Par Le groupe de travail Librisme d’AL
L’auto-hébergement, qui il n’y a pas si longtemps était encore réservé à une certaine élite techno-intellectuelle (les « nerds » ou « geeks »), est aujourd’hui à portée du grand public. Dans ce premier article, on présente les récents progrès de démocratisation de l’auto-hébergement.
Qu’est-ce donc que l’auto-hébergement ? Wikipédia nous dit ceci : « L’auto-hébergement est une pratique consistant à héberger ses services Internet personnels sur ses propres machines, chez soi. Il s’oppose à l’utilisation de services d’hébergement chez un prestataire. Souvent pratiqué par les entreprises, l’auto-hébergement intéresse également les particuliers pour diverses raisons. Il permet notamment d’avoir le contrôle et la responsabilité de ses propres données. » Quant à Internet, on pourrait le définir ainsi : réseau des réseaux, mondial, accessible à toutes et à tous, créé pour être décentralisé, nous permettant de communiquer à travers le monde.
Décentraliser Internet
La décentralisation d’Internet a toute son importance, car elle a permis et permet encore au réseau d’être résiliant en cas de panne d’un équipement. Mais d’autres idées ont également été apportées lors de sa création : non-discrimination (neutralité du réseau), développement participatif, universalité (se veut accessible au plus grand nombre).
Avec le temps, le réseau a pris de l’ampleur et est devenu incontournable dans la vie quotidienne des internautes et des entreprises. Son succès n’a pas échappé longtemps à la capitalisation boursière. Sa commercialisation a entraîné sa centralisation autour des géants du Web. Cette centralisation autour d’acteurs commerciaux a amené son lot de critiques et de scandales : non-respect de la vie privée, influences politiques, atteinte à la liberté d’expression, vol de données personnelles, conditions de travail abusives, etc. La liste est longue !
Internet (et les technologies associées) a été créé pour être décentralisé ; ce sont nos habitudes de consommation du numérique qui doivent évoluer pour en contrer les dérives. Il ne tient qu’à nous, internautes, de passer de la simple consommation à la participation active. C’est dans cette optique qu’intervient le concept d’auto-hébergement. En hébergeant nos services (courrier électronique, réseau social, partage de vidéos, blog, etc.) par nous-mêmes au lieu d’en céder la responsabilité aux géants du web, nous récupérons la maîtrise de nos données, nous en évitons les dérives et nous empêchons les capitalistes de s’en servir pour leurs propres intérêts.
L’auto-hébergement était réalisable, en théorie, dès les prémisses d’Internet, mais le matériel informatique était alors coûteux et les connaissances techniques nécessaires à son déploiement n’étaient pas à la portée de tout le monde. Vers le milieu des années 1980, les ordinateurs personnels (PC) ont connu une simplification de leurs interfaces afin qu’ils soient utilisables par le grand public, principalement avec l’arrivée des interfaces graphiques. A contrario, les ordinateurs de type serveurs (destinés à héberger des services et à les « servir » à d’autres ordinateurs, les « clients ») sont restés longtemps l’apanage des initié.es.
Progrès récents de l’auto-hébergement
En 2012, la société Raspberry Pi change la donne et popularise les mini-ordinateurs avec son modèle « Raspberry Pi 1 » destiné à encourager l’apprentissage de la programmation informatique. Cet ordinateur, compatible Linux et Windows, dispose de nombreux avantages : il ne coûte pas plus de 30 dollars, mesure quelques centimètres, consomme peu, ne fait pas de bruit et peut se brancher sur tout et rien. Le concept attire une large communauté qui va alors asseoir la notoriété de Raspberry Pi et contribuer à sa documentation. Galvanisés par cette réussite, plusieurs autres fabricants investissent rapidement ce marché (Banana pi, O-droid, OlinuXino, pour en citer quelques uns). Leur plus grand atout est la standardisation des matériels qui permet aux développeurs de créer un ensemble de programmes prêts à l’emploi (système d’exploitation) et pouvant être dupliqués et utilisés par tout le monde sans adaptation nécessaire : il ne faut désormais plus être expert pour disposer chez soi d’un serveur. En moins d’une heure, en suivant la documentation sur le site du fabricant, un serveur est opérationnel !
Le projet le plus abouti quant à la simplicité d’utilisation est sans doute Yunohost, littéralement « pourquoi ne pas t’héberger ? », (Yunohost.org) avec lequel il est désormais possible d’installer un service simplement en cliquant sur un bouton. Malgré ces récentes avancées, il manquait encore un maillon pour l’auto-hébergement : la connexion au réseau Internet. En effet, connecter un boîtier sur le réseau et le rendre visible du monde entier nécessite quelques connaissances. De plus, ce travail est rendu difficile par la majorité des fournisseurs d’accès à Internet (qui n’ont pas d’intérêt capitalistique direct à nous aider dans cette démarche). Ainsi, selon le fournisseur, notre mail auto-hébergé peut être bloqué, notre site web peut être étiqueté « peu sûr », certaines configurations de la box Internet peuvent ne pas être tolérées.
En 2015, le projet « La brique internet » (Labriqueinter.net) voit le jour et propose une solution qui répond aux critiques précédentes. La « brique » est un de ces mini-ordinateurs (à peine plus gros qu’une souris d’ordinateur) qui fonctionne comme serveur pour héberger nos propres outils ; sur celui-ci, tout est pré-installé et en partie préconfiguré, du système d’exploitation aux logiciels, précisément pour être accessible aux novices, et même la connexion à Internet est facilitée. Ces solutions s’inscrivent dans une démarche éthique du numérique, de respect de la vie privée, en utilisant des logiciels libres.
Mais il y a un mais
Ainsi, nous sommes aujourd’hui en capacité d’être individuellement acteur ou actrice du réseau. Mais si l’auto-hébergement est désormais techniquement à la portée de toutes et tous, pourquoi ne se généralise-t-il pas ? Quel est cet obstacle important que l’on n’a pas encore réussi à dépasser ? Ce sera le sujet de la rubrique Numérique du mois prochain : auto-hébergement versus autodéfense numérique, qui nous conduira très naturellement à parler « individu versus collectif » et « chatons » (si si si) !