Par Julien Alinsky, Alex Hypate et Gary Doquié, militants syndicalistes FGTB
En cette veille d’élections, on s’intéresse beaucoup au petit monde de la gauche, et particulièrement à notre syndicat, la FGTB. Ce qui captive, c’est de savoir pour qui notre cœur balancera au jour des élections. Enfin… on ne s’intéresse pas tellement aux travailleurs en tant que tels : ce qui est attendu, c’est le nom du parti pour lequel les bonzes syndicaux vont appeler à voter. Ou à ne pas voter. Pendant ce temps, les partis jouent la surenchère : PS par-ci, PTB par-là… Et nous, les syndicalistes, sommes les moutons à convaincre. Exaspérés par ce débat où deux partis vont potentiellement se partager des voix à gauche, notre collectif de syndicalistes a décidé de faire entendre sa voix : il est temps d’en finir avec le syndicalisme de parti !
En finir avec le syndicalisme de parti
Réalité à la belge dont la FGTB n’a malheureusement jamais su sortir, c’est cette idée selon laquelle le syndicat a besoin d’un allié politique. Pourtant, on en a tenté des émancipations. Ainsi, à la création de la FGTB en 1945, il y existait une volonté entre les nouveaux syndicats apparus pendant la guerre et les syndicats inféodés à l’ancêtre du PS (le POB) de créer une fédération large des travailleurs et autonome de tout parti politique. La déclaration de principes fondatrice de notre syndicat est toujours en vigueur, mais cela fait longtemps que l’autonomie s’éloigne. L’épuration par la social-démocratie des courants politiques alternatifs comme l’anarchisme et le communisme a bien aidé.
Ce sujet est cependant souvent revenu sur la table. Dernièrement, l’initiative de la FGTB carolo avait pour objectif de mettre fin aux liens privilégiés avec le PS, mais sans aboutir à une véritable déclaration d’autonomie. La notion d’un syndicat sans parti politique allié a décidément la vie dure…
Il est temps qu’on comprenne, au sein même de la FGTB, qu’avoir un allié politique privilégié est un danger. Construire des fronts de luttes avec des diverses organisations, syndicales, associatives, partisanes : pourquoi pas. Mais quand il s’agit d’élections, ça devient un énorme problème. Nous avons parmi nos fonctions la lutte pour l’amélioration immédiate des conditions de vie des travailleurs. Ce qui veut dire que nous devons défendre les intérêts des travailleurs, ceux qui nous composent, contre le patronat… mais aussi contre l’État, qui plus que jamais, reste à l’heure actuelle un outil aux mains des classes économiques dirigeantes.
Dans une société capitaliste, les intérêts de l’État et du patronat convergent souvent, quel que soit la couleur du parti en place. Les « trahisons » de la social-démocratie envers les travailleurs ne sont pas causées par des personnes mal intentionnées : c’est un effet du parlementarisme. Celui-ci tend à rendre les partis dépendants d’autres facteurs que leurs simples « valeurs morales », c’est une constatation, certes triste, mais matériellement logique.
Non pas que les parlementaires sincèrement de gauche n’existe pas! Mais nous ne pouvons, sur base de cette croyance, remettre en cause notre autonomie vis-à-vis des partis. Un parti au parlement n’est pas indépendant de l’État. Si nous sommes alliés à ce parti, nous perdons notre autonomie face à l’État. L’existence et le bon fonctionnement d’un contre-pouvoir est une barrière nécessaire à toute dérive dictatoriale.
La vie sous l’austérité nous a montré ce qu’était être un syndicat avec un gouvernement socialiste. Il rappelle les heures de Mitterrand en France : on a beau avoir un gouvernement de gauche, il n’empêche qu’il peut devenir l’ennemi des travailleurs.
Ce syndicalisme de parti vient d’une vieille idée, partagée autant par les sociaux-démocrates que par les héritiers du marxisme-léninisme. Une vieille idée selon laquelle il faut diviser le travail entre le syndicat et le parti. Le premier s’occupe des affaires économiques, le second de politique. En gros, il y a primauté du parti sur le syndicat, puisque le parti est détenteur du « projet socialiste » (qu’il soit révolutionnaire ou non). Dans cette théorie, le syndicat devient donc la masse qui votera – ou qui fera la révolution – en faveur d’un parti frère : le syndicat est trop bête pour penser tout seul. Penser, c’est l’apanage des politiciens.
Là aussi, la FGTB a tenté de s’émanciper de cette conception après la Deuxième guerre mondiale. La déclaration de principes affirme un projet socialiste à part entière. Elle n’a pas besoin du parti pour le penser. Pour elle, le socialisme, c’est la fin du salariat, la mise en commun des moyens de productions, etc.
Ainsi, la FGTB peut penser une société socialiste toute seule ! Qu’on imagine aucune opinion corporatiste de notre part : le syndicat doit s’occuper de politique. Mais il n’a pas besoin d’un parti pour cela.
Pour une démocratie syndicale !
Ne soyons pas dupe : comment le PTB a-t-il pu devenir une alternative au parti socialiste pour la FGTB ? « Il est plus à gauche » disent certains… mais de quel point de vue ? En terme de programme électoral, probablement. Une fois élu, faudra voir. Mais l’est-il dans les actions dans les entreprises ? Propose-t-il des opinions plus combatives que ceux de la bureaucratie syndicale là où on licencie ? Est-il plus tenace dans les luttes que les permanents syndicaux déclarent perdues ?
La réponse semble bel et bien non. Non pas que des délégués affiliés au PTB ne soient pas combatifs. Mais le parti a-t-il une critique des défauts de notre maison ? De la mollesse de « nos » apparatchiks ? Non : le PTB a décidé d’abandonner sa critique de la bureaucratie syndicale depuis longtemps. Pourquoi ? Parce que le petit parti caresse l’espoir de remplacer le PS à l’heure où les bonzes syndicaux appelleront à voter, dans la typique tradition du syndicalisme belge. Une orientation électoraliste douteuse pour le bien-être des travailleurs !
Les travailleurs doivent reprendre en main leur outil qu’est le syndicat. Notre organisation s’est sclérosée, la démocratie est devenue opaque. Les délégués élus lors des élections sociales reçoivent un mandat syndical qui appartient aux centrales… et non plus aux travailleurs qui ont élus leurs représentants !
On a d’ailleurs encore pu voir ce déficit démocratique lors des dernières affaires au SETCA-Bruxelles : les hautes sphères syndicales sont prêtes à rentrer dans l’illégalité afin de faire taire des permanents qui s’offrent le luxe de dire ce qu’ils pensent juste. Combien d’assemblée générale de nos régionales et nos centrales sont-elles vraiment souveraines ? Combien de fois il n’y a aucun vote dans la sélection des plus hauts postes, où on se contente d’applaudir le candidat bonze, lui-même présenté par d’autres bonzes ?
En ces temps de réorientation de la gauche, ne remplaçons pas la bureaucratie social-démocrate par une bureaucratie post-stalinienne : débarrassons-nous en ! Faisons de notre FGTB un syndicat de masse, de lutte des classes et autogéré à la base !