A la suite d’un arpentage du livre « Te plains pas c’est pas l’usine » qui avait été organisé par l’Union Communiste Libertaire de Bruxelles, en tant que militant, syndicaliste et travailleur dans une association, j’ai essayé de réfléchir à la manière d’intégrer les constats fait par les autrices dans nos méthodes d’organisation. Le milieu associatif possède un contexte particulier, comment s’y adapter pour défendre nos droits en tant que travailleur·euses et mener des actions collectives ?
Les associations et l’état :
Les associations pallient les problèmes non résolus par l’État, réduisant ainsi ses coûts salariaux. Les travailleur·euses associatifs, sous-traitants précaires, sont moins chers. Ce transfert de compétences calme les luttes sociales en les canalisant à travers les associations. L’État répond indirectement aux problèmes tout en contrôlant les conflits et en masquant les luttes de classes derrière la « démocratie participative » et le « mieux vivre ensemble ».
Le modèle de financement associatif a évolué et il crée des impératifs contradictoires. Les associations doivent établir des budgets suffisant pour se permettre de travailler, mais sans excéder un certain seuil pour être sélectionnées dans les appels à projet. Cela ressemble étrangement au secteur privé lucratif, à la différence que les associations disposent de contrats précaires et de statuts « bénévole » pour réduire les coûts.
Les appels à projets et les marchés publics restreignent l’action associative. Les associations doivent se conformer aux besoins politiques de l’État plutôt qu’agir selon leurs propres décisions ou les réalités de terrain. Ce glissement est souvent imperceptible. On pense qu’il suffit d’ajuster son discours pour obtenir des subventions tout en conservant une autonomie, mais cela crée un cercle vicieux.
Les marchés publics et les appels à projet sont souvent flous et verbeux. On peut croire qu’ils offrent une certaine liberté d’action, mais il faut présenter les projets avec un langage à la mode et en intégrant des concepts fourre-tout. Rédiger des dossiers, les adapter à différents interlocuteurs et produire des rapports et des évaluations devient une tâche énergivore pour les associations. Peu à peu, reproduire leur propre travail devient l’essence même de l’activité des travailleur·euses du secteur associatif.
L’exploitation en milieu associatif :
Avec un fonctionnement par projets et des financements structurels en baisse, l’association semble toujours être en crise. En tant que salarié.e, on doit en permanence travailler à reproduire son propre emploi, ne pas en demander plus et si l’association n’a plus besoin de nous, on n’a pas à se plaindre car c’est la crise…
Il y a un attrait au travail associatif, car il est gratifiant, il permet la réflexion, la collaboration. Il est perçu comme un domaine de résistance à la mondialisation et au néolibéralisme, incitant souvent les travailleur·euses à faire des sacrifices pour « la cause ». Les salaires restent bas et les heures supplémentaires ne sont pas rémunérées. On convainc les travailleur·euses de l’importance éthique de leur mission en les responsabilisant et en les culpabilisant. Au lieu d’un salaire décent, la reconnaissance est souvent utilisée comme une compensation.
Le dévouement est si intégré au travail associatif qu’il semble parfois qu’il n’y ait pas de pouvoir ou de coercition. L’employeur n’est jamais perçu comme un patron, mais plutôt comme ayant les mêmes intérêts que les travailleur·euses. Ces derniers s’identifient à l’association et reproduisent sa structure, ce qui les pousse à s’auto-manager. Néanmoins, une direction coordonne bien cette dynamique et travaille à dissimuler la relation employeur-employé. Pour garantir le bon fonctionnement, la direction mêle informel, partage de valeurs avec des objectifs quantitatifs et financiers.
Les associations s’appuient largement sur le bénévolat et une variété de contrats précaires. Les premières concernées par les boulots instables et usants sont les femmes (qui composent la majorité des travailleur·euses du secteur) et d’autres parts les personnes non-blanches. Peu de différences ici avec les autres secteurs du travail, si ce n’est le décalage entre les pratiques et le discours de lutte contre les discriminations. De nouveau, les rapports de domination sont effacés derrière le récit que se crée l’association.
Syndicalisme de relations sociales :
Les principes d’organisation des IWW semble bien adaptés au milieu associatif avec ses petites structures qui facilitent la création de liens forts avec nos collègues. La plupart du temps, il n’y a pas de délégation syndicale en place (pourquoi il en faudrait une, nous sommes une « grande famille »), mais cela peut laisser la place à la constitution d’un comité de travailleur·euses auto-organisé.
L’idéologie du dévouement, de la concertation et le discours de la « famille associative » crée un environnement relativement hostile à la confrontation avec les intérêts de l’employeur et à l’action directe. D’un autre côté, les liens forts entre collègues peuvent faciliter la constitution d’un comité de travailleur·euses et le fait d’envisager l’action collective. La barrière majeure consiste dans cette réticence à écorcher ce « nous » associatif en exposant plus clairement la relation employeur-employés.
Il est possible que nos collègues se dirigent d’abord vers la concertation avec la direction ou fassent appel à un acteur extérieur (avocat, médiateur,…). Au sein d’un comité de travailleur·euses auto-organisé, notre avis n’est qu’une voix parmi les autres. Si ces solutions fonctionnent tant mieux, mais dans le cas contraire, n’hésitons pas à remettre la possibilité de l’action directe sur la table. La mise en place d’un plan d’action pertinent au sein d’un front commun de travailleur·euses viendra renverser le rapport de force travailleur·euses-employeur. Dans tous les cas, la construction d’un comité et le renforcement de la solidarité avec nos collègues augmente déjà notre pouvoir d’action.
Quand un problème se présente, les travailleur·euse.s se retrouvent souvent seul·e·s face au CA et à la direction. En effet, les associations sont généralement de petites structures, parfois de 2 à 3 personnes et les salariés peuvent avoir des missions très différentes les uns des autres. Mais en parallèle à cet éclatement des travailleur·euses, il existe aussi une tendance, comme dans le secteur privé lucratif, au regroupement des structures au sein de hub qui facilitent le réseautage entre associations.
Il pourrait être possible de profiter de cette tendance qui permet de regrouper dans le même lieu des travailleur·euses aux missions diverses, mais qui partagent des conditions de travail similaires. Une organisation syndicale fonctionnant sur le modèle des réseaux de solidarité (comme le Réseau Bruxelles Solidarité) pourraient permettre aux travailleurs de très petites structures de se soutenir mutuellement et de mener des actions collectives.
En parallèle de la lutte contre l’exploitation au sein des associations, il y a aussi un combat à mener pour de meilleures conditions de travail et de financements pour le milieu associatif. Il y a un besoin de développer un rapport de force plus large et radical. C’est aussi la barrière entre travailleur·euse.s exploité·e·s et bénéficiaires du travail de l’association qu’il convient de briser. En effet, ces deux groupes, en tant que prolétaires, ont plus en commun qu’avec les dirigeants des structures associatives. De cette manière, la lutte peut aussi s’élargir aux conditions subies par les usager·ère·s des associations.