Une histoire des milices populaires qui ont combattu les fascistes italiens : la naissance, le développement et le déclin du premier groupe anti-fasciste au monde. 

ardito_fondo-magazineAu sortir de la Première Guerre mondiale, la classe ouvrière italienne est en pleine effervescence révolutionnaire, pas encore prêtEs à conquérir le pouvoir, paysanNEs et travailleurs/euse, en 1918, obtiennent du gouvernement de nombreuses concessions : augmentation de salaires, journée de travail de 8 heures et reconnaissance de la représentation syndicale.

Toutefois, en 1919, le mouvement ouvrier se radicalise. Durant cette seule année, il y a eu 1663 grèves à travers la péninsule, tandis qu’au mois d’août, à Turin, une nouvelle dynamique militante s’installe et grandit avec la création d’un comité autonome1 (précurseur des conseils ouvriers), ce qui prouve la capacité qu’ont les travailleurs/euses à s’organiser de façon autonome selon des principes libertaires, principes qui avaient « l’objectif potentiel de préparer les personnes, les organisations et les idées, dans une opération de contrôle pré-révolutionnaire permanent, de se substituer à l’autorité des patronNEs dans l’entreprise et de réorganiser radicalement la vie sociale »*.

Dans les campagnes, la paysannerie a ouvert un second front contre l’État en occupant les terres qui lui avaient été promises avant la guerre. Le décret Visochi de septembre 1919 légalise juridiquement les coopératives qui avaient déjà été mises en place, parallèlement les « ligues rouges » aidaient à la formation d’un puissant syndicat de paysanNEs jounalierEs.

Pourtant, c’est aussi en 1919 que le capital montre les premiers signes de défense face à ces assauts répétés. Une assemblée d’industrielLEs et des propriétaires terrienNEs à Gènes en avril a été l’occasion de sceller les premières pierres de la « Sainte alliance » face à la montée du pouvoir ouvrier. Main dans la main, les Fédérations Générales de l’Industrie et de l’Agriculture y élaboreront une stratégie commune visant à démanteler les syndicats de travailleurs/euses et les conseils ouvriers qui émergent.

Mais le capital ne pouvait assumer seul la lutte contre le mouvement ouvrier. Les travailleurs/euse devaient être soumisES et intimidéEs, leur esprit de révolte brisé tant dans les rues qu’aux champs. Le capital se tourna donc vers la main armée du fascisme et son leader : Benito MUSSOLINI.

La mise en place des escadrons fascistes.

Immédiatement à la fin de la guerre, on voit fleurir de nombreuse ligues anti-ouvrières :  » Fasci italiani di combattimento » (les faisceaux de combat) de MUSSOLINI, la Ligue Anti-Bolchévique, les Faisceaux pour l’Éducation Sociale, UMUS (?), Italia redenta (Italie Rachetée)…Dans le même temps, des soldats démobilisés s’organisent en une troupe d’élite de 20 000 hommes prés à en découdre et seront d’emblée mis à profit par le courant anti-rouges.

Ce mouvement a essentiellement prise dans les classes moyennes et moyennes inférieures. Ex officiers, sous-officiers, cols blancs, étudiantEs, tavailleurs/euse indépendantEs se sont alliés à la cause fasciste dans les villes, tandis que dans les campagnes, les enfants de fermierEs, de petitEs propriétaires terrienNEs et d’administrateurs/trices se sont spontanément engagés contre la menace rouge. La police et l’armée encourageaient les fascistes, incitant les anciens officiers à rejoindre et entraîner les escouades en leur prêtant des véhicules et des armes, elles autorisaient des criminels à s’enrôler sous couvert d’immunité et de rémunération. Les permis de port d’arme, refusés aux ouvrierEs et paysanNEs, étaient délivrés gratuitement aux escadrons fascistes et les munitions des arsenaux d’État donnèrent aux « chemise Brunes  » un avantage militaire conséquent. En fin de compte, en novembre 1921, les diverses escouades ont été réunis au sein d’une organisation militaire (Principi) avec une hiérarchie, des sections, des cohortes, des légions et un uniforme spécial.

Les Arditi del popolo

Pour compenser les lacunes du PSI (Partito Socialista Italiano) et de la CGL (Confederazione Generale del Lavoro- syndicat majoritaire), des militantEs de courants divers (anarcho-syndicalistes, socialistes de gauche, communistes, républicainEs) ont formé, dans l’été 1921, une milice populaire : les Arditi del Popolo 2 (AdP-Soldats du Peuple) pour combattre les fascistes.

Bien que politiquement divers, les AdP étaient une organisation majoritairement ouvrière. Les travailleurs/euses été recrutéEs dans les usines, les fermes, les chemins de fer, les chantiers navals, chantiers de construction, les ports et les transports publics. Certaines parties de la classe moyenne se sont également impliquées comme des étudiantEs, des employéEs de bureau…

Structurellement, l’AdP était calquée sur l’organisation militaire avec des bataillons, compagnies et des escadrons. Un escadron était composé de 10 membres et un chef de groupe. Quatre escadrons constituaient une compagnie avec un commandant et trois compagnies constituaient un bataillon avec son commandant. Des escadrons à vélo ont été créés pour maintenir les liens entre le commandement général et la main-d’oeuvre dans son ensemble.

Malgré cette structure hiérarchisée, l’AdP demeure flexible et peut réagir rapidement aux menaces fascistes. Le comportement de l’AdP était dicté par les groupes politiques influents localement bien que la plupart des sections disposaient d’une autonomie virtuelle sur leurs actions.

Ces sections ont rapidement été mises en place dans toutes les régions du pays, soit en tant que nouveauté, ou dans le cadre de groupes déjà existants comme le PCI (Partido Comunista d’Italia), les paramilitaires Arditi Rossi (les soldats rouges) à Trieste, les Figli di Nessuno (Les fils de Personne) à Gènes et Vercelli ou encore la Lega Proletaria (ligue prolétarienne-liée au PSI).Dans l’ensemble, au moins 144 sections ont été mises en place par la fin de l’été 1921, avec un total d’environ 20.000 membres.

Les principales sections sont les sections du Lazio avec environ 3.300 membres, suivie de laToscane, 18 sections, avec un total de 3.000 membres. L’AdP construit rapidement sa propre identité culturelle, les différentes sections affichant fièrement leurs propres logos et images de la guerre facilement reconnaissables grâce à un crâne entouré d’une couronne de laurier avec un poignard entre ses dents, et la devise « A Noi » (pour nous). Le logo du commandement était un poignard entouré d’une couronne de laurier et de chêne. Ceux et celles de Civitavecchia n’ont pas laissé beaucoup de place à l’imagination pour leur bannière (une hache brisant le symbole fascistefaisceau). Refusant l’uniforme, la plupart des membres de l’AdP portaient un pull noir, un pantalon gris foncé et une fleur rouge à la boutonnière. Leurs chansons étaient directes et belliqueuses comme leurs caractères :

« Rintuzziamo la violenza
del fascismo mercenario
tutti uniti sul calvario
dell’umana redenzione.
Questa eterna giovinezza
si rinnova nella fede per un popolo che chiede
uguaglianza e libertà »

« Nous endiguons la violence
des fascistes mercenaires.
Tous unis dans le Calvaire
de la rédemption humaine.
Cette éternelle jeunesse
est renouvelée dans la foi
pour les gens qui réclament
l’égalité et la liberté. »

L’offensive fasciste.

L’anarchiste italien Errico Malatesta, commentant les occupations en masse d’usines dans le nord de l’Italie en septembre 1920, auxquelles participèrent 600 000 travailleurs/euses, a prédit: « Si nous ne sommes pas vigilantEs à la fin, nous paierons avec des larmes de sang pour les craintes que nous avons inculqué à la bourgeoisie ». Ses paroles ont été prophétiques, car le PSI et la CGL, au lieu d’étendre la lutte des usines aux collectivités agricoles, ont collaboré avec l’état pour remettre les ouvrierEs au travail. C’est à partir de ce moment que celui-ci est passé à l’offensive et que les faisceaux de combat de Mussolini furent suffisamment armés pour prendre les rues. Jusqu’à la formation des AdP, la plupart des fascistes pouvaient agir selon leur bon vouloir. Après l’attaque de la mairie de Bologne, les escadrons fascistes balayèrent les campagnes tel une faux menant des « expéditions » punitives contre les villages « rouges ». Suite à ces succès, ils commencèrent à attaquer les villes : bureaux syndicaux, locaux des coopératives et journaux de gauche ont été détruits à Trieste, Modène et Florence dans les premiers mois de 1921. Comme L’écrit Rossi ils ont eu « un immense avantage sur le mouvement ouvrier quand à leur logistique de transport et de rassemblement. Les fascistes sont généralement sans attache… ils peuvent vivre n’importe où… Les travailleurs, au contraire, sont enracinés…Ce système donne à l’ennemi tous les avantages: celui de l’offensive sur la défensive, et celui de la guerre de mouvement sur une guerre de position.** »

Mais à partir de mars 1921, la structure défensive des travailleurs/euses face aux fascistes devient plus conséquente, comme à Livorno où, lorsque ces dernierEs attaquèrent un quartier ouvrier ( Borgo dei Cappucini), c’est tout le voisinage qui les boutât hors de la ville. En avril, quand les fascistes lancèrent un assaut sur l’une des centrales syndicales (Camera del Lavoro), les ouvrierEs se mirent en grève (le 14 du mois) et encerclèrent l’escadron ne laissant à la police d’autre choix que de prendre sa défense. En Juillet, la classe ouvrière créa sa propre milice armée – les Arditi del Popolo.

Les Arditi del Popolo en action.

Les Arditi sortirent de l’ombre pour la première fois le 19 juillet 1921 en encerclant et attaquant une place de Piombino où avait lieu un meeting fasciste. La garde royale tenta Bixioune intervention mais dû, elle aussi, renoncer face aux milicienNEs. Les AdP tinrent la rue pendant quelques jours avant qu’un renfort trop important de policiers ne les oblige à se retirer.

A Sarzana, ils aidèrent les habitantEs bien décidéEs à capturer un des plus importants dirigeant fasciste : Renato Ticci. Quand un escadron de 500 hommes arriva pour le sauver, les AdP les repoussèrent au loin dans la campagne, 20 fascistes trouvèrent la mort (sûrement plus) et leur chef d’escadron déclara : « Mon unité, si longtemps habituées à vaincre un ennemi qui s’enfuit presque toujours, ou n’opposant qu’une faible résistance, ne pouvait pas, et ne savait pas comment se défendre ».

La trahison.

Mais, alors que l’élan impulsé par les AdP se répandait partout, il furent trahis par le PSI qui préféra signer un pacte de non-agression avec les fascistes, et ce, au moment où ils étaient les plus vulnérables.

Les dirigeants socialistes et de la CGL forcèrent leurs militants à quitter l’organisation anti-fasciste. Matteotti, un responsable syndical, confirma la trahison dans l’organe de son organisation, Battaglia Sindicale : « Restez chez vous, ne répondez pas aux provocations. Même le silence et la lâcheté sont parfois des actes de bravoure. ». Les communistes allèrent plus loin en formant leurs propres sections (d’une conscience de classe plus « pure »), ce qui accentua la chute des AdP. Selon Gramsci, « [le PCI employa] cette stratégie afin que ces membres ne soient pas dirigéEs par d’autres que les responsables du parti. ». Bientôt, ne restèrent plus que 50 sections pour 6000 membres, la plupart anarcho-syndicalistes de l’Unione Sindicale Italiana (USI) et anarchistes de l’Unione Anarchica Italiana (UAI).

De nombreuses sections se reformèrent en septembre à Piombino. Les fascistes brûlèrent

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Malatesta avec des militants des arditis

les bureaux du PSI avant d’être interceptéEs et chasséEs par les anarchistes, tout juste trahis par les socialistes. Piombino devint peu à peu l’avant poste de la lutte contre le fascisme repoussant des assauts toujours plus forts en avril 1922, et tombant finalement après un jour et demi de dur combat quand les escadrons fascistes (aidés par la garde royale) prirent les bureaux de l’USI.

En juillet 1922, une grève générale réformiste pour la défense « des libertés civiles et de la constitution »,(l’arrêt du travail n’étant pas et ne pouvant être accompagné d’actions directes offensives) acheva toute les possibilités combatives du mouvement ouvrier. Lors des grèves les fascistes prirent la place des ouvriers et se rendirent ainsi maîtres des rues. Avec l’échec de ces grèves, les fascistes réunirent leurs forces pour mater les dernières poches de résistance, il ne fallut pas moins de 2000 combattantEs des escadrons pour faire tomber Livorno.

NOTES :
1-Shop stewards’ movement dans le texte (Leur développement se situe avant la guerre de 1914 en Écosse autour du Clyde Workers’Committee, puis du National Shop-Stewards, et plus tard d’un Workers’ Committee Movement, tous indépendants de l’organisation syndicale officielle Trade Union Congress ; plusieurs grèves importantes furent
menées pendant la guerre avec la répression que l’on peut imaginer. Plus tard, ces comités shop-stewards furent plus ou moins intégrés de fait dans le fonctionnement du système, mais ce n’est qu’avec le gouvernement Thatcher que leur pouvoir et leur rôle, déjà bien diminués disparurent pratiquement. L’autonomie de la classe ouvrière, http://www.matierevolution.fr)

2-Ardito désigne un soldat des troupes d’assaut de la Première Guerre mondiale.
* L. Williams – Proletarian Order (1975)
**A.Rossi – The Birth of Fascism (1938)

On trouve à notre connaissance peu de choses en Français

La traduction a été réalisée par le Collectif Anarchiste de Traduction et de Scannerisation (CATS) de Caen en avril 2011 que nous vous invitons toutes et tous à découvrir !

Texte original en anglais trouvé sur le site anar britannique Libcom.org (http://libcom.org/ ), dans sa rubrique « History », sous le titre «1918-1922: The Arditi del Popolo».

D’autres traductions sont en téléchargement libre sur leur excellent site : http://ablogm.com/cats/