Par Féminisme Libertaire Bruxelles
Politisée au sein des mouvements étudiants, Zola est une street artist montréalaise féministe, anticapitaliste et queer. Ses œuvres traitent de la répression policière, des luttes anticoloniales, de la diversité des corps et de la solidarité. Elle représente des drapeaux noirs et mauves, des militantes insurectionnelles et visibilise certaines luttes comme les mobilisations contre le projet colonial des pipelines. Nous avons souhaité en savoir plus sur sa militance, son parcours, sa vision du street art (un art éminemment genré) et sa contribution aux mouvements sociaux. Interview.
1. Comment te décrirais-tu pour faire connaissance dans un premier temps?
Le nom de zola est associé à ma pratique de street art, et un peu par extension à mes réseaux militants. Je suis militante activiste depuis environ quinze ans et je fais du street art depuis dix ans. J’ai commencé à m’impliquer dans le mouvement étudiant, et je lui dois beaucoup. Je suis née à Montréal et j’y habite. J’adore ma ville mais j’adore aussi la nature et passer du temps dans le bois. Je suis blanche, je suis queer, je suis financièrement correcte. Je viens d’une famille intellectuelle et j’aime beaucoup analyser les gens et les choses qui m’entourent. Je suis de nature réservée et je vis mal avec le fait d’être « connue »! Je ne serais pas grand chose aujourd’hui si ce n’était de tout ce que j’ai appris de mes ami-e-s qui luttent pour un monde libre. Plus je vieillis, plus je m’investis dans des projets militants de longue haleine et de politique préfigurative, mais mon cœur reste insurrectionnel. Et P.S. j’hais l’astrologie!
2. Quelles sont les causes ou les luttes dans lesquelles tu t’investis en tant que militante ? Quelles thématiques politiques traversent le plus ton travail ?
Je dirais que les deux thématiques transversales à mon travail sont l’anticapitalisme et la diversité des corps (genre, origine), qui sont toujours présentes. Depuis plusieurs années, j’ai concentré mes efforts pour soutenir des luttes antiracistes et anticoloniales locales donc on pourrait dire que c’est deux champs militants où je suis présente, mais ça ne se retrouve pas systématiquement dans ma pratique de street art.
3. Comment es-tu devenue féministe ?
Je crois que je suis devenue féministe en développant mon empathie pour l’injustice vécue par les autres, plutôt que la mienne. Même encore aujourd’hui, je vais fermer les yeux sur les microagressions que je vis en tant que femme. Mais aussi parce qu’au Québec en tant que queer blanche, francophone et de classe moyenne, je ne m’en tire pas trop pire. Le féminisme intersectionnel a vraiment aidé à faire comprendre le rôle complexe de l’oppression dans nos sociétés industrialisées, et c’est surtout à travers cette analyse que j’ai développé ma compréhension du politique autour de moi.
4. Quel est ton parcours artistique ? Comment as-tu commencé à pratiquer l’art de rue et qu’est-ce qui t’a donné envie d’explorer cette technique ?
Je n’ai jamais eu assez confiance pour placer l’art au devant de ma vie, mais j’ai toujours été passionnée et créative, alors le street art était comme une option de deuxième vie artistique où j’avais la liberté d’expérimenter, de me tromper, et où je n’avais rien à perdre (sauf mon casier judiciaire vide!). J’ai essayé quelques médiums différents avant de trouver le yarnbombing avec lequel j’ai développé des super beaux projets collectifs féministes durant plusieurs années. Puis je crois qu’un jour je sentais que j’avais fait le tour de ce que le yarnbombing pouvait offrir au plan conceptuel et je faisais face à un mur sémiologique parce que ma vision radicale du médium n’était pas bien connue et on faisait souvent face à des problèmes d’interprétation. Alors je me suis tournée vers un médium plus figuratif!
5. Selon toi, en quoi la pratique du street art est aussi un projet féministe ?
À un certain niveau, je crois que toute femme ou personne issue des minorités de genre qui fait du street art ou du graff fait un geste féministe, parce que c’est un milieu considéré masculin et qu’il y a de la discrimination et que la culture du viol et la misogynie y sont très présentes. Mais après ça, tout le monde va avoir une position et une interprétation différente et il y a beaucoup de monde qui n’est pas politisé ou qui a une vision libérale des enjeux. Les plus militantes ne vont pas s’identifier comme artistes et vont y voir de l’action directe et de l’agitation propagande, et les moins militantes vont dire quelque chose comme « je m’exprime donc je suis ». Il y a une diversité, ha! Je suis définitivement plus du bord de l’agit prop.
6. Sur quels projets travailles-tu actuellement ?
Ça fait un bail que je n’ai pas mis de temps sur mes trucs plus personnels qui ne sont pas associés à des campagnes ou des projets politiques collectifs. J’ai fait presque juste du travail de solidarité anticoloniale depuis 6 mois, qui ne se retrouve pas nécessairement sous la forme typique d’un wheatpaste, comme des illustrations web, des bannières, de la sérigraphie et de la distribution de zines et d’info. Je suis quand même très contente et honorée qu’on se réfère à moi pour des supports visuels à la mobilisation, ou pour n’importe quelle opportunité d’aider les luttes de libération autochtone.
7. Quelles sont tes sources d’inspiration esthétique et politique ? Existe-t-il des graffeuses qui influencent ton travail ?
En général c’est plutôt des camarades miliant-e-s avec qui je collabore pour les visuels des campagnes politiques qui vont diriger mon travail, mais côté artistes et street, j’ai toujours adoré You Go Girl!, Escif, Banksy, le travail de Dignidad Rebelde et les artistes du collectif JustSeeds. Je suis aussi souvent très inspirée des pièces de street art anonymes, des action de graff locales ou des bannières à caractère humoristique. Sur le plan du discours, je dois quand même beaucoup à mes amis de Sub.media et j’essaye de suivre du plus près possible Solidarité Sans Frontières, Tadamon! et le camp Unist’ot’en.
8. Que souhaites-tu susciter chez les passant-es, transmettent à la société ?
Quand j’ai commencé ma série de portraits de femmes masquées, je voulais rendre visible la diversité des personnes qui pratiques le black bloc. En partie pour encourager la lutte active, donner une deuxième vie aux manifs et aux émeutes à travers l’art de rue, et aussi pour renforcer l’identité militante de la ville après la grande grève étudiante de 2012. Depuis, je continue ce projet à long terme mais je fais aussi beaucoup d’interventions qui s’associent directement à des campagnes politiques locales.
9. Peux-tu nous expliquer en quoi consiste la technique du street art que tu as développée ?
Le wheatpaste est un médium simple et accessible. Suffit de peindre sur du papier mince et de le coller aux murs avec une colle fait maison à base de farine et d’eau. Souvent mes matériaux viennent du dollarama (tout mes pinceaux) ou des poubelles (vieux pots de peinture, papiers), mais j’aime bien me payer un bon marqueur acrylique. J’essaye de mettre le moins d’argent possible dans ma production street art parce que déjà c’est beaucoup d’heures de travail. Je prépare mes illustrations digitalement d’après photo, et après je les transfère sur papier avec un projecteur. Ce qui convient le mieux à mes forces, plutôt que de dessiner ou de peindre freehand. Le wheatpaste permet aussi d’échanger des œuvres et des posters entre camarades et artistes, et j’aime aussi beaucoup installer des trucs de personnes de l’extérieur de la ville pour elles ou faire des soirées de collage à plusieurs artistes.
10. Quelles difficultés rencontres-tu quotidiennement en pratiquant l’art de rue ?
Il y a toujours le risque de répression policière, surtout avec le contenu de mes œuvres, qui pourrait me mettre plus dans le trouble. Sinon évidemment, sortir la nuit a aussi son lot de risque d’agressions genrées, mais ma ville est plutôt safe et je n’ai jamais eu de problème. Aussi, je dirais que plus je vieillis, plus je garde cette pratique secrète de certaines sphères de ma vie, ce n’est pas toujours très compatible.
11. La domination masculine dans le milieu du street art entrave-t-elle l’expression de ton art ? Le chemin de la reconnaissance est-il dédoublé quand on diffuse des slogans féministes ? À quoi faut-il éventuellement se préparer en tant que femme ?
Pour un cheminement qui rechercherait la reconnaissance du public général, oui absolument la domination masculine est un gros enjeux. Moi, je reste plutôt dans les milieux alternatifs et féministes et je ne m’intéresse pas aux opportunités de festivals ou d’expositions. Donc c’est moins un problème. Je suis pas mal choyée par les communautés militantes. Mais mes œuvres représentent souvent des corps de femme et j’en vois plusieurs recevoir de la violence par des petits writers au pénis énervé. C’est le risque de mettre quelque chose sans protection dans l’espace public, ça prend juste une personne qui manque de respect pour diffamer l’œuvre. J’ai aussi côtoyé des femmes et personnes queers qui en arrachait pour avoir la même reconnaissance que leurs similaires hommes. Ça se voit partout, et les milieu du graff et du street art sont tous deux rampants de machisme.
12. Aurais-tu des conseils à donner aux militantes qui souhaiteraient se lancer dans la pratique du street art ?
N’attends pas après personne. Tu as des idées, des choses à dire? go. Il y a très peu de gens qui font du skillshare dans ce milieu alors il faut apprendre soi-même et être aventureuse. Aussi je conseillerais autant aux militantes qu’aux artistes de se retrouver davantage dans des projets communs.
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