Le mouvement féministe est aujourd’hui l’un des premiers contre-pouvoirs dans le monde. Lorsque les femmes se lèvent, c’est tout le peuple qui avance. Le féminisme ne peut se concevoir comme une force enserrée par des frontières, mais comme une lame de fond balayant l’ensemble des dominations ancrées dans chaque pays. Les récentes victoires et luttes du mouvement des femmes en Argentine ou en Pologne, ne sont qu’un aperçu de cette mécanique.

Le 8 mars 2020 une banderole géante Historicas était déployée par les manifestantes à Santiago du Chili. Quelques mois plus tôt, un hymne élaboré par ces femmes en lutte était adopté mondialement : «Le patriarcat est un juge qui nous juge à la naissance. Et notre punition est la violence que vous ne voyez pas.…».

Un avertissement repris, le 25 novembre 2019, par 2 000 chiliennes devant le ministère de la Femme et de l’Égalité de genre. Des centaines de millions de femmes le chanteront par la suite, dans la rue ou sur leurs réseaux, au Mexique, au Brésil, en France, en Inde, en Colombie, en Espagne, en Algérie, en Égypte, en Turquie, aux États-Unis. La puissance du mouvement des femmes dans le monde réside dans le refus commun de ces violences.

Depuis les années 2010 a émergé une forte mobilisation des femmes contre les violences machistes partout dans le monde. Elles ont réussi à sortir les violences sexistes et sexuelles de l’ombre et à mettre enfin sur le devant de la scène la parole des femmes. Dans leurs luttes réside le message que les femmes et minorités de genre ne sont pas la classe des victimes mais la classe de celles qui doivent résister.

Dans toute l’Amérique latine, de nombreuses manifestations sont organisées pour dénoncer les féminicides sous le slogan Ni una menos (Pas une de moins). Au Brésil, les femmes sont descendues dans la rue contre l’élection de Bolsonaro, reprenant Ele Nao (Pas lui).

Le 8 mars 2018, lors d’une rencontre au Mexique qui a réuni 8.000 femmes du monde entier, les femmes zapatistes ont affirmé la nécessité d’en finir avec le système capitaliste patriarcal. Leur message fait écho à la réalité vibrante du front des femmes du Kurdistan et à leur expérience au sein du confédéralisme démocratique. Le féminisme est en première ligne pour se battre dans ce monde globalisé parce qu’il a les capacités de fédérer. Il peut unir toute la classe des travailleurs et des travailleuses.

Le 8 mars 2018 au Tchad, les femmes ont manifesté leur soutien à la plateforme syndicale, dont elles étaient les premières membres. Massive mais brutalement réprimée, leur mobilisation a relancé le mouvement de grève dans la fonction publique. Quelques semaines après, le gouvernement tchadien était contraint de négocier.

Sans les femmes, aucune lutte n’est possible

Il y a cent ans, le 8 mars 1917, les ouvrières de Saint-Pétersbourg se mettaient en grève pour réclamer du pain et la paix. Leur soulèvement initiait ainsi un mouvement révolutionnaire historique. Le 8 mars de lutte et pour les droits des femmes était lancé.

En 2016, des grèves des femmes (du travail productif et reproductif) s’organisent en Argentine, en Islande, en Pologne. Elles vont imposer l’idée d’une grève internationale des femmes le 8 mars de chaque année. Son succès sera colossal en Espagne en 2018 et 2019, en Suisse en 2019 et au Mexique en 2020.

La solidarité internationale des femmes est autant une force qu’une voie de conscientisation. Les féministes libertaires de la CGT espagnole se sont nourries de l’expérience des féministes d’Amérique latine, de leurs slogans et modes d’actions, dans le déclenchement de la grève des femmes. Six millions de femmes y ont participé en 2018 et quasi autant en 2019. Peu de mouvement sociaux, ont rendu aussi populaire le principe libertaire d’unité : qu’une injustice contre l’une est une injustice contre toutes.

Le féminisme libertaire n’a pas d’histoire nationale. Il est né il y a 150 ans, au sein des luttes des communardes de Paris, avec Louise Michel. Il est né dans la lutte acharnée de la militante chinoise Hé Zen et de ses camarades au début du XXe siècle. Il est né dans les groupes locaux des Mujeres Libres qui ont uni jusqu’à 20.000 femmes à la fin des années 1930 en Espagne. Il est né fin XIXe, dans le Centre Féminin anarchiste en Argentine, animé par Juana Rouco Buela, Maria Collazo et Virginia Bolten. Il est né dans les mille vies d’Emma Goldman, et celle, plus courte de Voltairine de Clerc. Nous faisons partie d’une longue tradition de femmes anarchistes.

Féministes libertaires, nous considérons que les organisations populaires sont à la base du mouvement révolutionnaire. Elles sont à même de renverser le pouvoir et de reprendre les moyens de production, de décision, et d’organisation sur le territoire. Le mouvement féministe, en tant que mouvement de masse, de classe, international est en première ligne de ce processus.

Solidarité contre un patriarcat sans frontière

Un souffle féministe doublé d’un souffle libertaire parcourent le globe. Les féministes font le choix de l’action directe et délaissent l’action parlementaire. Dans de nombreux mouvements, elles s’organisent de manière horizontale  : les décisions sont prises sans l’autorité d’une seule. «Sans l’autorité d’un seul, il y a aurait la lumière, il y aurait la vérité, il y aurait la justice. L’autorité seule c’est un crime»  [1]. La démocratie directe s’impose, ses imitations bourgeoises s’effacent. Pour elles toutes, l’État n’est pas la solution mais une partie du problème.

L’avortement «est une revendication essentielle pour toutes les femmes et les personnes susceptibles d’enfanter au sein de notre classe, parce que ce sont les plus pauvres parmi nous qui avortent dans les pires conditions de clandestinité, et qui risquent ainsi de graves problèmes de santé, la prison et la mort.»  [2]Dans le monde, seuls une cinquantaine de pays autorisent l’avortement sans condition à remplir (hormis les délais légaux). La victoire du mouvement féministe argentin est celle des femmes d’en bas, pour leur droit de vivre. Il est le vœu le plus cher que nous souhaitons aux féministes de Pologne et d’ailleurs. «Que le féminisme soit une réalité pour les femmes d’en bas et que la lutte des femmes grandisse et se répande avec combativité, soutien mutuel et sororité dans tous les coins du monde». [3

«Nous nous voulons vivantes»

Notre féminisme est celui de «celles d’en bas», des classes populaires, c’est une lutte et non une libération, contre les pouvoirs racistes, patriarcaux et capitalistes. En cela le féminisme libertaire s’écarte de certains courants féministes libéraux européens qui ne pensent que la liberté individuelle et nient l’indispensable action des exploitées : un féminisme libéral qui cherche à s’imposer à l’international et tente de faire taire l’histoire des luttes féministes populaires.

Louise (UCL Saint-Denis)

Mensuel Alternative Libertaire, mars 2021