Par AL Rouen
La guerre d’Espagne, ce fut aussi, durant les premiers mois, une immense vague de collectivisations d’usines et de terre, sous l’égide de la CNT-FAI.
En juillet 1936, les anarchistes ripostent au coup d’État du général Franco. La Généralité de Catalogne (gouvernement régional) refusant d’armer les ouvriers, la CNT diffuse le 17 juillet, par voie de tracts, des instructions de regroupement aux travailleurs. Le 18 juillet on apprend que le coup d’état est prévu pour le lendemain matin. La CNT prévient qu’elle va procéder à la réquisition des véhicules et des armes, tandis que les militaires se préparent au coup de force.
Le 19 juillet 1936, les ouvriers écrasent l’insurrection fasciste à Barcelone.
Cette victoire devant être mise à l’actif du mouvement libertaire, celui-ci se renforce encore et constitue la première force politique dans l’Espagne de 1936. Dès lors, c’est à une véritable révolution que l’on assiste, qui bouleverse profondément la vie de millions d’Espagnols. La collectivisation de très larges secteurs de l’industrie, des services et de l’agriculture constitua l’un des traits les plus marquants de cette révolution. C’est cette conception de la révolution que les libertaires devront défendre aussi bien face aux fascistes que face au gouvernement républicain où les Staliniens deviennent dominants.
Des collectivisations spontanées
Le mouvement des collectivisations démarre aussitôt après la tentative de coup d’Etat fasciste, en même temps que la constitution de milices qui vont arrêter pendant des mois l’avancée des troupes franquistes. L’expropriation et la collectivisation des terres, l’autogestion des usines ne se font pas pour défendre le gouvernement de Front populaire mais pour réaliser une révolution. Pendant quelques mois, l’État républicain n’existe plus que sur le papier.
« Nous les anarchistes, n’étions pas partis faire la guerre pour le plaisir de défendre la république bourgeoise (…) Non, si nous avions pris les armes, c’était pour mettre en pratique la révolution sociale » [1] Les collectivisations naissent spontanément de la part des travailleurs. Aucun ordre ni aucun comité n’est à l’origine de ce mouvement de collectivisation, comme le dit si bien Jose Peirats (1909-1989) : « Les collectivisations sont nées spontanément des travailleurs. Pour deux raisons : d’abord parce qu’on pouvait les faire, ensuite parce que la bourgeoisie, en s’enfuyant, a facilité le terrain. Et l’on sait que lorsque quelqu’un ouvre un nouveau chemin, tous l’imitent ; la collectivisation s’amplifia et devint réalité. »
À Barcelone, les comités dirigeants de la CNT, avaient lancé l’appel à la grève générale le 18 juillet 1936, mais sans donner la consigne de collectivisation. Or, dès le 21 juillet, les cheminots catalans collectivisaient les chemins de fer. Le 25, ce fut le tour des transports urbains, trams, métro et autobus, puis le 26, celui de l’électricité et le 27, des agences maritimes.
L’industrie métallurgique fut immédiatement reconvertie dans la fabrication de véhicules blindés et de grenades pour les milices qui partaient combattre sur le front d’Aragon. En quelques jours, 70% des entreprises industrielles et commerciales furent saisies par les travailleurs dans cette Catalogne qui concentrait à elle seule les deux-tiers de l’industrie du pays. [2] Le mouvement des collectivisations aurait concerné entre un million et demi et deux millions et demi de travailleurs [3] , mais il est difficile d’en faire un bilan précis : il n’existe pas de statistiques globales et beaucoup d’archives ont été détruites.
Dans les entreprises collectivisées, le directeur était remplacé par un comité élu, composé de membres des syndicats. Il pouvait continuer à travailler dans son ancienne entreprise, mais avec un salaire égal à celui des autres employés. Dans la plupart des entreprises à capitaux étrangers (le téléphone, certaines grosses usines métallurgiques, textiles ou agro-alimentaires), si le propriétaire (américain, britannique, français ou belge) demeura officiellement en place pour ménager les démocraties occidentales, un comité ouvrier prit en main la gestion.
Collectiviser pour gagner la guerre !
L’effort se concentrant sur l’industrie militaire, la production s’effondra dans les autres secteurs, entraînant avec elle une flambée de chômage technique, une pénurie de biens de consommation, un manque de devises et une inflation galopante. Face à cette situation, toutes les collectivités n’étaient pas égales. Fin décembre 1936, une déclaration du syndicat du bois, paru dans le Bulletin CNT-FAI, s’en indigna réclamant « une caisse commune et unique entre toutes les industries, pour arriver à un partage équitable. Ce que nous n’acceptons pas, c’est qu’il y ait des collectivités pauvres et d’autres riches » [4] .
Sans que personne, aucun parti, aucune organisation ne donne de consignes pour procéder dans ce sens [5] des collectivités agraires se formèrent également. La collectivisation concerna surtout les grands domaines, dont les propriétaires avaient fui en zone franquiste ou avaient été exécutés. En Aragon, où les miliciens de la Colonne Durruti dès la fin juillet 1936, impulsèrent le mouvement, il toucha presque tous les villages : la Fédération des collectivités regroupait un demi-million de paysans.
Rassemblés sur la place du village les actes de propriété foncière étaient brûlés. Les paysans apportaient tout ce qu’ils possédaient à la collectivité : terres, instruments de travail, bêtes de labour ou autres. Dans certains villages, l’argent fut aboli et remplacé par des bons. L’entrée dans la collectivité perçue comme un moyen de vaincre l’ennemi, était volontaire. Ceux qui préféraient la formule de l’exploitation familiale continuaient à travailler leur terre, mais ne pouvaient exploiter le travail d’autrui, ni bénéficier des services collectifs.