Regonfler les effectifs syndiqués, y raccrocher les salarié·es isolé·es, rassembler par-delà les divisions catégorielles (statuts, conventions collectives, sous-traitants…), c’est possible! C’est un des enjeux d’un « syndicalisme de branche » bien calibré. Quelques exemples probants.

Le « syndicalisme de branche », c’est la coordination de l’action syndicale à l’échelle de tout un secteur professionnel. Par delà les différentes entreprises, les différents métiers, les différents statuts, l’ensemble des travailleuses et travailleurs de ce secteur doivent avoir des revendications communes, pour ne pas se faire concurrence. C’est élémentaire, et c’est pour cela que les syndicats ont formé leurs premières fédérations par branche industrielle – Livre, Bâtiment, Rail, Métallurgie, etc. – il y a cent quarante ans.

Du point de vue syndicaliste révolutionnaire, l’organisation au niveau de la branche sert également un projet politique  : celui de la réorganisation postcapitaliste de l’économie. L’autogestion et la planification démocratique seront mises en œuvre par des fédérations industrielles dont les fédérations syndicales sont, aujourd’hui la préfiguration.

Il faut cependant, selon nous, corriger deux idées fausses au sujet du syndicalisme de branche. La première est qu’il ne se joue qu’au niveau national, que c’est « le boulot de la fédé », alors qu’on peut le faire vivre utilement au niveau local; la seconde est qu’il s’agit d’une formule absolue, qui doit supplanter tout autre périmètre d’organisation (par métier, par entreprise, par site…). L’expérience montre qu’il ne faut rien s’interdire, et prendre en compte les réalités vécues par les salarié·es (voir encadré).

La délimitation des fédérations syndicales selon les branches sont en effet parfois discutables ! Prenons l’exemple d’une activité en pleine expansion  : la logistique, avec ses centres de confection et tri des colis. Certains (Amazon, Alibaba ou la Poste) dépendent de la convention collective des activités postales, et les syndicats CGT y sont donc affiliés à la fédération postale. Mais ceux de Mondial Relay et de Geodis relèvent de la convention collective des transports, et sont donc affiliés à la fédération CGT des Transports! Il serait pourtant profitable qu’ils se retrouvent dans une même structure, pour espérer agir de concert.

Briser la division patronale

Le même problème touche le secteur ferroviaire où plusieurs conventions collectives se juxtaposent. Dès sa naissance en 1996, la fédération SUD-Rail a répondu à ce morcellement en faisant le choix de syndiquer toutes et tous les travailleurs de la branche, quel que soit leur statut (cheminot ou non) ou leur entreprise (SNCF, éventuelles compagnies concurrentes et sous-traitants).

Cependant, on sait que le réflexe premier d’une ou un syndiqué, c’est de s’occuper de ce qui se passe dans son propre service. Pour faire du syndicalisme de branche, il faut organiser des réunions regroupant des syndicalistes de tous les services et de toutes les entreprises de la branche, y aborder les problèmes de chacun et dégager une orientation commune, pour empêcher le dumping social. Cela peut paraître complexe, mais SUD-Rail y parvient, avec des réunions nationales dédiées à chaque métier  : le nettoyage des trains, le contrôle à bord, le personnel des gares, etc.

Dans le secteur de l’énergie, le syndicat CGT d’Enedis a choisi de créer des sections syndicales chez les sous-traitants. Au lieu qu’on ait un syndicat CGT par entreprise, on en a donc un seul, qui unifie ainsi la communauté de travail, brisant la division patronale. Et cela légitime la revendication d’une réintégration des salarié·es des sous-traitants dans l’entreprise historique. C’est la même logique que met en œuvre la CGT-HPE (Hôtels de prestige et économique)  : au lieu d’avoir un syndicat par hôtel, et un syndicat par sous-traitant, on a un syndicat unique qui se bat pour l’ensemble du personnel des entreprises hôtelières.

Ces exemples sont encourageants, mais dans bien d’autres cas, les structures existantes, pour des raisons bureaucratiques – des postes de permanent·es sont en jeu – n’évoluent que très prudemment. Comment délimiter au mieux les champs de syndicalisation ? En partant d’en haut, des découpages entre entreprises et des conventions collectives, entre les mains du patronat ? Ou plutôt d’en bas, depuis les lieux et des communautés de travail, sous la maîtrise des syndiqué·es ? Adapter le syndicalisme de branche aux besoins, c’est s’attaquer concrètement aux déserts syndicaux.

Une question d’abord locale

Cette question n’intéresse d’ailleurs pas que les fédérations ou les syndicats à un niveau national. Les militantes et militants locaux peuvent tout à fait s’en emparer. C’est le cas à Épinal où, avec l’assentiment de l’union locale, le syndicat CGT d’une grosse entreprise métallurgique Trane, syndique désormais au-delà de ses murs  : non seulement les salarié·es des sous-traitants, mais même celles et ceux qui bossent dans de petites boîtes métallurgiques du coin. Et ça marche! En réunion, on ne parle pas que de Trane, mais aussi des problèmes rencontrés ailleurs. Et on se conseille, et on s’entraide. Des syndiqué·es jusqu’alors isolé·es agissent désormais sur leur propre lieu de travail, et contribuent ainsi au combat pour une meilleure convention collective.

Pour revenir à la logistique, la question peut se poser d’un syndicat unique pour les différentes entreprises présentes sur une même zone d’activités. Ce qu’on appelle un syndicat de site. Celui-ci pourrait ensuite être rattaché à plusieurs fédérations, en fonction des conventions collectives. On aurait en tout cas unifié le collectif des syndiqué·es. C’est la priorité.


Syndicat de métier, de branche,d’entreprise, de site…

Regrouper les salarié·es pour se défendre, cela pose parfois des questions complexes. Quel est le meilleur périmètre former le syndicat?

  • sur la base du métier : par exemple, un syndicat qui groupe les livreuses et livreurs d’une même localité, quels que soient leurs patrons (Deliveroo, Uber Eats, etc.). Pratique pour grouper des travailleuses et travailleurs ayant une affinité forte sur la base d’une expérience commune.
  • sur la base d’une entreprise : là, le syndicat groupe toutes et tous les salarié·es d’une même boîte, quels que soient leurs métiers (livreur, cariste, secrétaire, logisticien…). Pratique dans les entreprises à gros effectifs, moins dans les petites unités.
  • sur la base d’un même site : là, le syndicat groupe toutes et tous les salarié·es d’un site d’activités (par exemple une galerie commerciale, un aéroport, une gare…), quels que soient leurs métiers ou leurs entreprises. Pratique pour grouper les salarié·es des petites et grosses entreprises.
  • sur la base de la branche : le syndicat groupe alors, sur la même localité, toutes et tous les salarié·es relevant d’un même secteur d’activité, par exemple la métallurgie, quel que soit leur métier, et quelle que soit leur entreprise. Pratique pour grouper les salarié·es des petites et grosses entreprises.
Roger et Simon (UCL Rennes), Michel (UCL Vosges)

Mensuel Alternative Libertaire, Mars 2021