Par Théo Rival (AL Orléans)

TLPAT-20-fevrier_1979L’un des principaux apports à la naissance d’AL en 1991 vint de l’Union des travailleurs communistes libertaires (UTCL). Dix-sept années durant, cette organisation s’était efforcée de faire vivre une orientation libertaire contemporaine dans la lutte des classes.

Avant d’être une organisation proprement dite, l’Union des travailleurs communistes libertaires est une tendance au sein de l’Organisation révolutionnaire anarchiste (ORA) [1]. Dans la foulée de 1968, cette dernière avait su attirer à elle de nombreux jeunes rebutés par les organisations léninistes, trotskystes ou maoïstes.

Si l’on doit qualifier le projet politique de l’ORA, disons qu’elle cherche à construire une organisation pour « l’anarchisme ouvrier ». Aux références au marxisme de plus en plus assumées s’ajoute une volonté d’intervention en entreprise se traduisant notamment par l’édition de bulletins de boîtes. Deux d’entre eux vont durer : Le Rail enchaîné à la SNCF etLe Postier affranchi aux PTT. Animés par de jeunes salarié-e-s, ils témoignent de ce qui, aux yeux d’un certain nombre, fait la pertinence de l’ORA. À l’inverse, alors que s’éloignent les espoirs de révolution imminente, la majorité de l’ORA entame une évolution qui la conduira à rompre avec cette orientation ouvrière pour lui préférer un mouvementisme lorgnant du côté de l’autonomie italienne.

En 1974, de fortes grèves se développent dans les banques, aux PTT, à la SNCF. Trois secteurs où l’ORA compte des militants. Pour ceux qui animent Le Postier affranchi, la cause est entendue : c’est dans les luttes de masse, en s’appuyant sur l’intervention syndicale, que doit s’inscrire l’action des révolutionnaires. Ils sont rejoints dans cette analyse par d’autres, notamment cheminots. Un noyau militant est constitué. Il va se formaliser en une « tendance pour une UTCL » [2]. .

« Encore un groupuscule ! » (1976-1982)

La lutte de tendance au sein de l’ORA dure peu, tant les projets stratégiques et organisationnels diffèrent. Au congrès d’Orléans d’avril 1976, la minorité UTCL est exclue et la majorité de l’ORA se rebaptise Organisation communiste libertaire (OCL). Le premier numéro de Tout le pouvoir aux travailleurs, organe de l’UTCL, est déjà sous presse. Goguenard, l’éditorial titre : « Encore un groupuscule ! ». La rupture est consommée avec une OCL qui verse dans l’antisyndicalisme alors que l’adhésion à la CGT ou la CFDT figure dans les « Principes de base » adoptés au Ier congrès de l’UTCL, en 1978.

C’est en fait essentiellement dans la CFDT autogestionnaire que les membres de l’UTCL inscrivent leur action. Sous des formats et avec des régularités très disparates, les bulletins de boîte se multiplient : Le Postier affranchi aux PTT, Le Court-circuit à EDF, L’Éclateur à Air-France, Cheminots en lutte à la SNCF. Mais la jeune organisation doit vite faire face à la crise économique et à celle du militantisme.

Le début des années 1980 ouvre une période de reflux des luttes. Mai 68 est bien loin et la majeure partie de l’extrême-gauche périclite. Ce qui fait la force de l’UTCL – une implantation parmi les travailleurs et les travailleuses et le choix du syndicalisme comme alternative quotidienne à l’individualisme triomphant – fait aussi sa faiblesse. Difficile en effet pour l’UTCL de construire « l’organisation ouvrière pour le communisme libertaire » alors qu’elle n’a pas atteint une masse critique d’adhérentes et d’adhérents, et que parmi ceux-ci, nombreux sont ceux et celles qui reçoivent de leurs camarades de travail des mandats syndicaux qu’ils ou elles ne peuvent décemment refuser.

Cela n’empêche pas l’UTCL de mener un travail spécifique, en soutien aux luttes des travailleurs de l’Est par exemple. Il culminera avec l’organisation d’un colloque « 1921-1981 : de Cronstadt à Gdansk, 60 ans de résistance au capitalisme d’Etat » auquel interviendront notamment des syndicalistes dissidents d’URSS, les vétérans Ante Ciliga et Marcel Body, les historiens Marc Ferro et Daniel Guérin, ce dernier étant lui-même membre de l’UTCL.

Une « Alliance bakouninienne involontaire » (1982-1991)

En mai 1982, le titre Lutter ! succède à Tout le pouvoir aux travailleurs. Dans sa presse comme dans l’organisation, les analyses stratégiques sur l’intervention dans le syndicalisme et en entreprise tiennent le haut du pavé.

Bien sûr l’UTCL mène encore des campagnes publiques : en soutien au peuple kanak, aux luttes de l’Est, pour le bicentenaire de la révolution française ou contre la guerre en Irak. Mais la réalité de l’organisation UTCL est de plus en plus celle d’un réseau de syndicalistes aguerris connu surtout des milieux « avertis ». Dans son testament politique de 1991, l’UTCL devait à ce sujet se qualifier, non sans humour, d’« alliance bakouninienne involontaire », en référence aux sociétés secrètes prisées par le célèbre anarchiste russe.

Témoignage de son influence dans ce domaine, un colloque organisé en 1986 par l’UTCL sur le syndicalisme révolutionnaire voit passer 400 participantes et participants dont bon nombre seront, quelques années plus tard, des figures du syndicalisme alternatif SUD, SNPIT ou CRC [3]. .

Le réseau UTCL combat le recentrage de la CFDT qui troque alors l’autogestion pour le syndicalisme de négociation. C’est dans ce cadre qu’est rédigé le Projet communiste libertaire, épais document [4] adopté lors du IVe congrès de l’UTCL en mars 1986. Le concept d’« animateur anti-autoritaire de lutte » y est notamment défini en alternative à l’avant-gardisme. Cette proposition va trouver à s’appliquer très rapidement dans les coordinations de grévistes de l’hiver 1986-1987, dans lesquelles s’investissent fortement les militants de l’UTCL. Et si les luttes reprennent, les formes militantes évoluent avec… de gré ou de force. Ainsi en 1989, les syndicalistes suspendus par la direction CFDT créent le syndicat SUD aux PTT [5].

Cette même année, l’UTCL engage le processus qui mènera à son autodissolution et à la création d’Alternative libertaire. La forme UTCL aura vécue. Elle aura en tout cas permis, en plus des amitiés et des parcours communs, de souder un collectif militant dix-sept années durant, et de construire une cohérence stratégique et politique qui constitue un legs considérable pour le mouvement libertaire contemporain.

[1] Sur l’ORA, voir l’entretien avec Rolf Dupuy et Guy Malouvier dans Alternative libertaire de mai 2008.

[2] Les dix-sept années de l’UTCL, bilan collectif rédigé en 1991 pour le Ve et utlime congrès de l’UTCL,disponible sur Raforum.info

[3] Lire « 1988, des moutons noirs fondent SUD-PTT » dans Alternative libertaire d’octobre 2008

[4] Voir la réédition partielle de ce texte aux éditions d’AL : Un projet de société communiste libertaire.

[5] Patrice Spadoni, « Rayon de SUD, les dix ans de SUD-PTT », entretien avec Annick Coupé et Martine Donio, dans Alternative libertaire de janvier 1999.

Source :http://www.alternativelibertaire.org/spip.php?article4308