Propos recueillis par Jérémie Berthuin (AL Gard)

Mouad Belghawat, la trentaine, est un rappeur renommé de la scène alternative marocaine. Militant libertaire, il est connu sous son nom d’artiste, Lhaqued. Figure de proue du Mouvement du 20 février, qui fleurit en 2011, de concert avec le Printemps arabe, il s’est exilé en Belgique.

Alternative Libertaire : Quelles sont les raisons qui t’ont poussé à l’exil ?

Mouad Belghawat : J’ai fait plusieurs séjours en prison à cause de mes textes. Je suis arrivé en Belgique en 2015. A l’occasion d’un concert à Bruxelles, mon frère m’a appelé pour me dire que la police était venue chez moi pour me remettre une convocation au commissariat central de Casablanca. La perspective d’être arrêté, à mon retour, dès mon arrivée à l’aéroport, et d’être de nouveau jeté en prison, m’a poussé à demander l’exil politique en Belgique. Dans le Mouvement du 20 Février, j’étais un des initiateurs des manifestations sur Casablanca. Je m’impliquais, avant tout, dans la commission « création » pour dessiner des banderoles, faire des graffitis revendicatifs dans les rues et surtout inventer des chansons pour les cortèges.

Peux-tu parler de tes séjours en prison ?

J’ai fait deux ans de prison ­entre 2011 et 2014. La première fois, quatre mois, la seconde plus d’un an et la troisième fois de nouveau quatre mois. Au cours de ces incarcérations, j’ai eu la chance d’être relativement bien traité. Une campagne était menée dans tout le pays pour demander ma libération. Au niveau international, de nombreux artistes et rappeurs militants parlaient de moi. Tout ce battage autour de ma détention a fait que le régime marchait sur des œufs. Et ce d’autant que dans la prison, les autres prisonniers me connaissaient et me soutenaient. D’autres camarades moins connu-e-s que moi n’ont pas eu cette chance. En prison, ils et elles ont été torturé.es.

Quand tu discutes avec des ami-e-s militant-e-s qui ont connu les « années de plomb » sous Hassan II, dans les années 70 et 80, comment juges-tu l’évolution des pratiques autoritaires du régime de Mohamed VI ?

Aujourd’hui, avec l’usage des téléphones portables, on peut filmer les violences policières. Le régime fait donc plus attention. Mohamed VI est soucieux de son image à l’étranger, lui qui se prétend le « Roi des pauvres ». La révolte dans le Rif montre, pourtant, que la répression existe toujours. Plus de 400 personnes ont été arrêtées, torturées. Parmi les détenu.es : des enfants de 13 ans à peine.

Peux-tu nous parler un peu de la scène rap au Maroc ?

Celle-ci est née au début des années 1990. Très revendicatif, dans les années 2000, le régime a compris qu’il se devait de la domestiquer. Le pouvoir a acheté de nombreux rappeurs en leur proposant des contrats mirobolants et des facilités pour passer à la télévision ou à la radio, à condition d’édulcorer les textes de leurs chansons. De cette trahison est apparu l’autre rap. Celui de la rue qui crie sa colère contre les injustices, critique le système. Parmi les chanteurs connus de ce Rap conscient, il y a Orlando, Medhi Black Wind, par exemple. Pour les concerts, par contre, c’est compliqué. Je ne pouvais, par exemple, pas monter sur scène. La police interdisait systématiquement mes concerts. Ce fut le cas en 2014. On avait réservé une grande salle à Casablanca. La police était venue la veille sur les lieux, avait cassé notre matériel, coupé le courant. Ma scène, c’était, en fait, les manifestations. Là, au milieu de la foule, la police n’osait rien faire ! Je montais, par contre, sur scène quand je me produisais à l’étranger. Il y a quelques années, à l’occasion d’un festival, à Londres, défendant la liberté d’expression, j’avais gagné un prix. Cela m’a fait connaître et m’a permis de jouer en Scandinavie, en France, en Hollande mais aussi en Jordanie.

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L’intérêt dans le monde des musiques revendicatives et alternatives, c’est de jeter des ponts entre différents styles. Existe-t-il, par exemple, des liens au Maroc entre cette branche consciente du rap et la scène punk ?

Tous les ans depuis trois 2015, le festival de Hardzazat dans le sud marocain réunit plusieurs centaines de personnes qui ne se reconnaissent pas dans le système. Dans ce cadre : graffeurs, acteurs et actrices de théâtre de rue, rappeurs et groupes punk, hardcore et ska se mélangent et jouent ensemble. Les musiques sont différentes mais la rage est la même. Le problème, c’est que cet espace de liberté est mis à mal. L’an passé, la police est intervenue sur le lieu du festival pour l’interdire. Les organisateurs et organisatrices avaient dû trouver, au dernier moment, un lieu alternatif pour qu’il se tienne, à la sortie de Ouarzazate. Cette année encore, le maire de la ville a, d’ores et déjà, annoncé sa volonté de l’interdire.

Le mot de la fin, Mouad ?

La jeunesse marocaine vit une situation terrible. Il n’y a pas de possibilité pour elle de s’exprimer. Cette absence de liberté mais, aussi, une vie faite de précarité et de misère, poussent les jeunes à s’enfuir en Europe. Le Maroc est comme une grande prison. En même temps, la jeunesse est vivante. Il y a deux mois, on a fêté l’anniversaire du Mouvement du 20 Février. Et dans toutes les villes du Maroc, le peuple et la jeunesse sont sortis dans la rue. Cela prouve que la colère demeure et qu’elle ne demande, malgré la répression, qu’à exploser. Les raisons de se révolter existent toujours.

AL, Le mensuel, avril 2018