programmes. Cependant, il faut garder à l’esprit que nous ne préconisons pas que vous participiez à un ou d’autre niveau ; les anarchistes sont aussi des travailleurs-euses et font partie de ce large groupe que nous appelons les classes exploitées et, donc, ielles s’organisent, comme une classe, dans les mouvements sociaux. Quand même, comme ce niveau d’organisation a ses limitations, les anarchistes s’organisent aussi sur le niveau politique, en tant qu’anarchistes, pour articuler leur travail et idées.

Ce qu’on appelle l’organisation anarchiste spécifique n’est rien de nouveau dans le mouvement anarchiste. Ses origines sont dans le militantisme de Bakounine lui-même, dans la Première internationale, avec la formation de l’Alliance de la Démocratie Socialiste en 1868. Malatesta, développant la thèse de Bakounine sur la minorité active, a pensé aussi à quelque chose de semblable. Comme, de la même façon, ont fait les Russes exilés de Dielo Trouda et de la FAU, parmi tant d’autres. Ce groupement spécifique de révolutionnaires anti-autoritaires est fondé sur les positions communes concernant l’horizon (les objectifs), les stratégies et la tactique. C’est-à-dire, l’organisation anarchiste spécifique n’est pas une « invention » récente, elle a sa trajectoire dans la consolidation de l’anarchisme lui-même comme outil révolutionnaire, dans la trace des actions de Bakounine.

Dans le développement historique du mouvement anarchiste, cette position a été négligée dans certains pays au détriment d’une position qui affirmait que le syndicalisme se suffisait à lui-même. Pas pour nous. Nous croyons que le devoir de l’organisation anarchiste spécifique, ce que Malatesta a appelé le « parti » anarchiste, est d’articuler la force des anarchistes autour d’une proposition commune et de stimuler les mouvements sociaux pour qu’ils avancent de plus en plus au-delà de leurs demandes, étant capables de construire la base d’une transformation révolutionnaire.

Il est important d’insister sur le fait que le dualisme d’organisation ne présuppose pas de relation de subordination ou de hiérarchie entre les deux cas mentionnés. Du point de vue de l’anarchisme, l’organisation spécifique et les mouvements sociaux sont complémentaires. La relation de l’organisation anarchiste spécifique présuppose des relations éthiques et horizontales, qui impliquent de ne pas avoir de relations de hiérarchie ou de domination sur les instances qui participent.

À Rio de Janeiro, les anarchistes organisé-e-s ont essayé deux fois de créer des organisations anarchistes spécifiques ; mais la répression a retardé leur projet. Ces camarades ont senti intuitivement que le reflux du syndicalisme révolutionnaire pouvait condamner aussi l’anarchisme lui-même. Et c’est exactement ce qui est arrivé. Le syndicalisme n’était pas « suffisant » et avec le reflux du syndicalisme révolutionnaire, l’anarchisme est entré en crise, dès les années 30. Dans les années 1940 et 1950, les camarades de Rio de Janeiro (et aussi de Sao Paulo) ont fondé leurs organisations spécifiques, mais ont été complètement isolé-e-s des mouvements sociaux, et ielles se sont organisé-e-s pour inverser ce processus. Dans les années 1960, le coup d’État militaire et la situation du mouvement anarchiste avaient retardé le projet d’une organisation anarchiste spécifique à Rio de Janeiro. Le mouvement ayant été complètement fracassé par les années de la dictature, les années 1980 et 90 furent des décennies de rassemblement d’ancien-ne-s et de nouveaux-elles militant-e-s, faits principalement par le travail infatigable et la patience de Ideal Peres. Le moment était venu non seulement de reprendre de vieux débats, mais aussi les importantes expériences de lutte que les anarchistes avaient entreprises, même s’ielles n’étaient pas nécessairement regroupé-e-s autour d’une stratégie commune (les occupations, les groupes d’éducation populaires, la présence dans les syndicats, etc.,).

Au début de 2001 nous avons compris que le moment était venu de faire un saut qualitatif, de quitter le modèle des « centres culturels » autour desquels nous nous étions organisé-e-s depuis les années 1980, et de former une organisation politique plus adéquate pour le travail avec les mouvements sociaux. Cela devenait de plus en plus évident ; c’était la voie que nous devrions suivre. Nous avions une expérience avec le travail social et, avec la décision que l’anarchisme devait fonctionner pour pousser des luttes populaires, il est devenu évident que nous devions chercher quelque chose de plus organisé, avec plus de cohésion, au moins, un instrument qui nous permettrait d’approfondir notre travail dans la voie qui s’était avérée nécessaire.

C’est alors que différents militant-e-s du mouvement anarchiste de Rio de Janeiro se sont réuni-e-s avec l’intention de discuter la proposition de fonder une organisation. Ielles avaient déjà une certaine expérience dans le militantisme social, mais n’avaient pas discuté de ce que le modèle organisationnel devait être. Un des groupes s’est retiré du processus et a résolu d’avoir leurs propres discussions séparément. Plus tard ielles ont fondé la Fédération Anarchiste insurrectionaliste, qu’ielles ont appelée plus tard UNIPA (l’Union Populaire Anarchiste – União Popular Anarquista). Le groupe qui est resté et qui a continué les discussions a constitué la FARJ en 2003. Il est important de souligner que la FARJ était la conséquence d’un processus qui avait duré au moins dix ans, avec la présence d’anarchistes dans les mouvements sociaux divers dans l’État de Rio de Janeiro.

Jonathan Payn. — Comment voyez-vous votre rôle – le rôle de l’organisation anarchiste spécifique par rapport aux mouvements sociaux ?

FARJ : Le rôle de l’organisation anarchiste spécifique doit être d’agir comme un catalyseur de luttes sociales. Nous ne croyons pas que les organisations politiques doivent guider ou diriger les luttes, comme le dit le marxisme-léninisme. La conception Bakouninienne de la minorité active est très utile pour nous à cet égard. La minorité active n’impose pas, ne domine pas, n’établit pas de relations hiérarchiques ou un contrôle dans les mouvements sociaux.

Le rôle de l’organisation anarchiste spécifique dans les mouvements sociaux est aussi de ne pas regrouper tout le monde sur les positions des mouvements qu’il joint, mais de se répandre et d’influencer les mouvements avec des avec les pratiques libertaires (l’action directe, l’autonomie, l’autogestion, etc.,), sans «doctrinismes». Cela implique une énorme responsabilité et présuppose un rapport éthique avec ces mouvements. Cela nous mène aussi au rôle inévitable de contribuer à la lutte contre toute tentative d’asservir les mouvements sociaux, de combattre la bureaucratie, de stimuler l’organisation interne du mouvement et de travailler à garantir que ces mouvements se dressent toujours sur leurs propres pieds.

Jonathan Payn. — La FARJ fait une distinction entre le travail social et l’insertion sociale. Pourriez-vous définir les deux ?

FARJ : Oui, nous faisons cette distinction. Comme nous nous sommes exprimé-e-s dans notre programme : « Le travail social est l’activité que l’organisation anarchiste effectue dans la lutte de classe, en faisant que l’anarchisme interagisse avec les classes exploitées » ; l’insertion sociale est « le processus qui consiste à influencer les mouvements sociaux par la pratique anarchiste. Ainsi, l’organisation anarchiste fait du travail social quand elle crée ou développe le travail avec les mouvements sociaux, et elle fait de l’insertion sociale quand elle réussit à influencer ces mouvements sociaux avec les pratiques anarchistes ».

Voyons comment nous pouvons expliquer cela mieux en pratique. Pour nous, le travail le plus important de l’organisation anarchiste est de fonctionner comme un moteur/outil de la lutte des mouvements sociaux, des syndicats etc. et, dans ce sens, nous avons toujours comme objectif de créer des mouvements ou de participer aux mouvements qui existent déjà.

Bien alors, nous disons que nous faisons du travail social quand nous participons à ou créons des mouvements et quand ceux-ci ne travaillent pas avec la stratégie que nous défendons. Quand nous entrons dans un mouvement comme celui des sans-abri, par exemple et nous développons le travail sans réussir à conclure un projet convenable qui est une application pratique de notre programme, nous faisons du travail social. Le travail social consiste donc à participer à un mouvement, mais sans réussir à exécuter notre programme, ce projet dont nous parlons. Généralement, les premiers pas d’une organisation anarchiste consistent toujours à faire du travail social, mais il est indispensable de chercher l’insertion sociale, en fonction du moment.

En accord avec la définition faite ci-dessus, l’insertion sociale se produit quand, commençant avec son travail social, l’organisation anarchiste réussit à faire que sa stratégie fonctionne dans la pratique, dans les mouvements populaires. En réalité, pour nous ce n’est pas assez de simplement être dans les mouvements sociaux et se leur lécher les bottes ; il est nécessaire d’être là avec un programme et se battre pour qu’il soit exécuté autant que possible en pratique.

Dans notre programme, nous proposons une stratégie déterminée pour les mouvements : en résumé :

  • De larges mouvements sans critères religieux ou idéologiques comme base pour l’association
  • Une caractéristique de classe dans cette association, c’est-à-dire des mouvements constitués par des secteurs des classes exploitées
  • La combattivité orientée vers des conquêtes au moyen des luttes et pas par le collaborationnisme trans-classe ou les accords bureaucratiques
  • L’autonomie par rapport aux individus, aux organisations et aux institutions telles que les partis autoritaires, l’État etc.
  • L’action directe comme une forme pour garantir des conquêtes de classe dans les luttes de la classe elle-même, sans participer aux institutions de démocratie bourgeoise
  • La prise de décision au moyen de la démocratie directe, c’est-à-dire des mouvements qui sont organisés horizontalement, les décisions étant faites par tou-te-s celles et ceux qui sont impliqué-e-s dans le processus de lutte sans dirigeant-e-s détaché-e-s de la base, et en faveur de l’autogestion et du fédéralisme
  • Finalement, une perspective à long terme qui peut impulser des conquêtes quotidiennes ainsi que des luttes avec un objectif socialiste et révolutionnaire.

Bref, plus nous réussissons à promouvoir cette stratégie dans les mouvements et plus ils fonctionnent de cette manière, plus nous avons d’insertion sociale. Donc, il y a une distinction facile : le travail social consiste à participer et l’insertion sociale consiste à réussir à exécuter un programme. Le travail doit toujours être le commencement et l’insertion sociale l’objectif désiré dans les mouvements. Nous mettons l’accent sur les mouvements sociaux, aussi le travail social n’est-il pas fait au hasard et encore moins pouvons-nous considérer n’importe quel acte de rébellion, si admirable soit-il lorsqu’il est dirigé contre les oppresseurs, comme du travail social. D’abord il y a la question de terrain ; quel est le terrain de la lutte de classe et des possibilités offertes pour l’organisation populaire ? Si nous comprenons le groupe de classes exploitées comme les protagonistes de la révolution, il n’y a rien de plus évident que de travailler avec les mouvements constitués par celles et ceux qui sont opprimé-e-s par le capitalisme.

Soit ces mouvements existent déjà, soit ils ont besoin d’être créés – cette dernière tâche peut venir de l’organisation anarchiste spécifique ou non. Le travail social a besoin d’être systématique. C’est-à-dire qu’il a besoin d’être régulier et d’être développé sur les bases plus ou moins solides et avoir, ou avoir l’intention d’avoir, le caractère de classe susmentionné. Il est nécessaire de réfléchir à vos objectifs, sous peine de tomber dans l’activisme pour l’activisme ou de gaspiller l’énergie nécessaire pour l’avancement des luttes.

Nous devons souligner que le travail social exige beaucoup de patience et de persévérance. Donc une certaine attitude est nécessaire. Quelque chose que la FAU appelle le « style militant », un terme qui, selon nous, est complètement adéquat et qui est une chose sur laquelle nous avons commencé à réfléchir plus récemment. Il n’y a aucun militantisme qui donne des résultats quand il y a la discordance significative entre les attitudes des militant-e-s. Nous ne voulons pas non plus que chacun-e agisse et se comporte d’une façon homogène ou qu’ielles soient annulés au détriment du collectif. Il y a des personnalités et des tempéraments différents dans l’organisation.

Ce que nous pensons, c’est que vous devez avoir certains paramètres de travail social qui doivent être stimulés dans l’organisation anarchiste spécifique. Notre déclaration de principes définit déjà l’épine dorsale de notre organisation, mais l’expérience quotidienne de travail social présuppose des problèmes qui ne seront pas résolus seulement par des abstractions. Pour cela il est indispensable que le militant-e-s ne soit pas un « corps étranger » exotique ou exogène dans les mouvements dans lesquels ielles participent ou ont l’intention de participer. Il est nécessaire de savoir comment écouter, comment entendre. Il est nécessaire d’être patient et surtout, être très authentique et sincère dans le travail effectué. Donner corps aux valeurs que nous défendons, non pas par verbosité ou endoctrinement pur, mais en marchant ensemble au coude à coude, par la fraternité et la solidarité de la lutte qui se déploie dans l’expérience quotidienne du travail social. Il n’est pas possible de développer le travail social, si je ne fais qu’interagir, discuter et fréquenter mes égaux « révolutionnaires ». A l’évidence, aucun-e militant-e ne combine toutes les qualités auxquelles nous nous attendons, mais c’est à partir de considérations collectives que nous précisons le sens. Plus de ce style militant existe, plus grande est la possibilité de parvenir à l’insertion sociale. Il ne s’agit pas d’idéologiser les mouvements, ni de les transformer en mouvements sociaux anarchistes, mais seulement de faire en sorte qu’ils réussissent à aller aussi loin que possible en direction des horizons révolutionnaires.

Jonathan Payn. — Depuis que j’ai rendu visite à la FARJ pour la première fois en 2005, vous avez ouvert dans l’organisation un nouveau front, que vous appelez Anarchisme et Nature. Brièvement, pourriez-vous décrire les activités, le foyer et la structure de chacun de ces trois devants, au-delà des mouvements sociaux avec lesquels ils travaillent ?

FARJ : Nous agissons dans les mouvements sociaux par l’intermédiaire de nos fronts. Le front des mouvements sociaux urbains agit principalement dans le Movimento dos Trabalhadores Desempregados « Pela Base ! » qui est un mouvement composé de sans-emplois, de sous-employé-e-s et de tous celles et ceux qui souffrent d’une forme quelconque de conséquences du mode d’organisation capitaliste. Le MTD-RJ Pela Base s’organise autour des besoins des communautés et des quartiers dans lesquels il est inséré.

Actuellement nous pouvons compter quelques noyaux, dans leur majorité insérés dans des communautés de la périphérie et des favelas de Rio de Janeiro. Dans le noyau du «Complexo dos Macacos» (Complexe des Singes) nous travaillons, essentiellement, sur l’éducation populaire ; nous sommes impliqués dans l’organisation d’un «pré-vestibulaire» [1, voir note en bas d’article], qui est un cours fait pour les étudiant-e-s qui ne peuvent pas payer les hauts prix des cours privés qui leur permettraient de se préparer aux examens d’entrée pour les universités publiques.

Ce noyau, qui est localisé à l’intérieur du Centre de Culture Sociale (Centro de Cultura Social), poursuit aussi un travail de réutilisation des vêtements et des chiffons, qui est organisé par une camarade qui avait l’habitude de vivre dans un squat qui fut un noyau du MTD-RJ, et qui a été expulsée il y a environ un an et demi. Le noyau du complexe de Penha travaille essentiellement sur la question culturelle, spécifiquement le hip hop. Il y a d’autres «pré-vestibulars» dans lesquels des membres du MTD-RJ militent, travaillant comme professeurs, localisé dans le complexe Maré. Et, à l’extérieur de la ville de Rio de Janeiro, nous avons un noyau dans la ville de Petrópolis, une région montagneuse de l’État de Rio de Janeiro ; ce noyau travaille sur la question du transport et du travail informel. Il y a beaucoup de choses à faire, les noyaux se consolident. Le plus important est que le MTD-RJ Pela Base a réussi à grouper des camarades divers, dont le principal horizon est l’anticapitalisme et l’organisation de mouvements toujours à la base, en cherchant l’autonomie complète par rapport aux gouvernements, aux partis et aux compagnies. À un moindre degré, le front des mouvements sociaux urbains agit aussi dans le Centro Acadêmico de História (Centre académique d’histoire) à l’université fédérale de Rio de Janeiro, au moyen d’un camarade étudiant. Créer une relation entre le mouvement étudiant et les mouvements populaires semble indispensable à n’importe quel projet de transformation sociale, bien que nous sachions que c’est n’est pas le travail facile.

Notre front communautaire est responsable de l’organisation du Centre de Culture Sociale (CCS-RJ), qui est localisé dans le quartier de Vila Isabel et s’occupe essentiellement de la communauté de Morro dos Macacos. À l’intérieur du CCS il y a des groupes et projets différents. La littérature et les ateliers de cinéma avec les enfants et les adolescent-e-s de Morro dos Macacos, un « pré-vestibulaire » comme mentionné au-dessus, qui est le travail collectif de trois groupes (MTD-RJ Pela Base, CCS et Luz do Sol), l’office d’éducation environnementale et de recyclage des matériaux, la vente de vêtements d’occasion à prix populaires pour la communauté, cours d’informatique et, enfin, la Bibliothèque Sociale Fabio Luz (Biblioteca Social Luz Fábio).

En ce moment, nous travaillons comme enseignant-e-s et aides dans le pré-vestibulaire, qui sert essentiellement à la communauté environnante ; dans l’organisation de la Bibliothèque Sociale de Fabio Luz (qui possède des archives qui vont de l’anarchisme à la littérature, la philosophie et les livres scolaires) et dans la littérature et les ateliers de cinéma avec les jeunes de la communauté. Dans le CCS fonctionne le Noyau de recherches Marques da Costa, responsable de la production d’articles et de recherches sur l’histoire du mouvement ouvrier et du mouvement anarchiste à Rio de Janeiro, où nous éditions aussi un bulletin appelé Emecê qui réunit des chercheur-euses. La première fonction du CCS n’est pas seulement d’être une référence pour les mouvements sociaux de Rio de Janeiro, mais d’ouvrir la voie aux initiatives autonomes et contribuer à la formation politique et sociale de la communauté qui est autour. Le CCS réalise modestement ces objectifs.

Notre dernier front, et le plus récent, appelé Anarchisme et nature, ou Agro-écologie, a été créé à partir du travail spécifique développé essentiellement à Seropédica (une ville rurale de Rio de Janeiro) et à Baixada Fluminense et du travail de ces militant-e-s dans le noyau de santé et d’alimentation Germinal qui, depuis quelques années, a organisé des activités dans le Centre de Culture Sociale (CCS-RJ), en soutenant aussi des activités communautaires reliées au mouvement des sans-abris et des agriculteurs urbains.

Ce qui a commencé avec la participation de nos militant-e-s dans les groupes agro-écologiques de la région (le Groupe d’Agriculture Écologique – GAE et Association de Producteurs Autonomes de la Ville et des Champs – APAC), a eu pour résultat la participation du front à des camps du MST (le Mouvement des sans-terre – Movimento dos Trabalhadores Rurais Sem Terra) avec des petit-e-s exploitant-e-s agricoles de la région. Le front intègre aussi, au moyen des mouvements dans lesquels il est inséré, l’Articulation d’agro-écologie de Rio de Janeiro (Articulação de Agroecologia do Rio de Janeiro – AARJ), qui est un réseau de groupes sociaux ruraux divers et de mouvements de l’État de Rio de Janeiro qui se battent essentiellement contre l’expansion de l’agrobusiness, des transgéniques et pour le renforcement d’initiatives agroécologiques. Nous pensons que l’agro-écologie peut devenir une alternative de rupture avec le capitalisme quand il est relié aux mouvements qui se battent pour la terre et pour le contrôle de la production dans les champs, à partir d’une perspective d’action directe.

Jonathan Payn. — Quelles sont les fonctions des fronts en ce qui concerne l’organisation spécifique et les mouvements populaires ?

FARJ : En relation avec l’organisation spécifique, les fronts ne sont pas des groupes à l’intérieur de l’organisation, mais des parties intégrales de la FARJ. Ce qui est en question dans la division en fronts, c’est plutôt de mieux organiser le travail militant. L’autonomie des fronts est effective, mais elle est subordonnée à la ligne stratégique définie collectivement dans notre conseil fédéral et liée aux principes et au programme de l’organisation. C’est fondamental pour que nous ayons les mêmes horizons de lutte. Sans cela, le travail serait impossible à faire et glisserait vite dans « l’activisme pour l’activisme », ce qui serait un gaspillage terrible d’énergie. Il arrive, par exemple, bien que pas très fréquemment, que les militant-e-s migrent d’un front à un autre ; soit après des demandes collectives de l’organisation, soit par suite de l’incapacité temporaire de ceux-ci à agir dans de certains espaces déterminés – ou par convenance. Les fronts ont surgi des besoins pratiques des mouvements dans lesquels nous opérons et des conditions dans lesquelles l’organisation fait marcher et coordonne les activités anarchistes dans ces espaces.

En ce qui concerne les mouvements populaires, nous avons l’intention fondamentalement de les renforcer ; dispersant par l’exemple, par la pratique politique et par l’éthique les principes d’autonomie, d’action directe et d’horizontalisme. Comme nous l’avons déjà dit, nous ne croyons pas aux mouvements sociaux « anarchistes », cela enlèverait aux mouvements la grande majorité des leurs militant-e-s et, à cause de cela, condamnerait l’anarchisme aux ghettos ou aux cercles limités. Cependant, répandre les valeurs libertaires c’est garantir que les mouvements ne sont exploités ni par les partis ni par les gouvernements, et qu’ils ne prennent pas non plus d’orientations réformistes. La réalisation des fronts va dans ce sens. Dans le travail pour que l’autonomie des mouvements et la combativité soient garantis ; et agir pour que les mouvements s’organisent chaque fois plus et atteignent des horizons révolutionnaires.

Évidemment, la diffusion de l’anarchisme dans les mouvements se produit naturellement au cours de notre pratique en tant que militant-e-s, même si ce n’est pas une fin, cela va dans ce sens, en respectant toujours les choix et les positions personnelles des militants qui les intègrent.

Jonathan Payn. — Travaillez-vous à l’extérieur de ces trois fronts ? Si oui, quel genre du travail ?

FARJ : Il y a quelques activités transversales que nous sommes en train d’intégrer, comme l’Université populaire, où différents camarades des fronts sont impliqué-e-s. L’Université populaire est un projet d’éducation populaire qui fonctionne fondamentalement avec des cours et des ateliers d’éducation sociaux et politiques dans les communautés, les noyaux de sans-emploi, les favelas, les occupations, les campements, etc. Il y a aussi ceux qui n’ont pas été nécessairement officialisés dans un front spécifique. Certains camarades sont impliqués dans leurs syndicats respectifs ou dans leurs entités étudiantes, mais priorisent toujours le travail qui leur a été confié dans leurs fronts respectifs. Nous n’avons pas officialisé de front syndicaliste, à cause des conditions ci-dessus décrites, mais c’est une possibilité ouverte.

Éviter une surcharge de travail est essentiel pour ne pas épuiser les militant-e-s. Évidemment, tout militantisme exige une certaine dose de sacrifice ; mais user les militant-e-s excessivement avec le travail qui n’est pas centré autour d’un objectif commun est une perte de temps complète. Il faut donc toujours s’interroger collectivement sur l’initiation de nouvelles activités. Dispersés nous sommes de moins en moins efficaces ; c’est pourquoi il est très important que les activités soient effectuées au sein des fronts. Il y a des tâches hors des fronts qui sont faites dans le cadre des secrétariats de l’organisation.

Nous ne considérons pas que cette activité soit proprement une activité de militantisme social ; mais nous choisissons de définir que chaque militant-e- effectue un travail externe (dans les fronts, c’est-à-dire le travail de ceux-ci dans leurs mouvements sociaux respectifs) et une activité interne (dans les secrétariats de l’organisation). Cela évite que dans un groupe, existe des personnes qui fassent seulement du travail interne, « idéologique » activités en grande partie confortables et libre des contradictions et contraintes des mouvements sociaux. Cela évite aussi que les autres aient une activité sociale et ne se préoccupe pas des tâches internes de l’organisation, qui sont très importantes. Il est impératif pour nous que tous les militant-e-s aient le contact direct avec une activité permanente dans les mouvements sociaux dans lesquels ils sont insérés et qu’ielles réalisent un peu de travail intérieur pour l’organisation.

Jonathan Payn. — En août 2008 vous avez adopté le document Anarquismo Social e Organização (l’Anarchisme Social et l’Organisation) comme votre programme. Pourriez-vous expliquer comment ce document a été conçu et le processus qui a conduit à son adoption ?

FARJ : Depuis quelque temps nous avions déjà fait des tentatives de systématiser des discussions qui ont émergé dans l’organisation. Ces réflexions ont été faites à partir de notre expérience de militantisme social pratiquée dans les fronts. Le programme a été constitué comme la formalisation de quelques idées, qui ne concernent pas seulement notre conception de l’anarchisme, mais aussi la récupération, tant historique qu’idéologique, des conceptions d’organisation qui constituent la trajectoire du mouvement anarchiste. Nous avions besoin aussi de mieux définir nos horizons et d’officialiser quelques méthodes, en résolvant des différences de conception et en systématisant des réflexions collectives.

Le processus de formalisation du programme a été fait non seulement à partir de l’accumulation de lectures collectives que nous avions faites ; ou encore de l’accumulation théorique, mais aussi des réflexions sur les fronts, leurs difficultés, leurs succès et leurs échecs dans le militantisme social. Le programme a surgi de notre pratique politique, soit dit en passant, mais extrêmement riche en contributions. Donc nous avons lancé une discussion intérieure, lors de laquelle nous avons distribué des responsabilités pour contribuer au texte « final ». La lecture de tout ce matériel, les contributions individuelles et collectives étaient un peu longues et fatigantes, mais importantes pour que nous parvenions à un horizon stratégique. Le travail était grand, d’autant que parallèlement à cela, notre militantisme ne pouvait pas être interrompu. Après beaucoup d’efforts et d’intenses discussions collectives, nous avons réussi à systématiser cette matière. Le point fondamental de ce processus était que nous avons réussi à grouper les militant-e-s de l’organisation, qui ont résolu les asymétries idéologiques et ont énormément contribué à notre autoformation.

Évidemment, nous avons bien envisagé que le programme n’était pas une clause écrite dans la pierre, ni une Bible sacrée. Nous avons considéré que quelques ajustements, résultant d’inexactitudes, pouvaient (et devaient) être faits plus tard ; c’est normal que cela arrive. Mais le plus important était d’apporter une contribution non seulement à notre pratique, mais à tout le mouvement anarchiste.
Sans aucun doute, nous pouvons dire que l’impact du programme fut beaucoup plus grand que nous pensions ! Ce qui nous a donné une grande satisfaction, mais d’autre part, nous imposa plus de responsabilités et nous fit également prendre conscience de nos tâches.

Jonathan Payn. — La FARJ a rejoint récemment le Forum de l’Anarchisme Organisé (FAO) au Brésil. Qu’est le FAO et quels sont ses objectifs ?

FARJ : Le Forum de l’Anarchisme Organisé est un forum qui réunit une série d’organisations spécifiques et de groupes anarchistes autour d’une vision commune de l’activité anarchiste organisée dans les mouvements sociaux et populaires. C’est un espace pour le débat et pour la mise en relation des organisations anarchistes, des groupes et des individus qui travaillent ou ont l’intention de travailler en utilisant les principes et la stratégie de l’anarchisme comme base.

Le but principal du FAO est de créer les conditions pour la construction d’une organisation anarchiste nationale au Brésil. Une tâche que nous savons ne pas relever du court terme, mais qui a besoin d’être commencée immédiatement. Le besoin d’un projet groupant au moins les anarchistes au niveau national est indispensable pour que nous puissions réussir à recapturer la force de proposition libertaire.

Jonathan Payn. — Quelles sont les implications pratiques de l’entrée de la FARJ dans le FAO ? Et pourquoi a-t-il fallu tant de temps pour que la FARJ adhère ?

FARJ : Pour l’heure, partager et au moins formuler des propositions générales. Discuter et débattre non seulement de nos pratiques politiques, mais de questions théoriques qui nous semblent importantes pour entreprendre des actions communes, en traitant les différentes réalités locales dans lesquelles les groupes opèrent.

Quand le processus du FAO a été lancé, nous avons choisi de construire notre organisation intérieurement et consolider notre travail, ce dont nous nous félicitons aujourd’hui, car nous avons pu mieux définir les questions stratégiques et le développement de notre pratique militante. Cela s’est produit, en grande partie, parce qu’il y avait des désaccords autour de questions pratiques à propos de l’activité d’une autre organisation anarchiste à Rio de Janeiro qui malheureusement, en plus d’avoir empêché notre entrée dans le Forum, a peu après rompu les relations avec le Forum et, après sa sortie, accusa tous les autres groupes et organisations anarchistes d’être « révisionnistes » et « éclectiques » (un terme curieusement adopté par Lénine dans beaucoup de ses textes). Ainsi, ils se sont réclamés d’une position théorique revendiquée comme « Bakouniniste », accusant Malatesta et Kropotkine d’être des penseurs « révisionnistes ». Parallèlement, nous avons tenu à rétablir le contact avec divers groupes et organisations anarchistes. C’est venu naturellement de la rencontre de nos militant-e-s dans les forums des formations de classe et des mouvements sociaux auxquels ielles participent. Les perspectives d’entrée dans le FAO sont devenues concrètes.

Il est important d’insister sur le fait qu’il y avait beaucoup de maturité politique chez tous ceux et celles qui étaient impliqué-e-s pour surmonter de vieilles questions. C’était essentiel pour résoudre des problèmes spécifiques et avancer autour d’une proposition commune. Il n’y a pas moyen de construire un forum national ou une organisation, si on n’est pas capable de discuter fraternellement de tous les problèmes qui surviennent face à cette tâche immense.

Nous pensons que le FAO était très du chemin parcouru, en parvenant à réunir les groupes et les organisations qui le composent maintenant. Il y a aussi la possibilité que d’autres organisations rejoignent le FAO très bientôt. De savoir qu’il y a d’autres camarades travaillant dans leurs localités respectives avec une perspective d’anarchisme organisé nous donne le grand espoir sur le chemin de la transformation sociale.

Jonathan Payn. — Au moins dans mon organisation et peut-être dans d’autres groupes de tradition plateformiste ou spécifistes, nous essayons sérieusement de trouver un équilibre entre le besoin de nous rapprocher et admettre de nouveaux militant-e-s dans l’organisation, en augmentant sa capacité et ses activités, et le maintien d’un certain niveau d’unité théorique et tactique. Pourriez-vous parler un peu du processus auquel la FARJ a recours pour se rapprocher de nouveaux membres et quelles sont les exigences pour rejoindre l’organisation, à la fois en tant que « militant-e-s » et en tant que « sympathisant-e-s » ?

FARJ : Eh bien, il est important de comprendre l’arrivée de nouveaux-elles camarades et le besoin de les intégrer dans la dynamique de l’organisation comme un « bon problème » pour une organisation politique anarchiste, une fédération publique, mais qui n’est pas complètement « ouverte », parce qu’elle a défini des critères, mais pas complètement rigides, pour ceux et celles qui désirent la rejoindre. Deux critères sont importants : développer le travail social et être en accord avec les positions de l’organisation.

Le rapprochement survient sous différentes formes. Les camarades peuvent nous connaître et travailler avec nous dans les mouvements sociaux, et à partir de ce travail, ielles peuvent finir par montrer de l’intérêt pour notre organisation. Nous constatons que c’est une des meilleures façons de se rapprocher de nouveaux membres, parce qu’il s’agit de la possibilité d’agir ensemble dans le travail social développé dans les mouvements, en leur donnant la possibilité de faire connaissance avec notre travail politique en pratique. Mais il y a des cas distincts, comme avec d’autres camarades qui nous ont connus par nos productions, comme le journal Libera, ou par les espaces anarchistes où nous agissons directement, comme le CELIP, à partir desquels ielles se sont intéressé-e-s à l’organisation à partir d’un lien strictement idéologique.

Il est important que le ou la camarades qui veut rejoindre l’organisation développe une activité dans les mouvements sociaux : chez les étudiant-e-s, dans la communauté, dans le syndicat, avec les sans-abris ou les sans-terre, les sans-emplois, les agriculteur-trice-s, etc. Nous considérons que les endroits où nous sommes actif-ve-s pour être certains des meilleurs endroits pour l’apprentissage.

Il y a aussi le cas de camarades qui, en dépit de la distance – que ce soit en dehors de l’État ou dans d’autres régions du pays – veulent soutenir la FARJ et y participer, et qui donc reconnaissent nos documents (surtout Anarquismo e Organização Social) et envisagent d’intégrer le cercle de sympathisants-militants de la FARJ.

Pour rejoindre le niveau des sympathisant-e-s, le ou la camarade manifeste généralement la volonté de soutenir l’organisation. Cette conversion procède de la discussion collective, lors de laquelle on parle, surtout du militantisme du ou de la candidat-e. Chaque fois qu’un nouveau ou une nouvelle camarade demande à entrer comme sympathisant-e, un-e de nos militant-e-s a la responsabilité de lui transmettre des documents et des textes qui cherchent à situer et à ôter les doutes du nouveau ou de la nouvelle militant-e, qui concernent à la fois notre formulation et notre pratique politique. Il est important de ne pas perdre nos acquis et de socialiser nos réflexions.

L’entrée dans le cercle de militant-e-s inclut de plus grandes responsabilités et un plus grand engagement, et est une conséquence du premier travail.
Cela n’arrive que lorsque le ou la camarade a déjà collaboré-e dans un des fronts comme un-e soutien et se trouve déjà au courant des discussions propres du mouvement social auquel il ou elle participe et du matériel de l’organisation. C’est important parce que cela évite le militantisme « aliéné » que nous sommes habitués à voir dans les organisations hiérarchisées de partis politiques électoraux et « révolutionnaires ».

Il est important que chaque militant-e anarchiste puisse appliquer la ligne politique de l’organisation et ait une préparation minimale au travail politique que l’organisation a l’intention d’accomplir. Ce ou cette camarade est intégré-e dans la FARJ dans la mesure où ielle déclare le vouloir. Donc, il est nécessaire d’établir un niveau de confiance, parce que le travail anarchiste ne peut pas être construit seulement avec une affinité théorique abstraite. Ce lien de solidarité, de respect et de confiance envers un camarade se forme dans la lutte, sinon l’unité est purement artificielle, ou pire, fondée seulement sur les liens affectifs, qui existent, nous le savons, dans toute organisation, mais qui ne peuvent pas être les critères objectifs d’une pratique politique. La dynamique est simple. Après un temps d’intégration dans le cercle de soutien, ces camarades peuvent rejoindre le cercle des militant-e-s de l’organisation s’ielles le désirent, assumant avec celui-ci leurs nouvelles responsabilités. Il est important que l’initiative d’entrer dans le cercle de militant-e-s vienne de la personne intéressée et soit approuvée par le collectif. Il est important de souligner que les nouveaux ou nouvelles camarades (qui vivent à Rio de Janeiro) seront intégrés dans la mesure où ielles participent au travail social et approuvent les propositions de la FARJ, mais jamais sur la seule base d’accords idéologiques qui ne résultent pas d’un accord avec la pratique politique de la fédération. Déjà, ceux qui vivent loin peuvent s’appuyer sur l’accord idéologique et la pratique sociale qu’ils développent dans leurs villes de résidence.

Nous savons qu’il y aura toujours une asymétrie de connaissances théoriques et pratiques et différentes aptitudes entre vieux/vieilles et nouveaux/elles camarades. Mais l’organisation, qui est toujours une construction collective et pas un ensemble d’individus, doit créer les conditions permettant de niveler les connaissances minimales nécessaires pour le travail social et politique. Les membres de l’organisation doivent aussi se préparer individuellement au travail théorique et pratique, aux deux niveaux, aussi bien social que politique.
Nous résolvons les asymétries collectivement en organisant des séminaires internes et en élaborant des textes collectifs à partir de lectures communes ou de discussions de groupe.

Jonathan Payn. — Pensez-vous que ces processus d’approche et de construction d’unité théorique et tactique, au-delà des critères pour entrer dans l’organisation, puissent varier selon les conditions sociales et politiques d’un endroit déterminé et de sa tradition libertaire ? Et comment ?

FARJ : Oui. Nous constatons que la réalité ne répond pas seulement à notre volonté et l’organisation doit être prête à agir dans différentes conjonctures et contextes, sans se bureaucratiser ou cristalliser des modèles qui ne s’appliquent pas aux réalités diverses auxquelles les anarchistes font face. Que ce soit au Brésil ou dans une autre partie du monde. Le Brésil est récemment sorti d’une période dictatoriale et est entré dans un régime censément démocratique. Et l’histoire des pays latino-américains est pleine de périodes de dictature. Ici même nous avons eu deux périodes de dictature, de 1930 à 1945 et de 1964 à 1985, et nous devons être conscient-e-s que l’histoire pourrait se « répéter ». Nous sommes conscient-e-s aussi que la réalité du militantisme dans notre pays – même dans un petit État par rapport au Brésil, comme celui de Rio de Janeiro – présente des différences et des particularités qui ne peuvent pas être négligées. Faire de la politique dans l’État de Rio de Janeiro, ou même dans Baixada Fluminense, une zone métropolitaine de la ville, c’est travailler dans un environnement plus hostile que celui qu’on rencontre dans la capitale de l’État.

Mais votre question est : comment faites-vous et comment adapter les critères d’approche et d’entrée à la nécessité de maintenir une unité théorique et stratégique ? Aussi bien en période de répression maximale et de répression minimale, et à la lumière des différentes traditions libertaires. Nous pensons que cela peut être considéré à la lumière d’expériences pratiques, telles que celle de la FAU (Federación Anarquista Uruguaya), qui a déjà traversé des périodes de dictature et des périodes de démocratie et a pu s’adapter pour ne pas cesser de construire son militantisme.

Et notre organisation est très jeune, elle a juste sept ans (nb en 2010) ; et de fait, en commençant notre militantisme dans une période de «re-démocratisation», nous agissions dans cette réalité, qui nous permettait d’éditer des journaux anarchistes, de mettre en place des activités dans les universités et les syndicats, etc. – des choses qui ne sont pas réalisables sous un régime dictatorial. Certainement, si la répression augmente, nous devrons faire tout ce travail d’approche et d’entrée dans l’organisation sur d’autres bases, moins publiques et moins ouvertes, de façon à garantir l’activité de l’organisation et la vie des militant-e-s.

Nous disons cela parce que cela ne sert à rien de ramasser un livre de recettes et d’essayer de l’appliquer intégralement à notre réalité. Un des critères fondamentaux pour qu’une organisation qui veut se maintenir suffisamment de temps pour pouvoir influencer la réalité est qu’elle doit savoir comment observer la conjoncture et à partir de cela adapter son action. Par exemple, dans la FARJ, nous avons pris du temps pour atteindre le niveau d’unité que nous avons aujourd’hui, mais nous ne croyons pas que l’unité moindre qui a exista au commencement fut une raison de scissionner. Une organisation qui prend forme, surtout dans les endroits qui n’ont pas de longue tradition de militantisme, a besoin d’être patiente. Nous défendons complètement le principe de l’unité théorique et tactique, mais si nous créons une organisation, par exemple, nous ne pouvons pas trop « serrer » la demande d’unité sans discussion étendue, car cela limiterait beaucoup le nombre des militant-e-s de l’organisation (comme dans beaucoup de groupes trotskistes).

Ainsi, il est nécessaire d’être patient : l’unité s’accomplit au cours du processus d’apprentissage, de discussion et, fondamentalement, de la pratique politique de l’organisation dans les luttes. Donc vous devez donner « le temps au temps », c’est-à-dire forger la base minimale d’unité pour unir un groupe de camarades de manière à lancer des discussions et le travail et, dans ce contexte, « resserrer » l’unité, l’organisation etc. Le militantisme est aussi une culture et les gens ne changent pas si vite. Ils et elles vont approuver les documents ou le travail de l’organisation et verront progressivement la nécessité de la discipline, de la régularité dans leur travail, de l’approfondissement théorique etc. Il n’y a aucun intérêt à ce qu’un nouveau ou une nouvelle militant-e arrive et que vous le fassiez « crouler » sous une montagne d’exigences, parce qu’ielle quittera très probablement l’organisation.

Cela doit être un exercice permanent de savoir combien on peut « serrer l’écrou », parce que, s’il est vrai que quand ce n’est pas très serré il peut y avoir des problèmes, si vous le serrez trop, il casse. C’est-à-dire que l’organisation devrait avoir à l’esprit une augmentation permanente de l’unité, mais toujours « serrer l’écrou » dans la mesure correcte, sans exagérer, ni manquer de le serrer.

Quelquefois il vaut mieux commencer avec les lignes plus fondamentales et continuer à développer la discussion en chemin, que d’essayer de fermer tous les pont trop au début. Finalement, nous devons dire que l’organisation et l’unité de l’organisation anarchiste doivent accompagner le travail dans les mouvements populaires. Il n’y a aucun intérêt à vouloir une organisation anarchiste avec un niveau maximum d’organisation et d’unité, s’il y a peu de luttes, si celles-ci sont très désorganisés, etc. Comme complément aux luttes des mouvements, l’organisation anarchiste doit accompagner son niveau de développement, sans jamais oublier la conjoncture ; avec une recrudescence de luttes sociales, il est naturel que l’organisation anarchiste doive s’y adapter.

Jonathan Payn. — Voudriez-vous dire quelque chose de plus ?

FARJ : Seulement souhaiter la force aux camarades anarchistes, surtout ceux de Zabalaza. Nous espérons que les mouvements sociaux autonomes avancent et que les groupes anarchistes et les organisations puissent contribuer modestement à la constitution d’un horizon de luttes qui ait des intentions révolutionnaires et que c’est la tâche des opprimé-e-s. Il y a encore la place pour les rêves dans le monde.

[1] Le «Vestibular» est un examen que passent les gens pour entrer à l’université. Les universités publiques au Brésil sont les meilleures et sont gratuites. Cependant, les personnes pauvres ont des difficultés à y entrer parce que généralement ceux qui peuvent y entrer sont celles qui ont étudié dans de bonnes écoles privées. Le cours «pré-vestibulaire» est une préparation pour les personnes pauvres, avec une base communautaire, pour qu’elles étudient et puissent, en passant l’examen «vestibulaire». Prévestibulaire est donc un cours préparatoire pour cette entrée. Un projet d’éducation populaire. (Note de Felipe Corrêa.) (Latin vestibulum «vestibule, entrée».)