Par Marouane (AL Paris-Nord-Est)
Depuis la mort de Mohcine Fikri, en octobre 2016, le Rif est secoué par une contestation qui ne faiblit pas. Face à ce mouvement, la caste dirigeante fait la sourde oreille, calomnie et réprime. La force de ce mouvement s’inscrit dans une longue histoire de révoltes et de revendications contre la marginalisation par le pouvoir marocain.
Le Rif a été une des régions les plus combatives dans la lutte de libération du Maroc. L’Espagne en sait quelque chose, vu que le colon espagnol y a subi une de ses pires déroutes durant la bataille d’Anoual [1] en 1921, face à la guérilla rifaine dirigée par Abdelkrim Al Khattabi. Après la libération, la volonté de mainmise sur le Rif de la part du Palais royal et de l’aristocratie de Fès va connaître quelques résistances. Le parti Istiqlal, composé en grande partie par l’intelligentsia de Fès, a souvent mis en avant ses cadres lors des négociations avec la France et l’Espagne, pendant que le gros des forces armées de libération était composé des fils des autres régions du Maroc, ces mêmes cadres ayant été mis à des postes clefs du gouvernement post indépendance. Le bras de fer commence alors au sein du pouvoir marocain, entre d’un côté la monarchie marocaine dont la frange radicale est représentée d’un côté par le tortionnaire Hassan II, et de l’autre par l’Istiqlal.
Marginalisation institutionnalisée
C’est dans ce contexte d’accaparement du pouvoir que les événements de 1958 vont enclencher une révolte, suivie d’une répression féroce encore vivace dans la mémoire rifaine. Durant ces évènements, l’Istiqlal est dépassé par la contestation, et la monarchie va profiter de ce moment de fragilité de son rival politique pour infliger une punition collective avec l’aide des Forces armées royales, fraîchement créées, et dont une des têtes, un certain Mohammed Oufkir [2], fera preuve d’un sadisme sans limite.
Les années qui ont suivi donneront à peine une reconnaissance minimale d’existence à la région par le pouvoir central marocain. La survie du Rif ne se fait qu’à travers la contrebande avec les deux enclaves espagnoles Ceuta et Melilla, la culture du cannabis quasi institutionnalisée, la pêche et les investissements des émigré.es travaillant en Europe et originaires de la région.
L’étincelle qui a fait émerger le hirak (mouvement) à l’automne 2016 remonte au meutre de MohcineFikri, vendeur de poisson qui essayait de s’opposer à la destruction de sa marchandise (500 kilos d’espadon) déclarée illégale par le pouvoir. Mais quid de la non-intervention de ces mêmes autorités, en amont, lors de la pêche avec des chalutiers industriels, et de l’entrée dans le port de cette marchandise ? La réponse se trouve dans la corruption pratiquée à tous les niveaux au Maroc, où les plus puissants ne tombent jamais, laissant les plus faibles subir la répression à leur place. La mascarade de la condamnation des huit agents coupables d’avoir mis à exécution l’arbitraire de l’État marocain est un des exemples de cette pratique. De cette mascarade d’arrestations, ou de celle qui a essayé de noyer l’affaire en s’arrangeant avec la famille du défunt, le hirak n’est pas dupe. Des sit-in ont commencé à fleurir sur la place centrale de la ville pour demander que justice soit faite, que la levée de la marginalisation de la région soit immédiate, et que Mohammed VI s’implique directement.
Cette interpellation directe de Mohammed VI en dit long sur la perte de légitimité de tous les partis politiques par le jeu trouble du Palais. Les Rifaines et Rifains ne manquent pas de lucidité en faisant tomber le masque démocratique par ce geste. Cette absence de légitimité des partis politiques est l’œuvre d’un pouvoir monarchique qui a sapé l’évolution vers une monarchie constitutionnelle initiée par la Constitution de 2011. La dernière preuve en date de ce travail de sape réside dans les tractations qui ont suivi les législatives d’octobre 2016.
Afin de former une majorité gouvernementale, le Parti de la justice et du développement (PJD), parti majoritaire dans le gouvernement sortant, devait nouer des alliances avec d’autres partis. Sauf que le Rassemblement national des indépendants (RNI) d’Aziz Akhannouch, puissant homme d’affaires, ami du roi et ministre de l’Agriculture, a fait blocage pour former cette coalition avec le PJD, tant que celui-ci n’accorde pas plus de portefeuilles ministériels au RNI. Six mois de blocage après, Mohammed VI décide de choisir un autre membre du PJD, Saâdeddine El Othmani, à la tête du gouvernement, à la place de l’ancien Premier ministre Abdellah Benkiran, soi-disant pas assez domestiqué.
Le mouvement s’est amplifié même s’il reste cantonné à la ville d’El Hoceima et aux environs. Les revendications sont claires : investissement de l’État marocain dans l’éducation, la santé et la création d’emplois. Face à ces revendications, le pouvoir marocain a d’abord sorti l’arsenal du matraquage médiatique : le mouvement actuel ne serait que le fruit du complot extérieur de puissances jalouses, tantôt l’Espagne, tantôt l’Algérie. Et de brandir le mot fétiche, la fitna, c’est-à-dire la discorde au sein de la communauté musulmane. Ainsi, la Syrie est érigée en repoussoir pour dissuader toute contestation. S’ajoute à cela la vieille chimère du séparatisme souvent attribué au Rif.
Du côté des partis politiques institutionnels, tous condamnent d’une seule voix ce mouvement et les syndicats traînent des pieds pour un soutien ouvert. Quand la sémantique et les écrans ne suffisent plus, les bonnes vieilles méthodes refont surface. Les manifestations ont été dispersées à coups de matraque, et plus de 180 rafles d’activistes ont eu lieu de jour comme de nuit. Cette répression a connu une accélération après l’arrestation de plusieurs figures du mouvement dont Nasser Zefzafi, icône très médiatisée du hirak. En réponse, des manifestations nocturnes exclusivement féminines ont surgi, tout aussi réprimées que les précédentes.
Solidarité dans le reste du pays
Devant cette escalade de la répression, le 11 juin, une journée de mobilisation a été organisée à travers le pays pour soutenir le hirak, réclamer la libération des prisonniers et l’arrêt immédiat de la répression.
Dans un Maroc à deux vitesses, avec un monarque soucieux de continuer sa prédation, un État de droit absent, une politique libérale sans scrupules, il est indéniable que les contestations et les révoltes face au broyage des plus démuni.es vont continuer. Le hirak en est l’expression la plus aboutie actuellement.