En grève de la faim depuis 2 mois, les 475 sans-papiers occupant à Bruxelles l’église du Béguinage et des locaux de l’ULB et la VUB viennent d’entamer une grève de la soif. L’Etat attendra – t – il qu’il y ait des morts avant d’accepter leur demande de régularisation collective ? Face à l’indifférence et au racisme d’état, la lutte au prix de leur vie se radicalise et la solidarité s’intensifie. L’Union Communiste Libertaire exprime son soutien à la lutte des sans papiers pour la régularisation, qui ébranle jusqu’aux fondements de l’Etat (néo)colonial et de la société capitaliste, et qui constitue un véritable exemple d’auto-organisation et de détermination pour l’ensemble des opprimé·es.
Le développement de l’auto-organisation des sans-papiers
Voici 54 jours que 475 personnes sans-papiers sont en grève de la faim à l’église du Béguinage à Bruxelles, à l’ULB et à la VUB. Iels réclament leur régularisation afin de travailler et vivre dignement. Cette lutte ne nait pas par hasard. Elle est le fruit d’un travail préalable d’auto-organisation et de luttes collectives. Depuis de nombreuses années, les sans-papiers se sont organisé·es au travers de différents collectifs (comme par exemple La Coordination des sans-papiers, La Voix Des Sans Papiers,…) , développant leur autonomie politique et pratiquant l’action directe afin de lutter pour obtenir une solution durable et raisonnable à leur situation. Si ces actions collectives (manifestations, pétitions, occupations) ne leur ont pas encore permis de faire céder les décideurs politiques, ces luttes leur ont permis de s’auto-organiser en construisant une solidarité et une conscience politique collectives. C’est à partir de ces expériences de lutte et d’auto-organisation, parfois conflictuelles, que plusieurs dizaines, puis centaines, de sans papiers ont décidé d’unir leurs forces dans un collectif, l’Union des sans-papiers pour la régularisation (USPR), pour sortir de la clandestinité. L’USPR est une organisation dont la naissance correspond à l’occupation spontanée par une dizaine de sans-papiers Bruxellois·es de l’église du Béguinage le 30/01/2021. Depuis, utilisant les réseaux construits précédemment, la mobilisation a été un succès et 475 sans-papiers occupent au total les trois sites. Bien que ce ne soit pas toujours mis en évidence, parmi ces grévistes de la faim, il y a de nombreuses femmes, dont le parcours migratoire est souvent marqué par de nombreuses violences de genre. A l’intérieur de l’église, elles se sont organisées entre femmes, en non-mixité. La solidarité entre elles est très forte.
En l’absence de toute possibilité de régularisation de leur séjour et de campagne de régularisation depuis 2009, les occupant·es du Béguinage, de la VUB et de l’ULB sont en grève de la faim pour exiger la régularisation de leurs séjours, de façon collective. Iels réclament des critères clairs, objectifs et la mise en place d’une commission indépendante et permanente d’analyse des demandes sur base de leur réalité.
Face à l’exploitation et au racisme d’état : la radicalisation de la lutte et la solidarité
En réponse aux occupations et à leur revendication, les gouvernants se sont complus dans le silence et ont confirmé une fois de plus les intérêts qu’ils servent : ceux des dominants et des exploiteurs. En effet, la grande majorité des sans papiers a un emploi en Belgique notamment dans des secteurs en manque de main d’œuvre. Iels sont soumis·es à toute forme d’exploitation. Alors qu’iels travaillent, iels ne peuvent bénéficier de protection sociale. Leurs soins de santé ne sont pas remboursés, iels n’ont aucun filet de sécurité en cas de perte d’emploi. Sans existence légale, iels se retrouvent à la merci de patrons abuseurs et de marchands de sommeil sans parler du fait que les femmes sont exclues des dispositifs existants pour les protéger des violences liées au genre. Depuis près de 20 ans, par une politique migratoire restrictive, sécuritaire, faisant des migrant·es un péril et une menace, l’Etat belge crée des sans papiers (150.000 à l’heure actuelle), véritables travailleur·euses sans droits, corvéables à merci, et qui profitent à des secteurs entiers du capital.
Exploité.e.s, vivant dans la clandestinité, iels veulent sortir de l’ombre et mener une vie normale. Ainsi, en réponse au silence et à l’invisibilisation orchestrés par les pouvoirs politiques et médiatiques suite aux occupations, iels ont décidé d’intensifier la lutte en entamant une grève de la faim qui dure maintenant depuis deux mois. En parallèle, la solidarité n’a pas tardé à s’organiser : manifestations, occupations symboliques de bâtiments public, pétitions, déclarations de collectifs ou d’organismes militants et syndicaux. Sans parler, des nombreu·x·ses bénévoles accompagné·es de soignant·es qui se sont mobilisé·es pour prendre soin des grévistes de la faim.
Mais jusqu’à la semaine dernière, malgré la radicalisation de la lutte, la mobilisation extérieure et la dégradation de la santé des sans-papiers, l’Etat a persisté dans son racisme institutionnel. Le secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration, Sammy Madhi (CD&V), inflexible, a répété qu’il n’y aurait ni régularisation collective, ni permis de séjour temporaire, possibilité pourtant prévue par la loi vu leur état de santé, selon l’asbl CIRÉ, qui défend les droits des personnes exilées. De leur côté, les différents partis dans leur ensemble, ont préféré se murer dans un silence complice. L’argument utilisé est le respect de l’accord de formation du gouvernement qui ne prévoirait pas la possibilité d’une régularisation collective. Face à la détresse et la volonté de lutter au prix de leur vie pour plus de dignité, les gouvernants répondent par l’indifférence et le racisme d’État.
Pire, le 15 juillet, Sammy Mahdi (CD&V) a proposé d’établir une « zone neutre » où les personnes sans-papiers pourraient recevoir des informations sur leur situation administrative et les procédures qu’elles peuvent entreprendre. Alors que depuis des mois, les grévistes de la faim sont solidaires les un·es des autres en luttant collectivement pour une régularisation collective de tou·tes, le pouvoir essaye de les diviser en leur proposant une sortie individuelle. La réaction des sans papiers n’a pas tardé à se faire entendre : la majorité d’elleux, soit 300 personnes, a décidé d’entamer une grève de la soif vendredi passé, 16 juillet, faisant craindre des décès dans les jours suivants. La plupart d’entre elleux ont ensuite refusé de se faire hospitalisé·es malgré un état de santé de plus en plus préoccupant. Une fois de plus, iels démontrent qu’iels sont prêt·es à aller jusqu’au bout.
Force est de constater sans faire preuve d’excès de confiance, que cette ultime radicalisation de la lutte porte déjà ses fruits. La presse mainstream, nationale mais également internationale, restée très discrète jusque-là s’empare du sujet. Sur le plan politique, un nouveau cap vient d’être franchi : les partis institutionnels de « gauche » de la majorité, le PS, Ecolo/Groen ont été forcé de sortir de leur silence coupable de 2 mois et ont menacé de quitter le gouvernement en cas de décès mettant ainsi la pression sur le premier ministre et sur le secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration afin qu’ils trouvent une solution.
L’État attendra – t – il qu’il y ait des morts avant d’accepter leur demande de régularisation collective ?
Vive la lutte des sans papiers et l’auto-organisation des opprimé·es !
Bien que nous soyons tracassé·es et soucieux·ses de l’état de santé des grévistes, iels fournissent une nouvelle fois la preuve que l’auto-organisation, la lutte collective via l’action directe et la solidarité payent. Alors qu’iels étaient invisibilisé·es il y a encore quelques mois, iels ont réussi à imposer leurs revendications sur le devant de la scène politique et médiatique et à créer un véritable rapport de force avec le pouvoir afin de le faire plier.
C’est par la lutte que l’on arrache des conquêtes sociales! Ces expériences d’auto-organisation constituent les bases de la société de demain qui reposera sur l’entraide et l’association libre. Nous n’avons pas besoin de dirigeants pour nous gouverner. Ces derniers servent les intérêts de la classe dominante qui tire profit du capitalisme raciste, hétéro-patriarcal, validiste, coloniale, écocide, qui nous oppressent et contre lesquels nous luttons.
Les renoncements de la « social-démocratie », son absence de projet social et politique, sa collaboration avec le système capitaliste néolibérale nous prouve que les classes opprimées n’ont plus rien à attendre de l’action parlementaire. Au contraire, les opprimé·es ne peuvent compter que sur elleux-mêmes, sur leur auto-organisation en la construction minutieuse de contre-pouvoirs pour imposer un rapport de force et transformer la société.
Face au racisme d’Etat, construisons le pouvoir populaire grâce à la lutte et à l’auto-organisation des opprimé·es.
L’Union Communiste Libertaire soutient les grévistes de la faim, et appelle à intensifier les actions de solidarité à Bruxelles et ailleurs en Belgique.
Vive la lutte des sans-papiers! Abolissons les lois racistes, et exigeons la régularisation immédiate de tou·tes les sans-papiers ! Personne n’est illégal ! Non au racisme d’Etat ! Détruisons les frontières !
Union Communiste Libertaire Bruxelles, 21 juillet 2021