par San vincente (AL Bruxelles)
« L’antifascisme, c’est la défense du système capitaliste », voilà une assertion qui ne surprendra plus personne et ce même dans les milieux progressistes. Ce genre de réflexion étant l’une des charges classique des fascistes pour jeter l’anathème sur les actions s’opposant à eux. A l’heure où la bête immonde semble s’éveiller peu à peu des caves où l’histoire l’avait relégué. Alors cette attitude peut sembler inquiétante, revenons dès lors quelque peu sur les raisons d’un tel délaissement.
L’instrumentalisation, la peste de l’antifascisme
Les critiques de « gauche » envers l’antifascisme ne sont ni récentes, ni dénuées d’un certain fondement. Déjà lors de la montée des fascismes historiques, des fractions de la gauche refusaient de reconnaitre le danger que représentait la montée des partis fascisants. On peut citer le cas du KAPD qui refusa jusqu’à la prise du pouvoir de notre petit peintre moustachu raté de considérer le nazisme comme une menace pour la classe ouvrière. Cette partie du mouvement ouvrier refusa jusqu’au bout d’abandonner les attaques contre la social-démocratie ou les bolchéviques qu’ils considéraient comme les premiers ennemis du prolétariat, Hitler étant vu comme un épouvantail qui servait à détourner les ouvriers de leur véritable lutte contre l’Etat bourgeois. Et ici, on peut leur donner en partie raison car comment ne pas tressaillir de dégoût quand on voit que la lutte contre les fascismes ont justifié les alliances les plus contre nature. Les alliances justifiées par la résistance furent en définitive ce qui permit de sauver le capitalisme européen de la crise de 29 en instaurant l’Etat social et le compromis fordiste. Combien de partis communistes n’ont-ils pas désarmé les masses ouvrières qui à la sortie de la guerre voulait encore une fois se jeter à l’assaut du ciel ? Justement au nom du compromis antifasciste ? Alors oui, il existe nombre de raisons de tressaillir de dégoût face à cette pratique de cet antifascisme-là sans même avoir à observer l’utilisation du FN par François Mitterrand pour se maintenir au pouvoir dans les années 80. Cela signifie-t-il que l’antifascisme est ontologiquement de nature bourgeoise ? La question est la même que pour les syndicats, ces organisations sont-elles fondamentalement révolutionnaires ou fondamentalement des outils au service du système ? C’est une question de rapport de force au sein de ceux-ci. Si on les laisse aux mains des réformistes et des bureaucrates, ceux-ci transformeront les organisations syndicales en armes contre la classe ouvrière. Il en va de même pour la lutte antifasciste. Si la résistance fut le momentum de l’abolition de l’autonomie de la classe ouvrière et son intégration étatique, c’est aussi faute d’opposition interne suffisamment forte. J’irai même plus loin en affirmant que la lutte antifasciste peut contenir les germes pour devenir une occasion de rupture avec le capitalisme.
L’antifascisme comme opportunité
Ce n’est pas tant dans la lutte antifasciste même que dans les modifications du contexte de la lutte des classes qu’il faut percevoir les faiblesses pour le système capitaliste, faiblesses causées par la montée en puissance de la vague de fond du fascisme. La montée d’un tel mouvement est significative d’une crise de confiance dans l’Etat « démocratique ». Cette crise apparait dans le chef que ce soit dans les éléments de la grande bourgeoisie qui est prise de doutes dans la capacité de l’Etat classique de défendre ses intérêts (non pas contre une classe ouvrière combative car l’une des conditions sine qua non de l’apparition d’un mouvement fasciste est justement la disparition de cette capacité de la classe ouvrière à se poser comme alternative). La petite bourgeoisie et classe moyenne se retrouvent à grossir les rangs des légions de déclassés. Ceux-ci se mettent à rêver d’un retour en arrière de la société, d’une époque dorée ou l’Etat-nation fort leur assurait un âge d’or fait de prospérité. Leurs songes sont d’instaurer un Etat autoritaire qui pourrait leur assurer de rétablir l’Ordre. L’Etat démocratique qui était le siège du consensus social se vide peu à peu de sa substance. Or cela représente la première opportunité pour un mouvement révolutionnaire car je ne m’attarderai pas à démontrer que la démocratie bourgeoise est l’un des plus grands obstacles sur le chemin de l’émancipation prolétarienne. Cependant, sa faculté de dissolution et de mystification des intérêt de classe se dissipe pour de nombreuses personnes avec les velléités autoritaires d’une part grandissante de la bourgeoisie.
La montée d’un réel mouvement fasciste provoque parallèlement une montée exponentielle de la tension entre les différentes composantes de la bourgeoisie. Ainsi, certains secteurs du grand capital soutiennent l’ascension des fascistes car ils voient d’un bon oeil leurs projets protectionnistes. Les secteurs fondant leurs profits sur le libre marché s’y opposent pour les raisons inverses. La montée en puissance des partis fascistes c’est aussi la démonstration d’une crise de confiance de la bourgeoisie envers son personnel de la gestion politique classique. De même, l’hostilité est énorme entre ce même personnel et les déclassés fascistes qui veulent investir l’Etat et le nettoyer pour le remettre au service du « peuple ». Ces dissensions entres les composantes de la bourgeoisie représentent une autre craquelure dans l’armature de la société bourgeoisie. Il advient au prolétariat révolutionnaire de se saisir de ce moment de faiblesse pour abattre le système capitaliste.
L’un des points critiques d’un mouvement révolutionnaire est le moment où ce dernier devra assumer son autodéfense face aux forces de la réaction mettant à mal les acquis ou le processus révolutionnaire de la classe ouvrière. Ce moment critique fut le chancre de nombreux mouvements de contestation. La volonté de rentrer en conflit ouvert avec l’appareil de répression bourgeoise n’est pas quelque chose de facile. Cependant, c’est là qu’intervient le climat de guerre civile provoqué par la montée des partis fascistes et leurs hordes de nervis qui investissent les rues. L’affrontement est plus facile à imaginer dans la mesure où cet Etat est rentré en crise de confiance.
A travers ces quelques pistes de réflexion on peut entrevoir les possibilités qu’offrent une lutte antifasciste radicale et révolutionnaire. Cependant, la lutte antifasciste n’est pas seulement une opportunité mais bien surtout une impérieuse nécessité pour le prolétariat. Nécessité car l’une des conséquences de l’avènement d’un régime fasciste est de couler une chappe de plomb sur la lutte des classes. De plus avec un tel régime et son lot d’atrocités, la résistance se fait de manière interclassiste car l’unique but envisageable ne peut être que la chute du fascisme. Par là même, en cas de chute du régime, l’avènement d’un nouvel Etat social démocrate est inévitable. L’antifascisme doit donc être pour tout mouvement se voulant révolutionnaire une priorité absolue.