Par Rafael Uzcategui pour El Libertario (Caracas), 21 février 2014. Traduit en français par l’OCLibertaire
Le 4 février 2014, des étudiants d’une université située à l’intérieur du pays, ont organisé une manifestation de protestation contre le viol dont avait été victime une de leurs camarades.
La manifestation a été réprimée et les protestations se sont immédiatement étendues à presque toutes les universités du pays.
Quelques éléments de la situation avec un texte de Caracas et quelques commentaires.
Le 4 février 2014, des étudiants de l’Université Nationale Expérimentale du Táchira, située à l’intérieur du pays, ont organisé une manifestation de protestation contre un abus sexuel dont avait été victime une de leurs camarades du fait de la situation d’insécurité dans la ville. La manifestation fut réprimée et plusieurs étudiants arrêtés. Le lendemain, d’autres universités ont réalisées leurs propres manifestations pour demander la libération des détenus, et des étudiants ont été à leur tour réprimés et certains emprisonnés.
La vague d’indignation se nourrit du contexte de crise économique, la pénurie et la crise des services de base ainsi que le début de la mise en application d’un paquet de mesures économiques par le président Nicolás Maduro. Deux politiciens de l’opposition Leopoldo López et Maria Corina Machado ont essayé de capitaliser la vague de mécontentement en appelant à de nouvelles manifestations sous le slogan « Le Départ » pour faire pression en faveur de la démission du président Maduro. Leur appel reflétait aussi les divisions internes de l’opposition politique et le désir d’écarter Henrique Capriles, qui rejette publiquement les protestations, de son rôle dirigeant. La Mesa de la Unidad Democrática (MUD, la coalition des partis de l’opposition) ne les soutient pas non plus.
Le gouvernement, en réprimant les manifestations de protestation, a obtenu comme résultat qu’elles s’étendent dans tout le pays. Le 12 février 2014, des gens se sont mobilisés dans 18 villes pour la libération des détenus et en rejet du gouvernement. Dans certaines villes de l’intérieur du pays, particulièrement frappées par les pénuries et le manque d’électricité et d’eau, les mobilisations sont massives. À Caracas, trois personnes ont été tuées dans le cadre de manifestations. Le gouvernement accuse les manifestants d’être eux-mêmes responsables de ces morts, mais le quotidien plus diffusé dans le pays, Últimas Noticias, qui reçoit la plus grande quantité d’encarts publicitaires du gouvernement, révèle avec des photographies à l’appui que les assassins étaient des fonctionnaires de police. En réponse, Nicolás Maduro affirme sur une chaîne de télévision et à la radio que les organismes de police ont été « infiltrés par la droite ».
La répression contre les manifestations ne se sert pas uniquement des unités de la police et de l’armée, mais a fait aussi appel à la participation de groupes paramilitaires pour dissoudre violemment les manifestations. Un membre de Provea, une ONG de défense des droits humains, a été enlevé, frappé et menacé de mort par l’un d’entre eux à l’ouest de Caracas. Le président a publiquement stimulé les actions de ces groupes, qu’il appelle des « collectifs ».
Le gouvernement contrôle actuellement toutes les stations de télévision, et a menacé de sanctionner les radios et journaux qui diffusent des informations sur les manifestations. C’est pour cela que les espaces qui ont été privilégiés pour la diffusion des informations ont été les réseaux sociaux informatiques, en particulier Twitter. L’utilisation de dispositifs technologiques personnels a permis d’enregistrer et de photographier largement les agressions commises par les corps de répression. Les organisations des droits humains rapportent que, dans tout le pays, le nombre des détenus (beaucoup d’entre eux maintenant libérés) a dépassé les 400 et qu’ils ont subi des tortures, y compris avec dénonciations d’agression sexuelle, traitements cruels, inhumains et dégradants. A l’heure où ces lignes sont écrites, 5 personnes ont été assassinées dans le cadre de ces manifestations [au moment de cette traduction, le 22 février, elles sont au nombre de 10].
Dans ses discours, Nicolás Maduro, encourage les manifestants qui s’opposent à lui à prendre des positions plus radicales. Automatiquement, sans aucune enquête pénale, il affirme que chacune des personnes décédées a été tuée par les manifestants eux-mêmes, qu’il disqualifie en permanence en usant de tous les adjectifs possibles. Cependant, cette attitude belliqueuse ne semble pas être partagée par tout le mouvement chaviste, car bon nombre de ses bases sont dans l’expectative devant ce qui se passe, sans expressions actives de soutien. Maduro a réussi à mobiliser uniquement les fonctionnaires au cours des rares manifestations de rue qu’il a organisé. En dépit de la situation et en raison de la grave situation économique qu’il affronte, Nicolás Maduro continue de prendre des mesures d’ajustement économique, la plus récente étant la hausse des taux d’imposition.
L’appareil d’État rappelle constamment qu’il fait face à un ‟Coup d’État” qui répéterait ce qui s’est passé au Venezuela en avril 2002. Cette version a réussi à neutraliser la gauche internationale, laquelle n’a même pas exprimé son inquiétude au sujet des abus et des morts dans les manifestations.
Des manifestations de protestations ont lieu dans de nombreuses parties du pays. Elles manquent d’un centre de direction et sont appelées à travers les réseaux sociaux. Parmi les manifestants, il y a des opinions différentes sur les partis politiques d’opposition, et c’est pourquoi on peut trouver autant d’expressions de soutien que de rejet. Dans le cas de Caracas, les manifestations sont surtout menées par des secteurs de la classe moyenne et des étudiants. Mais, dans l’intérieur du pays, des secteurs populaires ont rejoint la protestation. À Caracas les demandes sont majoritairement politiques, libération des détenus et démission du président, tandis que dans l’intérieur du pays, elles intègrent des exigences sociales, telles que la critique de l’inflation, la pénurie et le manque de services de base. Bien que certaines manifestations ont tourné violemment et que certains manifestants ont utilisé des armes à feu contre des policiers et les paramilitaires, la plupart des manifestations, en particulier hors de Caracas, demeurent pacifiques.
La gauche révolutionnaire vénézuélienne indépendante (anarchistes, secteurs du trotskysme et du marxisme-léninisme-guévarisme) n’a aucune incidence sur cette situation et nous sommes de simples spectateurs. Certains d’entre nous dénoncent activement la répression d’État et aident les victimes de violations des droits humains. Au Venezuela, pays historiquement producteur de pétrole, le niveau de culture politique dans la population est faible, ce qui explique que les manifestants de l’opposition ont le même problème de ‟contenu” que les bases de soutien au gouvernement. Mais tandis que la gauche internationale continue à leur tourner le dos et à soutenir de manière acritique la version étatique d’un putsch en cours, elle laisse des milliers de manifestants à la merci des discours les plus conservateurs de partis politiques d’opposition et sans références anticapitalistes, révolutionnaires et de changement social qui pourraient les influencer. En ce sens, l’arrestation de Leopoldo López, chef de l’opposition conservatrice, permet de faire en sorte que sa figure se retrouve placée au centre d’une dynamique mouvementiste qui, jusqu’au moment où ces lignes sont écrites, avait dépassé les partis politiques de l’opposition au gouvernement de Nicolás Maduro.
Que va-t-il se passer à court terme ? Je pense que personne ne le sait exactement, en particulier les manifestants eux-mêmes. Les événements sont en plein développement.