Ier congrès de l’UCL (Fougères, 28-30 août 2021)
L’organisation communiste libertaire élabore et diffuse un projet de société. En tant que membres de l’UCL nous sommes convaincu·e·s que ce sont les opprimé·es et les exploité·es qui jouent un rôle central dans la transformation sociale, sans avant-garde, ni parti aux commandes. Nous sommes également convaincu·es de la nécessité de se regrouper et s’organiser sur deux plans.
D’une part, le champ social, avec l’ensemble des opprimé-es et des exploité·es, pour construire et organiser les luttes (syndicales, féministes, antiracistes, environnementales, territoriales etc.). De ce fait le mouvement social, qui se regroupe autour de la défense d’intérêts communs, est un acteur politique au sens où il défend des éléments d’un projet de société. D’autre part, le champ politique, où interviennent des organisations structurées autour de leurs choix politiques. Les communistes libertaires défendent eux aussi leurs choix politiques, d’une part au sein de ces mouvements sociaux et populaires et d’autre part dans le débat et la confrontation avec les autres forces politiques : autonomie et indépendance du mouvement sociale vis à vis des pouvoirs et des partis, auto-organisation, démocratie directe, action directe, combativité, solidarité et entraide, internationalisme. Les deux champs de notre intervention, entre lesquels nous ne posons aucune forme de hiérarchie, s’enrichissent l’un de l’autre.
Nos pratiques au sein des luttes doivent permettre une progression de la conscience anticapitaliste, antipatriarcale, anti-raciste et anti-étatiste et la mise en place de solidarités concrètes. Aussi, la société démocratique que nous voulons construire résultera d’une montée de la combativité des personnes subissant un ou plusieurs systèmes de domination, et se concrétisera par la généralisation de contre-pouvoirs.
La lutte des classes et l’action des communistes libertaires
Il n’existe pas de hiérarchie entre les luttes et si notre intervention dans la lutte des classes est fondamentale, le prolétariat n’est pas une classe uniforme malgré des conditions de vie et vécus communs, comme le développe notre Manifeste («Un moteur : la lutte des classes», Une démarche inclusive, p. 4). C’est pourquoi nous parlons d’exploité·es et d’opprimé·es.
Au sein de cette mécanique d’exploitation règnent des formes diverses d’oppression. L’organisation sexiste du travail concentre le prolétariat féminin dans un nombre restreint et stéréotypé de secteurs professionnels, et la relégation des femmes racisées dans les emplois les plus mal payés, pénibles, voire illégalisés (ouvrière de nettoyage, aide-soignante, aide à la personne, aide-maternelle). C’est pour permettre à chacun et chacun·e de trouver sa place dans les contre-pouvoirs que nous pensons l’oppression et le croisement de ces oppressions.
La solidarité entre tous-tes les exploité-es et tous-tes les opprimé-es se structure à partir des aspirations et des besoins qui s’expriment au sein des classes populaires, dans la diversité des situations vécues et en cherchant à dépasser les contradictions en résultant. Ce combat se mène à partir des lieux d’organisation des classes populaires, lieux de vie et lieux de travail, visant à combattre toutes les formes de divisions (électoralistes, corporatistes, identitaires etc.).
La société que l’on combat est dominée par une classe capitaliste, systémiquement patriarcale et raciste. L’ensemble de ces systèmes se nourrissent les uns les autres et se renforcent mutuellement. Les luttes contre ces systèmes de domination doivent s’effectuer en même temps et revêtent donc une importance stratégique fondamentale. Comme le stipule notre Manifeste : «Les combats pour l’égalité professionnelle entre hommes et femmes, contre les discriminations racistes ou LGBTIphobes au travail, ou encore pour les droits des travailleurs et des travailleuses sans papiers font donc partie intégrante de la lutte des classes […]».
Notre action au sein du mouvement syndical
L’outil syndical est le mode d’organisation privilégié des travailleuses et travailleurs, y compris privé·es d’emplois, précaires et étudiant·es, et notre outil de classe pour améliorer nos conditions de vie. Dans une perspective révolutionnaire anti-autoritaire, s’organiser pour pouvoir faire repartir la production (en énergie par exemple), les transports, les services (etc.) est indispensable pour le mouvement ouvrier au sens large.
Contre nous, nous avons la répression patronale et étatique de plus en plus féroce mais aussi la résignation du plus grand nombre. Au sein des structures, les fonctionnements verticaux, autoritaires et bureaucratiques, les pièges de l’intégration et de la cogestion et ceux qui veulent faire du syndicat la courroie de transmission de leurs partis sont aussi une réalité et sont responsables historiquement de la division syndicale.
Il est nécessaire pour notre courant de travailler au développement syndical et de valoriser au sein des structures syndicales : leur caractère de classe, l’ouverture et la solidarité avec les formes de lutte auto-organisées que se donnent les exploité·es, la défiance envers les institutions et rapport de force assumé contre celles-ci, l’importance des solidarités interprofessionnelles, l’importance du confédéralisme, la structuration adaptée aux nouvelles formes de l’organisation du travail, la prise en charge de tous les rapports d’oppression à l’œuvre dans les collectifs de travail.
Dans une perspective anticapitaliste et autogestionnaire, nous devons travailler à ce que les syndicats s’emparent des questions de société au-delà du seul champ du travail pour favoriser la rupture avec la répartition «au syndicat les revendications immédiates, le projet de société aux partis». Le syndicat doit être structurellement en capacité de syndiquer les précaires comme les travailleurs et travailleuses indépendant·es victimes de l’exploitation.
Faire reculer la précarité, c’est affaiblir le pouvoir patronal. Cette préoccupation centrale est favorisée quand les précaires sortent de l’isolement, se syndiquent et militent, incarnant ainsi concrètement leur statut au sein des syndicats. La question de l’unité du syndicalisme de lutte, dans un contexte de poussée des syndicats co-gestionnaires, semble tout autant incontournable.
Beaucoup d’activités sous-rémunérées et souvent précaires, sont effectuées par les personnes racisées, en particulier des femmes non-blanches et/ou migrantes. Les syndicalistes doivent aujourd’hui lutter contre la division raciste et sexiste du travail et soutenir les outils qui permettront aux femmes et aux minorités de se défendre et de construire leurs revendications. La construction d’espaces non-mixtes comme espace d’expression, de partage et d’élaboration en fait partie. Seule la création de rapports de force spécifiques permettant la prise en compte effective des revendications élaborées dans ces espaces pourra nous conduire à une amélioration de nos conditions de vie ici et maintenant.
Notre action au sein des autres champs du mouvement social
Néanmoins, la conflictualité de classe ne se vit pas que par le monde du travail. On ne peut en effet réduire les individu·es à cette seule dimension, d’autant plus que celle-ci est pour beaucoup partielle, non linéaire voire inaccessible ou excluante. Nombre d’entre nous sommes contraint·es de vivre avec d’autres impératifs de subsistances importants, le cumul des emplois précaires ainsi que les périodes de minima sociaux avec les contraintes administratives que cela implique.
D’autres formes d’organisation et de luttes sont choisies par les personnes de notre camp social et nous ne devons pas nous en couper. Notre action doit donc porter sur le monde du travail et le syndicalisme mais aussi et en même temps sur tous les autres champs de la lutte sociale : mouvements écologistes, féministes, anti-racistes, de défense des droits LGBTI, de défense des libertés, solidarité directe, réseaux de production et distribution, lutte collective pour les besoins primordiaux (logements, alimentation, accès aux soins, loisirs, etc.).
Le fait que des camarades militent dans ces organisations ou collectifs est à encourager. De plus, nous devons y favoriser, quand cela est pertinent, une apparition de l’UCL en tant que telle. Cela peut populariser notre courant et faciliter les rapprochements avec des personnes qui ne sont pas fixées politiquement et souvent ouvertes aux pratiques et propositions que nous pouvons avoir.
Il ne nous semble donc pas nécessaire de modifier nos statuts. Par contre, il nous faut investir bien davantage les lieux d’élaboration de notre organisation en renforçant l’ensemble des commissions d’intervention de l’UCL pour débattre et produire du contenu, des outils. Nous pensons que chaque personne doit pouvoir s’inscrire dans la commission de son choix. Nous ne sommes donc pas pour qu’il y ait une inscription obligatoire dans les deux commissions jeunesse ou travail. Ce sont les conditions matérielles d’existence, les luttes menées sur un champ donné, leur pertinence et leur cohérence qui vont conduire un·e individu·e à rejoindre une commission plutôt qu’une autre.
Solidarité directe, alternatives, éducation populaire
Il est important que nous puissions agir sur les conséquences économiques et sociales liées à la crise sanitaire que nous traversons. Nous avons constaté en particulier lors du premier confinement l’incapacité du capitalisme et de l’État à prendre nombre de besoins fondamentaux en charge mais nous avons constaté aussi que la capacité d’action de notre camp social était limitée. En période de crise, est d’autant plus utile ce qui contribue à l’accroissement du mieux-être des exploité-es et des dominé·es, tout en en préparant l’émancipation intégrale.
La question des solidarités directes dans des moments de crise, doit donc nous mobiliser pour faire en sorte, ensemble, que tout à chacun·e puisse trouver ou retrouver une capacité d’agir.
Notre ancrage militant actuel doit nous permettre d’insuffler et/ou de créer des dynamiques sur le volet de la solidarité et de la démocratie directe, de l’éducation populaire et de l’autogestion. Des initiatives autour de l’alimentaire, de l’agriculture, des réseaux de distribution de nourriture existent, nous y avons toute notre place.
Un rapport non sectaire avec les organisations du mouvement social pour affirmer des pratiques et des idées
Nous devons avoir effectivement un rapport non sectaire et ouvert en tant que militant.es du mouvement social. Les collectifs de lutte auxquels nous participons rassemblent des personnes qui ne sont pas nécessairement en phase avec notre projet et nos analyses. Faire de la politique c’est précisément faire bouger des lignes chez des personnes qui ne sont pas d’accord avec nous, dans la lutte, mais c’est aussi apprendre des autres, dépasser nos insuffisances et compléter nos analyses par la confrontation à d’autres expériences que les nôtres; à nous de définir ce qui est acceptable ou pas et de rejeter ce qui est contraire à ce que l’on défend. Notre capacité à agir au sein du mouvement social, à faire bouger les lignes, à démontrer par notre travail et nos pratiques qu’on peut compter sur nous, sont autant d’éléments qui popularisent notre projet révolutionnaire.
Pour autant, il nous faut à chaque fois évaluer comment accroître le rapport de force, massifier les contestations, impulser des fonctionnements autogestionnaires, augmenter la défiance envers les démarches institutionnelles et l’opposition aux visées électoralistes, pousser la bataille des idées anticapitalistes et anti-étatistes sans le faire au détriment de la lutte, intégrer la question des rapports de domination.
Par cette implication, nous nous adressons à une diversité de gens avec des cultures politiques différentes. Nous avons donc un rôle important à jouer pour mettre en lien des cultures de luttes diverses et des réseaux différents. Ainsi, l’UCL peut aussi servir de pont entre les luttes du monde du travail et de la contestation politique dans son ensemble.