ImageFace à face se trouvent les deux défenses ennemies : la barricade du peuple et la tranchée militaire. La barricade montre au soleil son énorme masse irrégulière et paraît fière de sa difformité. La tranchée militaire fait valoir ses lignes géométriques et sourit de sa rivale contrefaite. Derrière la barricade se tient le peuple insurgé, derrière la tranchée se trouve la milice.

─ Quelle horrible chose qu’une barricade ! s’exclame la tranchée, aussi horrible que les gens qui se trouvent derrière, on sait bien qu’il y a seulement des gens perdus derrière ce machin encombrant et inutile. Je n’ai jamais vu un truc aussi mal fichu et aussi ridicule et qui puisse servir à autre chose qu’à protéger d’une mort méritée la canaille. Des gens crasseux, qui sentent mauvais, des bandits, la plèbe turbulente, c’est tout ce que peut protéger une chose si moche. Par contre derrière moi se trouvent les défenseurs de la loi et de l’ordre, les piliers des institutions républicaines, gens disciplinés et corrects, garants de la tranquillité publique, bouclier de la vie et des intérêts des citoyens.

 Les barricades ont de l’amour-propre et la barricade dont on parle ne peut faire exception à la règle. Elle sent que ses entrailles de bois, de vêtements, de tessons, d’ustensiles divers, de carcasses, de pierres, tressaillent d’indignation et, dans le ton de sa voix, il y a la solennité des suprêmes résolutions et la sévérité des déterminations populaires.

 ─ N’en dis pas plus, refuge de l’oppression, réduit du crime, tu es en présence du bastion de la Liberté ! Moche et contrefaite comme je suis, je suis grande parce que je n’ai pas été fabriquée par des gens à gages, par des mercenaires au service de la tyrannie. Je suis fille de la désespérance populaire, je suis le produit de l’âme tourmentée des humbles et de mes entrailles naissent la Liberté et la Justice.

Il y a un moment de silence, la barricade paraît méditer. Elle est difforme et belle tout à la fois. Difforme par sa constitution, belle par sa signification. Elle est un hymne fort et robuste à la liberté, elle est la protestation formidable de l’opprimé.

─ Une barricade dans chaque ville au même moment, et la liberté jaillira de mes entrailles, lumineuse, rayonnante comme la respiration d’un volcan ! Obscure comme je suis, j’illumine. Quand le pauvre m’aperçoit, il soupire et dit : « Enfin ! »

Ricardo Flores Magón,
Regeneración,
n° 213,
20 novembre 1915