La prise de pouvoir de Donald Trump bouscule les équilibres en Irak et en Syrie. Les États-Unis entendent bien défendre leurs intérêts, et la défaite prochaine de l’État islamique ne fera donc pas cesser les hostilités.
L’arrivée d’un nouveau locataire à la Maison Blanche est toujours un évènement pour le Moyen-Orient, tant la destinée de cette région est influencée par l’impérialisme américain. Donald Trump était d’autant plus attendu qu’il avait promis des changements de politiques étrangères en contradiction avec les volontés de l’establishment de Washington : moins d’aventurisme guerrier, rapprochement avec le Kremlin, priorité à la lutte contre Daech sur le changement de régime en Syrie, remise en cause de l’accord nucléaire avec l’Iran.
Sa première action d’envergure en Syrie a déconcerté tout le monde. Suite à l’attaque chimique de Khan Cheikhoun attribué sans autre forme de procès au régime de Bachar el-Assad, il lance le 6 avril une salve de missiles Tomahawk contre la base aérienne d’Al-Chayrat. Dans les jours qui suivent la tension monte avec la Russie. Revirement complet, reddition face à ses ennemis à Washington ? Rien ne permet de le dire.
L’attaque est symbolique, le corps expéditionnaire russe a été prévenu deux heures avant pour éviter une bavure, l’aéroport est très vite redevenu opérationnel. C’est avant tout une opération de politique intérieure, et c’est une aussi une démonstration de force à destination des nombreux ennemis des États-Unis, la Corée du Nord en particulier. Son message est clair : attention un nouveau sheriff est en ville, c’est un dur. Par contre, la politique moyen-orientale de Washington reste floue, incertaine, d’autant plus qu’elle est l’objet d’une lutte acharnée entre Trump et une partie de l’appareil d’État.
Seule certitude, les Kurdes irakiens et syriens gardent leur statut de meilleurs alliés locaux dans la lutte contre Daech. En Syrie, le Pentagone s’appuie sur les Kurdes des YPG qui avec d’autres petits groupes armés arabes forment les Forces démocratiques syriennes, pour s’emparer de Raqqa, la capitale du califat de Daech.
La victoire au forceps de Recep Erdogan lors du référendum constitutionnel du 16 avril [1] a aussi des implications importantes pour la région. Le président turc ne cache pas qu’il ambitionne de faire renaître l’Empire ottoman et d’en faire le centre de l’islam sunnite, ce qui le met en concurrence avec l’impérialisme iranien. Dans ce but, il mène une politique impérialiste agressive contre l’Irak et la Syrie en proie à des insurrections armées et alliés de Téhéran.
Depuis la fin 2015, l’armée turque occupe une base en territoire irakien à Bachiqa au nord de Mossoul, malgré l’opposition du gouvernement de Bagdad. Dans ce camp, elle entraîne des pechmergas du PDK de Barzani, des milices turkmènes irakiennes qui servent à contrer l’influence de l’Iran dans le pays. C’est aussi un moyen de revendiquer les « droits historiques » de la Turquie sur Mossoul.
En Syrie, au cours de l’été 2016, Erdogan a conclu un accord tactique avec Vladimir Poutine, troquant Alep est avec une zone d’occupation au nord de la province d’Alep [2]. Dans l’immédiat, cela lui a permis d’empêcher l’unification du Rojava, à terme, il tentera certainement de transformer cette occupation provisoire en annexion définitive.
Les premiers actes d’Erdogan après sa victoire électorale montrent clairement qu’il ne changera pas de cap, au contraire on assiste à une fuite en avant, dont la gauche kurde est la première à faire les frais. Le 25 avril, l’aviation turque lance une série de raids sur les positions du PKK en Irak, dans les monts Qandil et pour la première fois dans le Sinjar. En Syrie, le bombardement d’un QG et une radio des YPG fait une vingtaine de morts. Les jours d’après, les attaques contre le Rojava se poursuivent et les troupes massées à la frontière font craindre une invasion terrestre. Mais les ambitions d’Ankara sont en contradiction avec les intérêts des impérialismes américains et russes. D’un commun accord Washington et Moscou envoient des soldats s’interposer entre l’armée turque et les YPG, les Américains au Rojava est, les Russes à l’ouest dans le canton d’Afrin.
Au cas où le message n’aurait pas été compris, le 9 mai le gouvernement des États-Unis annonce officiellement qu’il va armer les YPG dans la perspective rapprochée de la bataille de Raqqa. Ce n’est pas la première fois que le Pentagone leur fournit des armes, mais jusqu’à présent il le faisait discrètement pour ne pas froisser la susceptibilité turque. Pour Trump la victoire politique qu’il escompte tirer de la prise de la capitale de Daech est plus importante que les états d’âme d’Erdogan. C’est aussi un avertissement concernant le rapprochement entre Ankara et Moscou.
Le 4 mai, l’Iran, la Russie et la Turquie signent à Astana un accord sur la Syrie, il instaure quatre zones de « désescalade » sans combats et il est sensé poser les bases d’une solution politique ultérieure. Il s’agit en fait d’un accord tactique : il permet aux rebelles syriens soutenus par Ankara de souffler et de reprendre des forces après des défaites coûteuses dans l’ouest du pays, tandis que Damas peut redéployer des troupes sur le front est contre Daesh.
Riposte de la Russie et de l’Iran
La fin prochaine du califat attise les convoitises, la course pour s’arracher sa future dépouille est lancée. Les divers impérialismes et leurs alliés locaux cherchent à s’y tailler des zones d’influences durables. L’enjeu dépasse le cadre syrien, il concerne l’équilibre des forces au Moyen-Orient pour les années qui viennent, entre d’un côté les pays sunnites – l’Arabie Saoudite, le Qatar, la Jordanie, la Turquie soutenus par les occidentaux et Israël –, et de l’autre « l’arc chiite » – l’Iran, l’Irak, la Syrie, le Hezbollah libanais, avec le soutien russe. À défaut de mettre à Damas un régime qui leur soit favorable, les États-Unis et leurs alliés locaux veulent au moins couper la route terrestre entre l’Iran et la méditerranée.
Fin avril des unités de l’Armée syrienne libre soutenues par les États-Unis, la Jordanie et le Royaume Uni ont lancé une offensive dans le désert syrien avec l’objectif de prendre le contrôle de la frontière avec l’Irak. Jusqu’à présent ils se sont emparés du passage frontaliers d’Al Tanf au sud-est et il foncent vers celui d’Al Bukamal au nord-est.
L’accord d’Astana rend possible une riposte à la hauteur de la Russie et de l’Iran, dont sont chargées des unités de l’armée syrienne, des milices pro-gouvernementale, du Hezbollah libanais et des Unités de mobilisation populaire, des milices chiites irakiennes pro-iranienne. Sur le terrain la situation est vive entre ces deux forces impérialistes, il y a eu déjà plusieurs affrontements. Et signe de l’importance de l’enjeu, le 18 mai l’aviation américaine a bombardé un convoi militaire progouvernemental qui s’approchait d’Al-Tanf.
C’est la seconde fois que Trump bombarde les troupes du régime, est-ce le signe d’une escalade qui risque d’opposer directement les États-Unis et la Russie ? Impossible à dire pour le moment tant les incertitudes sont grandes. Ce qui est certain, c’est que la chute du Califat de Daech ne mettra pas fin à la guerre qui ensanglante la Syrie et l’Irak.
AL, Le Mensuel, Juin 2017
La prise de pouvoir de Donald Trump bouscule les équilibres en Irak et en Syrie. Les États-Unis entendent bien défendre leurs intérêts, et la défaite prochaine de l’État islamique ne fera donc pas cesser les hostilités.
L’arrivée d’un nouveau locataire à la Maison Blanche est toujours un évènement pour le Moyen-Orient, tant la destinée de cette région est influencée par l’impérialisme américain. Donald Trump était d’autant plus attendu qu’il avait promis des changements de politiques étrangères en contradiction avec les volontés de l’establishment de Washington : moins d’aventurisme guerrier, rapprochement avec le Kremlin, priorité à la lutte contre Daech sur le changement de régime en Syrie, remise en cause de l’accord nucléaire avec l’Iran.
Sa première action d’envergure en Syrie a déconcerté tout le monde. Suite à l’attaque chimique de Khan Cheikhoun attribué sans autre forme de procès au régime de Bachar el-Assad, il lance le 6 avril une salve de missiles Tomahawk contre la base aérienne d’Al-Chayrat. Dans les jours qui suivent la tension monte avec la Russie. Revirement complet, reddition face à ses ennemis à Washington ? Rien ne permet de le dire.
L’attaque est symbolique, le corps expéditionnaire russe a été prévenu deux heures avant pour éviter une bavure, l’aéroport est très vite redevenu opérationnel. C’est avant tout une opération de politique intérieure, et c’est une aussi une démonstration de force à destination des nombreux ennemis des États-Unis, la Corée du Nord en particulier. Son message est clair : attention un nouveau sheriff est en ville, c’est un dur. Par contre, la politique moyen-orientale de Washington reste floue, incertaine, d’autant plus qu’elle est l’objet d’une lutte acharnée entre Trump et une partie de l’appareil d’État.
Seule certitude, les Kurdes irakiens et syriens gardent leur statut de meilleurs alliés locaux dans la lutte contre Daech. En Syrie, le Pentagone s’appuie sur les Kurdes des YPG qui avec d’autres petits groupes armés arabes forment les Forces démocratiques syriennes, pour s’emparer de Raqqa, la capitale du califat de Daech.
La victoire au forceps de Recep Erdogan lors du référendum constitutionnel du 16 avril [1] a aussi des implications importantes pour la région. Le président turc ne cache pas qu’il ambitionne de faire renaître l’Empire ottoman et d’en faire le centre de l’islam sunnite, ce qui le met en concurrence avec l’impérialisme iranien. Dans ce but, il mène une politique impérialiste agressive contre l’Irak et la Syrie en proie à des insurrections armées et alliés de Téhéran.
Depuis la fin 2015, l’armée turque occupe une base en territoire irakien à Bachiqa au nord de Mossoul, malgré l’opposition du gouvernement de Bagdad. Dans ce camp, elle entraîne des pechmergas du PDK de Barzani, des milices turkmènes irakiennes qui servent à contrer l’influence de l’Iran dans le pays. C’est aussi un moyen de revendiquer les « droits historiques » de la Turquie sur Mossoul.
En Syrie, au cours de l’été 2016, Erdogan a conclu un accord tactique avec Vladimir Poutine, troquant Alep est avec une zone d’occupation au nord de la province d’Alep [2]. Dans l’immédiat, cela lui a permis d’empêcher l’unification du Rojava, à terme, il tentera certainement de transformer cette occupation provisoire en annexion définitive.
Les premiers actes d’Erdogan après sa victoire électorale montrent clairement qu’il ne changera pas de cap, au contraire on assiste à une fuite en avant, dont la gauche kurde est la première à faire les frais. Le 25 avril, l’aviation turque lance une série de raids sur les positions du PKK en Irak, dans les monts Qandil et pour la première fois dans le Sinjar. En Syrie, le bombardement d’un QG et une radio des YPG fait une vingtaine de morts. Les jours d’après, les attaques contre le Rojava se poursuivent et les troupes massées à la frontière font craindre une invasion terrestre. Mais les ambitions d’Ankara sont en contradiction avec les intérêts des impérialismes américains et russes. D’un commun accord Washington et Moscou envoient des soldats s’interposer entre l’armée turque et les YPG, les Américains au Rojava est, les Russes à l’ouest dans le canton d’Afrin.
Au cas où le message n’aurait pas été compris, le 9 mai le gouvernement des États-Unis annonce officiellement qu’il va armer les YPG dans la perspective rapprochée de la bataille de Raqqa. Ce n’est pas la première fois que le Pentagone leur fournit des armes, mais jusqu’à présent il le faisait discrètement pour ne pas froisser la susceptibilité turque. Pour Trump la victoire politique qu’il escompte tirer de la prise de la capitale de Daech est plus importante que les états d’âme d’Erdogan. C’est aussi un avertissement concernant le rapprochement entre Ankara et Moscou.
Le 4 mai, l’Iran, la Russie et la Turquie signent à Astana un accord sur la Syrie, il instaure quatre zones de « désescalade » sans combats et il est sensé poser les bases d’une solution politique ultérieure. Il s’agit en fait d’un accord tactique : il permet aux rebelles syriens soutenus par Ankara de souffler et de reprendre des forces après des défaites coûteuses dans l’ouest du pays, tandis que Damas peut redéployer des troupes sur le front est contre Daesh.
Riposte de la Russie et de l’Iran
La fin prochaine du califat attise les convoitises, la course pour s’arracher sa future dépouille est lancée. Les divers impérialismes et leurs alliés locaux cherchent à s’y tailler des zones d’influences durables. L’enjeu dépasse le cadre syrien, il concerne l’équilibre des forces au Moyen-Orient pour les années qui viennent, entre d’un côté les pays sunnites – l’Arabie Saoudite, le Qatar, la Jordanie, la Turquie soutenus par les occidentaux et Israël –, et de l’autre « l’arc chiite » – l’Iran, l’Irak, la Syrie, le Hezbollah libanais, avec le soutien russe. À défaut de mettre à Damas un régime qui leur soit favorable, les États-Unis et leurs alliés locaux veulent au moins couper la route terrestre entre l’Iran et la méditerranée.
Fin avril des unités de l’Armée syrienne libre soutenues par les États-Unis, la Jordanie et le Royaume Uni ont lancé une offensive dans le désert syrien avec l’objectif de prendre le contrôle de la frontière avec l’Irak. Jusqu’à présent ils se sont emparés du passage frontaliers d’Al Tanf au sud-est et il foncent vers celui d’Al Bukamal au nord-est.
L’accord d’Astana rend possible une riposte à la hauteur de la Russie et de l’Iran, dont sont chargées des unités de l’armée syrienne, des milices pro-gouvernementale, du Hezbollah libanais et des Unités de mobilisation populaire, des milices chiites irakiennes pro-iranienne. Sur le terrain la situation est vive entre ces deux forces impérialistes, il y a eu déjà plusieurs affrontements. Et signe de l’importance de l’enjeu, le 18 mai l’aviation américaine a bombardé un convoi militaire progouvernemental qui s’approchait d’Al-Tanf.
C’est la seconde fois que Trump bombarde les troupes du régime, est-ce le signe d’une escalade qui risque d’opposer directement les États-Unis et la Russie ? Impossible à dire pour le moment tant les incertitudes sont grandes. Ce qui est certain, c’est que la chute du Califat de Daech ne mettra pas fin à la guerre qui ensanglante la Syrie et l’Irak.
AL, Le Mensuel, Juin 2017