Par Sasha  (Féminisme Libertaire Bruxelles)

15151490_901032363364892_176955696_nLe républicain Donald Trump vient d’être élu 45ème président des États-Unis d’Amérique malgré ses positions ouvertement conservatrices. Sa victoire présidentielle est une victoire décomplexée du sexisme, de la misogynie, du racisme et de l’homophobie. Cet article a pour attention de porter des clés de compréhension au vote des femmes blanches envers le parti républicain et la personnalité de Donald Trump. Pourquoi les femmes blanches ont fait le choix de leur classe sociale, économique, politique et culturelle ? En quoi l’élection de Trump est une défaite pour tout le mouvement féministe et un succès de l’antiféminisme ?

Avant tout, l’issue des dernières élections étasuniennes, quelles qu’elles soient, ne constituaient incontestablement pas un événement caractéristique d’un changement social face aux différents systèmes d’oppression. Si l’élection d’Hillary Clinton présentait un enjeu symbolique et historique dans une institution traditionnellement masculine, il serait hypocrite de dénier son éventuelle influence dans la continuité des guerres impérialistes menées par les USA, sous couvert d’une prétendue posture progressiste (en opposition à Trump). En tant que collectif anarchiste et féministe, nous croyons seulement au pouvoir des mouvements sociaux pour envisager l’abolition des inégalités.

Quelques éléments caractéristiques du programme de Trump

  • Le démantèlement du droit à l’avortement et la contrainte à l’hétéronormativité

Dans la lignée « pro-life » du parti républicain, Donald Trump est sans surprise pour l’abolition du droit à l’avortement, voire pour la pénalisation des femmes qui avortent. Il aurait confirmé sa volonté de nommé un juge anti-choix au 9e siège encore vacant de la Cour Suprême.

Aussi, sa conception du mariage et de la famille repose sur la contrainte à l’hétéronormativité, un pilier du patriarcat. L’éducation des enfants est seulement appréhendée dans le cadre d’un couple entre un homme et une femme, à travers l’idée homophobe d’une complémentarité naturelle. Par ailleurs, le parti républicain souhaite annuler la décision de la Cour suprême sur le mariage pour tous.

  • L’abolition du système de santé et du Planning familial

Trump veut également démanteler l’Obamacare (la réforme du système de santé) – qui permet aux femmes d’accéder à des méthodes contraceptives remboursées – et mettre un terme aux subventions publiques accordées au Planned Parenthood (le planning familial américain) car il donne accès à l’avortement. Cette volonté s’inscrit vers une dissolution du peu d’assurance maladie gratuite et de l’accès à la contraception. Pour cette raison, les Américaines ont partagé leurs inquiétudes sur les réseaux sociaux et conseillent de consulter avant la nouvelle présidence en janvier.

  • La banalisation de la culture du viol et de la culture pédophile

En outre, les accusations envers Donald Trump pour agressions sexuelles ont brisées les lois du silence ces derniers mois, notamment suite à la publication d’une vidéo datant de 2005 dans laquelle il tient les propos suivants : « Je suis automatiquement attiré par les beautés… je les embrasse tout de suite, c’est comme un aimant. Je les embrasse, je n’attends même pas ». « Et quand tu es une star, elles te laissent faire. Tu fais tout ce que tu veux. Tu peux les attraper par la chatte ». Deux femmes ont dénoncé des attouchements sexuels dans un article du New York Times (l’une quand elle était assise à côté de lui dans un avion, l’autre lorsqu’elle travaillait comme réceptionniste dans la Trump Tower). Divers témoignages similaires ont continué à être révélés publiquement par la suite. Actuellement, il fait également l’objet d’une plainte pour viol sur une mineure, âgée de 13 ans au moment des faits, à l’occasion d’une soirée en 1994. Par conséquent, nous vivons dans une société où les violeurs peuvent devenir président.

  • L’expression décomplexée des violences racistes

15218511_901024440032351_584671553_nLe discours raciste et sécuritaire de Trump pose aussi la question des violences policières et de leur impunité envers les afro-américain-es. Il souhaite expulser les immigrant-es hispaniques (comme ses prédécesseurs), construire un mur le long de la frontière mexicaine de 1600km et renforcer les contrôles aux frontières. A plusieurs reprises, il a tenu des messages haineux envers les musulman-es dont leur interdiction d’entrée sur le territoire américain. Face à la fragilité blanche, Trump promet une restauration de la hiérarchie raciale et de l’autorité des blancs, qui se sont possiblement sentis délaissés suite aux mandats du président Barack Obama. Son discours a ainsi touché les nationalistes, les suprématistes, les racistes, les antisémites, les populistes, les islamophobes.

Par ailleurs, à la suite de l’élection de Trump, les réseaux sociaux ont malheureusement rapidement témoigné de cas d’agressions et de menaces envers les groupes dominés qu’ils soient noirs, hispaniques, homosexuels ou musulmans. Des slogans et des graffitis, tels que « White Power », « Make America White Again » ou des croix gammées, ont commencé à apparaître dans les écoles et les espaces publics. Des drapeaux LGBT auraient été brûlés dans la ville de Rochester à New York. Deux étudiantes musulmanes ont été agressées sur leur campus à San Diego et à San Jose dont un arrachage du hijab. Des étudiant-es blancs-ches ont formé un « mur humain » pour empêcher les étudiant-es hispaniques d’entrer en cours. Les médias ont répertorié encore beaucoup d’autres exemples de provocations et de manifestations haineuses.

53 % des femmes blanches ont voté Trump

Malgré son discours misogynes, les résultats des sondages[1] ont révélé que les femmes blanches constituaient paradoxalement une part conséquente de l’électorat de Donald Trump :

  • 42 % des femmes ont voté pour Donald Trump et 54 % pour Hillary Clinton.15175344_901024433365685_1259424635_n
  • Les Blancs-ches représentaient 70 % de l’électorat global, 58 % des Blancs-ches ont voté Trump et 74 % des non Blancs-ches ont voté Clinton.

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  • Les femmes blanches représentaient 37 % de l’électorat global, 53 % des femmes blanches ont voté Trump. Seulement, 4 % des femmes noires et 26 % femmes latines ont voté pour Trump.

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Le résultat de ces sondages posent malencontreusement la question suivante : Pourquoi les Blanches, qui se font le jeux des élections présidentielles, ont soutenu un vote conservateur à l’encontre de leurs propres intérêts mais aussi en désolidarisation de toutes les autres femmes non-Blanches ?

Andréa Drowkin et Les femmes de droite

15175390_901024456699016_234473270_nPour son ouvrage Les femmes de droite, Andrea Dowrkin (féministe radicale et théoricienne) tente de comprendre l’adhésion des femmes envers les politiques de droite menées aux États-Unis, à savoir pourquoi défendent-elles des valeurs opposées à leurs intérêts ? Elle cherche la logique de leurs choix stratégiques afin de survivre dans une société où le pouvoir est détenu par les hommes. D’une certaine façon, les femmes de droite sont décrites comme des personnes qui d’une part, sont lucides des violences masculines qu’elles subissent et d’autre part, qui cherchent à apaiser leurs craintes dans un système patriarcal.

Pour se protéger de ces violences, Andréa Dworkin avance que les femmes de droite vont obéir, s’adapter, se conformer, se soumettre aux règles et à l’autorité masculine en incarnant les valeurs soutenues par les hommes. La désobéissance à l’idéologie dominante constitue une prise de risque importante qui peut se concrétiser par le viol, l’humiliation, l’exploitation, la pauvreté ou la mort. Par conséquent, dans l’incapacité d’exprimer directement leur colère envers les hommes de leur entourage, les femmes vont la déplacer à l’égard d’autres groupes sociaux, en devenant par exemple nationalistes, identitaires, homophobes et même en détestant d’autres femmes sur base de critères moraux. En contrepartie de leur soumission, les hommes ont pour rôle de protéger les femmes (même s’il n’en est rien matériellement). Ainsi, elles acceptent que certaines femmes, moins inclines à cette obéissance, soient sacrifiées ou même un groupe particulier de femmes (généralement pauvres, noires, etc.).

Selon Andréa Dworkin, l’antiféminisme et la haine des femmes sont indissociables. Elle définit l’antiféminisme comme « la politique du mépris pour les femmes en tant que classe » et « l’argumentaire idéologique de la haine des femmes ». Elle développe ainsi trois modèles permettant à l’antiféminisme de se développer : le modèle « séparés-mais-égaux », le modèle de la supériorité féminine et le modèle de la domination masculine qui permet d’interpréter les actes de mépris et de haine des femmes en démonstration d’affection même dans le cas du viol.

L’antiféminisme permet de naturaliser la domination masculine et paradoxalement de croire que l’égalité est déjà atteinte grâce au modèle « séparés-mais-égaux ». Le modèle « séparés-mais-égaux » repose sur l’idée qu’il existerait une nature féminine et une nature masculine. Des sphères d’activités et de responsabilités différenciées et distinctes sont ainsi attribuées entre les hommes et les femmes sur base de leur biologie. Toutefois, elles posséderaient une valeur égale en raison de leur complémentarité.

En ce qui concerne le modèle de la supériorité féminine, les femmes disposeraient d’une nature morale (déterminée également biologiquement) supérieure aux hommes. Leurs capacités naturelles tournées vers le bien les distinguent de la matrice d’actions des hommes. Par exemple, les initiatives menées par le fascisme féminin italien consistaient à faire de la bienfaisance envers les classes prolétaires et ouvrières, dont il fallait assurer la moralité des jeunes filles. Sans conteste, cette nature morale concerne seulement les femmes blanches dans cette perspective.

En effet, Elsa Dorlin (philosophe féministe française) explique, qu’au milieu du XIXe siècle, une fraction majoritaire des féministes de la classe moyenne et de la petite bourgeoisie ont privilégié une collaboration avec la classe des hommes dans le combat pour le suffrage féminin à une lutte inclusive avec les femmes Noires en raison d’une moralité différenciée. Ce choix politique atteste de la croyance en une certaine supériorité « au nom d’une norme racisée de la féminité ». La ségrégation et l’esclavage ayant participé à la construction d’identités de genre (féminité et virilité) envers les groupes opprimés, les femmes Noires ne correspondaient pas aux critères d’une féminité normative. En effet, aux États-Unis, jusqu’à cette période, les femmes Blanches engageaient des femmes afro-américaines en tant que domestiques. La délégation maîtrisée des tâches permettait aux femmes des classes moyennes de se rapprocher d’un idéal de féminité – soumission, pureté, domesticité, douceur, minceur, apparence soignée, etc. – dont les femmes Noires étaient exclues en raison des stéréotypes résultant de l’histoire coloniale.

La hiérarchisation entre les hommes et les femmes étant naturalisée, la lutte pour l’abolition des inégalités entre les classes de sexes semble inaccessible. Les femmes de droite ne sont pas féministes car le féminisme est considéré comme un obstacle à leur alliance avec les personnes de pouvoir, sur laquelle repose leur stratégie de survie. Face au constat des violences masculines, elles préfèrent se plier que d’essayer de construire les luttes pour un changement social tel qu’il est envisagé par les féministes. Les femmes de droite pensent que le mariage diminuerait les risques de viols, de violences conjugales et d’exploitation économique et leur accorde de la valeur par leur rôle reproductif.

Cela s’entend, le raisonnement des femmes de droite est faussé puisque le foyer constitue un espace particulièrement dangereux pour les femmes dans un modèle hétéronormatif. Les violences conjugales (ou les violences machistes au sein des couples) forment un phénomène massif dans un continuum de la domination masculine au sein de la sphère privée. Les violences sexuelles sont commises par des personnes proches de la victime dans la majorité des cas. Le mariage incarne l’institution qui offre les conditions matérielles de l’exploitation domestique et sexuelle. Par conséquent, notre seule protection face au patriarcat tient en la liberté d’absolument toutes les femmes. « Une violence à l’une d’entre nous est une attaque contre toutes. »

L’échec du féminisme blanc

15218254_901024463365682_805820546_nOn ne peut parler d’un seul et unique féminisme occidental mais bien de différents mouvements féministes qui se sont développés par rapport aux conditions historiques propres à l’Occident. Le féminisme blanc, par exemple, a été et est toujours profondément marqué par des contradictions de classe. Dans les années 70, la portée des mouvements féministes de la deuxième vague (dont la compréhension élargie de la notion du travail qui comprend à la fois l’exploitation salariale et domestique) s’est immiscée dans les organisations du mouvement ouvrier et donnera naissance à ce qu’on appellera le « féminisme syndical » et le « féminisme ouvrier ». Malgré tout, le terme « féministe » en lui-même faisait généralement l’objet d’un rejet en étant perçu comme un mouvement bourgeois éloigné des préoccupations matérielles liées aux salaires, à la vie à l’usine, etc.

Cependant, de manière générale, les femmes blanches bénéficient davantage de légitimité à se définir en tant que militantes féministes, spécifiquement dans une société encore traversée par des rapports sociaux issus de la période coloniale. Ce privilège a pour effet pervers de stigmatiser des quartiers populaires, des régions du monde et certains groupes de femmes en les qualifiant de moins « progressistes » sur la question de l’égalité des sexes.

L’idée de sororité et d’une oppression commune, utilisée par les féministes radicales des années 70, masquait les expériences spécifiques et variées que les femmes faisaient du sexisme. Or, la reconnaissance des rapports de pouvoir liés à la classe et à la race – mais aussi à la génération, à l’invalidité, l’identité de genre, l’éducation et autres – marque une première étape vers la solidarité entre toutes les femmes. Identifier l’importance de la lutte antiraciste n’affaiblit en rien la nécessité du mouvement féministe.

Ainsi, les féministes blanches ne peuvent pas envisager les luttes contre le patriarcat sans comprendre l’imbrication des oppressions multiples et leur non hiérarchisation. Le concept d’intersectionnalité – développé par Kimberlé Crenshaw (juriste féministe afro-américaine) suite à son étude sur les violences conjugales et le viol des femmes Noires en situation de pauvreté – permet de comprendre l’intersectionnalité des oppressions. L’abolition du patriarcat ne met pas fin aux autres systèmes d’oppressions qui sont interreliés et aussi générateurs d’inégalités à l’égard des femmes.  L’émancipation de toutes les femmes ne peut en conséquent se matérialiser que par l’élimination de tous les systèmes d’oppression.

15211654_901025126698949_1607595785_nEn tant que féministes blanches, nous devons dépasser la croyance d’une conscience féministe unique et refuser l’universalisation du féminisme alors que les luttes féministes sont plurielles, mouvantes et hétérogènes. Nous devons reconnaître que notre réflexe à calquer notre expérience de l’émancipation est un relent néo-colonial envers d’autres groupes de femmes. Les différentes expressions et modalités des luttes contre le patriarcat méritent d’être valorisées et n’appellent pas l’approbation et la reconnaissance de notre regard. Les agendas féministes ne sont pas nécessairement les mêmes. Nous devons accepter un travail de décolonisation du féminisme et réfléchir à la déconstruction de notre blanchité. Nous pouvons croire en l’unité des mouvements féministes sans souhaiter leur homogénéisation.

La victoire de Trump est d’une certaine manière une défaite pour le mouvement féministe. Une grande majorité des femmes blanches ont fait le choix d’un vote conservateur, d’un vote pour les privilèges blancs, un vote pour l’antiféminisme, un vote pour la haine des femmes et particulièrement des femmes pauvres et/ou non blanches. Elles ont fait le choix de leur classe sociale, économique et culturelle.

Nous ne pourrons pas tendre vers la cohésion du féminisme, ni concrétiser de réelles luttes contre le patriarcat, temps que nous ne reconnaissons pas – féministes blanches – que les femmes font des expériences différentes du système de genre. Nous ne pouvons pas penser les féminismes sans penser nos rôles d’allié-es, sans questionner nos avantages systémiques issues de la suprématie blanche.

[1] http://edition.cnn.com/election/results/exit-polls/national/president