« On était autour de 40-50 personnes sur le trottoir de l’UGC, à marcher en direction de Louise, vers 18h. Nous voulions rejoindre les manifestant.e.s, rentrer chez nous, il y avait des personnes qui étaient juste venues prendre à manger ou qui habitaient là et étaient simplement sorti.e.s. Au coin, une barrière de flics nous bloque le chemin et nous font reculer avec des menaces et des violences verbales (un policier blanc était particulièrement agressif, « maintenant vous dégagez ou je vous dégage », « il y aura des conséquences pour vos conneries », etc…). On fait tou.te.s demi-tour. Mais de l’autre côté, il y avait aussi une barrière de flics qui nous donnaient l’ordre de reculer et de marcher vers Louise. Deux ou trois personnes ont essayé de franchir les barrières et ont été gazé.e.s au lacrimo directement, l’un d’elles sérieusement blessé des yeux, un autre poussé contre un mur. On était tout d’un coup complètement entouré.es d’une trentaine de flics à côté du Quick (UGC), dans un petit espace, pas moyen de sortir. On était pratiquement que des racisé.e.s (en grande majorité des noir.e.s), beaucoup d’entre nous n’avaient même pas participé aux manifs. On permettait aux piéton.ne.s blanc.he.s de passer juste derrière, les racisé.e.s devaient s’éloigner de la scène. On est resté.e.s une heure comme ça, coincé.e.s, sans info ou seulement des infos très vagues et en plus fausses (« vous allez être fouillés et embarqués seulement si on trouve des objets volés »). Des renforts à cheval et des chiens policiers continuaient d’arriver, disproportionnel à l’absurde. Les flics nous regardaient avec mépris, et en regardant autour de moi, je savais que c’était nos peaux qui leur posaient problème, pas autre chose. Plusieurs voitures vides sont arrivées, et on nous a tou.te.s menotté.e.s et embarqué.e.s (fin j’étais entre les premiers du coup je ne sais pas s’ils ont mis tout le monde dedans).
Dans la voiture on ne nous expliquait pas grande chose, le flic avec nous parlait néerlandais et disait ne pas comprendre ce qu’on demandait, il n’arrêtait pas de répéter que c’était une mesure de sécurité. A un moment il a sorti « un de vos gens avait une pierre dans ses mains » pour justifier de nous estimer tou.te.s des casseurs. C’était clairement une visée raciale. Le flic gueulait à la moindre petite blague. En arrivant à la caserne (Etterbeek) on est resté.e.s encore une demi-heure à attendre dans la voiture, sans eau, juste les fenêtres de devant ouvertes, il faisait hyper chaud. Iels étaient contents de ce qu’iels faisaient, rigolaient entre eux (« mais quelle journée ! »), nous prenaient pour des prix de leur travail à comparer (« c’est les détenus à qui? », dans un ton de fierté: on était les détenu.e.s de « Cisco », pour que le surnom de ce keuf raciste soit connu). Puis iels nous ont fait entrer, fouillé.e.s, amené.e.s du bras avec pas mal de violence, j’ai vu le gars de 19 ans qui a été tabassé être amené aux services médicaux, et on nous a foutu.e.s dans une cellule sans lumière comme des chiens pendant 20 min (à chaque fois qu’on demandait de la lumière on se faisait engueuler et menacer). Puis on a été registré.e.s, fiché.e.s et foutu.e.s dans une autre cellule.
On était à peu près 25-30 personnes dans cette cellule à espace assez réduit. On nous a donné de l’eau (les bouteilles en plastique étaient très petites, pas assez pour en avoir une chacun.e), pas de bouffe, y avait quelques un.e.s à qui on n’a pas donné des masques alors qu’ielles n’en avaient pas. On est resté.e.s environ 7 heures dedans, les flics venaient parler de temps en temps avec des fausses sympathies et promesses vides (« vous serez libéré.e.s dans une heure et demi », « on libère maintenant les mineurs et après c’est vous »), et avec des intimidations si on exigeait vivement plus d’infos ou réclamait d’être libéré.e.s. Iels nous accusaient verbalement de rendre la manifestation illégitime par la violence, d’être tou.te.s des casseur.e.s sans aucune preuve autre que nos traits racisé.e.s. Je sentais beaucoup de dégoût et de haine à les entendre parler de notre légitimité, eux blancs et derrière la porte en fer, café en main, payé.e.s pour nous mettre sous silence si on osait parler avec colère. L’ambiance dans la cellule était un peu tendue entre celleux qui voulaient parler « tranquillement » avec les flics histoire de sortir plus tôt, et celleux qui les confrontaient, mais après quelques heures tout le monde savait que ça ne servait à rien d’essayer de négocier notre sortie, et on a commencé à parler pendant un petit temps entre nous de violences policières et de nos pensées par rapport a la police. Le moment où on échangeait des témoignages avait une ambiance assez solidaire.
On nous a re-fouillé.e.s et puis libéré.e.s vers 3h30 du matin, foutu.e.s dans une voiture et délaissé.e.s avant les étangs d’Ixelles. Plusieurs d’entre nous habitaient dans des quartiers éloignés. Il était presque 4h du mat mais les voitures de flics rôdaient encore en vigilance, et quand ils passaient à côté de notre groupe qui marchait pour rentrer, ils s’arrêtaient et nous regardaient profondément, avec le même mépris qu’à l’UGC. J’ai dû être guetté par les flics 5 ou 6 fois jusqu’à ce que j’arrive chez moi, et je savais maintenant sous quel ordre ils le faisaient. Il est clair que les + de 150 arrestations dimanche soir étaient des cibles racistes arbitraires. Si nous avions dormi ce soir avec un numéro de détenu sur notre main, c’est parce que la peau autour n’est pas blanche. »