Par Nicolas Pasadena (commission antiraciste)

slide_282040_2128648_freeLe 21 février 1965, Malcolm X tombait sous les balles des Black Muslims, qui lui reprochaient d’avoir abandonné leur secte Nation of Islam. Dans les dernières années de sa vie, il s’était imposé comme le champion de l’auto-organisation des Noirs américains, de l’antiracisme et de la décolonisation.

Malcolm X stigmatisa l’engagement américain au Vietnam et manifesta sa solidarité à Cuba et aux révolutionnaires d’Amérique latine. Il identifia la lutte des Afro-Américains à celle des peuples qui venaient de secouer le joug impérialiste partout dans le monde et voulut établir une liaison avec celle-ci. Ainsi les Afro-Américains, ayant désormais pour alliés tous les peuples décolonisés du monde, devaient se sentir non plus minoritaires mais majoritaires  [1].

Il fallait internationaliser la lutte des afro-américains, traîner l’oncle Sam devant les instances internationales pour le traitement réservé aux Noirs  : faire passer la lutte des Noirs de la juridiction américaine à celle de l’Onu, désormais remplie de membres d’anciens pays colonisés  ; « les intégrationnistes mènent un combat pour les droits civiques en interne qui est perdu d’avance, or c’est un combat pour les droits de l’homme »  [2].

Il cherchait aussi à travers ce trait d’union à réconcilier les Noirs avec leurs origines et cultures africaines. Sans Malcolm, sûrement pas de «  Black is beautiful  ». On avait bourré le crâne des Noirs pendant des décennies avec les représentations infériorisantes des Africains, le défrisage des cheveux était répandu pour ressembler aux Blancs. Malcolm démontrait lui qu’ils avaient plus en commun avec les Noirs en lutte du monde entier qu’avec les Américains blancs. « Je ne suis pas américain, dira-t-il. Supposons que dix hommes soient à table, en train de dîner, et que j’aille m’asseoir à leur table. Ils mangent ; mais devant moi il y a une assiette vide. Le fait que nous soyons tous assis à la même table suffit-il à faire de nous tous des dîneurs  ? »  [3]

« Montrez-moi le capitaliste, je vous montrerai le vampire ! »

L’autre message légué par Malcolm X était qu’il fallait désormais aussi engager le combat contre le capitalisme. Ne percevant pas encore l’ampleur de la dégénérescence néocoloniale des indépendances, il invoqua ces pays libérés du joug colonial comme exemple  : « Les pays qui ont adopté leur indépendance se sont presque tous donnés des régimes plus ou moins socialistes, et cela n’a rien d’accidentel. Vous et moi […] qui voulons du travail, des meilleurs logements, une meilleur éducation, nous devrions […]regarder quel système les peuples libéré adoptent pour obtenir de meilleurs logements, une meilleure nourriture. Il n’en est pas un qui adopte le système capitaliste […]  ; pour diriger un système capitaliste, il faut une âme de vautour. Le capitaliste se nourrit du sang d’autrui. Montrez-moi le capitaliste, je vous montrerai le vampire ! »  [4].

Mais le principal message de Malcolm, ce fut l’inéluctabilité de la violence et sa volonté que les Noirs s’arment pour se défendre. Ses nombreuses déclarations publiques affirment les écueils de la non- violence et la légitime défense des Noirs. Pour lui, c’était «  le bulletin de vote ou le fusil  ». Le bulletin de vote non pas pour donner sa voix à un des deux grands partis racistes mais comme élément du rapport de forces, qui, s’il ne marchait pas, devrait laisser place à la violence.

L’émancipation des Noirs par les Noirs eux-mêmes

S’il était désormais prêt à recevoir le soutien des Blancs, ce soutien celui-ci ne devait en aucun cas entraîner la moindre perte d’autonomie, et ceci revenait centralement en termes stratégiques dans ses conférences, tout comme la critique des oncles Tom. Pour lui, la nécessité de l’auto-organisation des Noirs, de ne pas se faire récupérer par les différents courants bourgeois blancs et noirs était essentielle. Il n’avait pas encore trouvé une conciliation dialectique entre la dénonciation nécessaire de l’intégration et la nécessité du travail avec les intégrationnistes. Dégagé des utopies gradualistes de ces derniers et des chimères racistes des Black Muslims, il était engagé dans une recherche non aboutie d’un « nationalisme noir révolutionnaire ».

Son assassinat a mis un terme prématuré à celle-ci.

Il resta durant cette période assez isolé. On l’a accusé de ne plus refuser en bloc la société américaine, alors qu’il la refusait plus que jamais, mais différemment. Le Black Panther Party affirmera n’avoir repris son œuvre que là où il l’avait laissée.

AL, Le Mensuel, Dossier Black Revolution