Par Théo Rival

Cinq ans après la fin de la guerre d’Algérie, le colonialisme français avait de nouveau fait couler le sang. Retour sur un événement oublié. Du 19 février au 1er mars 1968, alors que Nanterre s’agite, 18 indépendantistes comparaissent à Paris devant la cour de sûreté de l’État pour « atteinte à l’intégrité du territoriale national ». Dix mois plus tôt en effet, avait éclaté la révolte du « Mé 67 » guadeloupéen.

Premier temps : le 20 mars 1967, à Basse-Terre, un commerçant, patron local de l’UNR gaulliste, lâche son chien contre un artisan noir infirme. Colère de la population. Trois jours durant, c’est l’émeute à Basse-Terre.

Deuxième temps : le 26 mai 1967, les ouvriers du bâtiment sont en grève. Ils réclament une augmentation de 2,5% et se rassemblent massivement, rejoint par de nombreux jeunes, devant la Chambre de commerce de Pointe-à-Pitre, place de la Victoire. Un des patrons békés (blancs) déclare alors : « Quand les nègres auront faim, ils céderont. » Devant le racisme et la morgue patronale, la fureur des manifestants est à son comble. Certains se saisissent de conques, de gros coquillages, et les lancent sur les gardes mobiles.

Sans sommations, les forces de l’ordre ouvrent le feu. Jacques Nestor, militant révolutionnaire du Groupe d’organisation nationale de la Guadeloupe (Gong), tombe le premier. La fusillade continue les jours suivant, le bilan officiel parle de 5 à 8 morts et d’une centaine de blessé-e-s. Mais pour rétablir l’ordre colonial, il fallait plus de sang, bien plus. L’État français fait donner la troupe. Toute la nuit et deux jours durant, CRS, gardes mobiles et légionnaires ont pour ordre de tuer : 87 morts seront relevées.

Après les massacres de Sétif et Madagascar, c’est le sordide bilan du racisme d’État à Pointe-à-Pitre. Mais la mécanique implacable de la domination ne peut se concevoir sans un troisième temps. C’est celui de la chasse aux militantes et aux militants, et de la persécution à l’encontre de leurs organisations. Immédiatement, le gouvernement français accuse les indépendantistes, notamment le Gong, d’avoir fomenté les émeutes des 26 et 27 mai.

Daniel Guérin et Aimé Césaire à la barre

Au cours des nombreuses manifestations qui suivent les événements de la fin mai, les arrestations de militantes et de militants guadeloupéens se multiplient. Les procès s’enchaînent, dans la colonie comme en métropole. Celui qui se tient à Paris fin février 1968 voit Daniel Guérin et Aimé Césaire cités comme témoins de la défense. Ils dénoncent, derrière la loi de départementalisation de 1946, le masque du colonialisme. Cinq accusés sont condamnés à des peines de prison avec sursis, 13 sont acquittés. Mais le coup porté au mouvement indépendantiste, du fait des massacres, est des plus violents.

Révolte de la classe ouvrière et de la jeunesse guadeloupéenne contre le colonialisme français, le Mai guadeloupéen de 1967 s’inscrit dans le contexte des années 1960 et 1970 qui ont vu émerger un profond mouvement de contestation radicale de toutes les oppressions. C’est cette séquence historique, période de lutte intense, que nos gouvernants voudraient oublier.

Et c’est bien pour cela qu’en 2007, l’Union générale des travailleurs de Guadeloupe (UGTG) et d’autres organisations ont lancé une campagne pour exiger de l’État français toute la vérité et la justice pour le massacre de Pointe-à-Pitre.

AL, Le Mensuel, mai 2008